La vérité sur Gustavo Roderer de Guillermo Martínez

La vérité sur Gustavo RodererLa vérité sur Gustavo Roderer, court roman, est le troisième texte que l’on peut lire en France de l’écrivain mathématicien argentin Guillermo Martínez, mais le premier roman publié dans son pays. Le narrateur, d’abord jeune adolescent, raconte sa rencontre avec un certain Gustavo Roderer qui l’a battu aux échecs dès son arrivée au village. Il le retrouve au lycée et ne peut que constater que le nouvel élève ne peut s’adapter à cet univers. Il n’écoute rien en classe, reste plongé dans des livres dont la complexité et l’abstraction laissent deviner l’intelligence de leur lecteur. Roderer ne communique avec personne, ne s’occupe rien, et ne se soucie que de gagner du temps pour son grand projet.

Le narrateur voue une grande admiration à Roderer tout en l’enviant et attisant un certain esprit de compétition. Il a envie de l’impressionner, et plus tard, de lui exposer des théories mathématiques qu’il pratique et maîtrise. Mais Roderer est au-delà de l’envie et même de l’admiration. Tout comme il semble absent au monde, aux autres, aussi proches soient-ils. Il ne vit que dans un monde d’idées, de théories et de raisonnements.

En 2003, Guillermo Martínez a consacré un livre à Jorge Luis Borges et les mathématiques. Il est clair qu’on retrouve dans La vérité sur Gustavo Roderer l’influence du génie argentin, non pas dans sa veine fantastique mais bien dans la facilité à manier les concepts et dans la description de ce Roderer, ce pur génie qui s’est fait homme mais n’est pas fait pour son enveloppe charnelle. Pour ses contemporains, c’est un fou ou un mystique de la pensée ; on peut y voir un artiste au sens large, un être qui ne vit que pour son obsession (intellectuelle ou créatrice) et se place ainsi à part.

Et comme après une nouvelle de Borges, on se dit qu’il y a bien plus dans ce texte que ce qu’on peut assimiler en une seule lecture. Et surtout, on devine le plaisir que l’auteur prend à perdre son lecteur, par exemple en incluant de fausses références, des ouvrages imaginaires au milieu d’autres bien réels. Internet rend les vérifications bien plus faciles et rapides qu’à l’époque de Borges, lire ce genre de textes multiréférencés et tenter de les comprendre n’est donc plus un plaisir pour happy few… On peut aussi se laisser tout simplement porter par cette histoire d’amitié sur fond d’érudition. Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié le portrait de l’intellectuel associal, qui ne trouve de place nulle part et que son intelligente tient éloigné du reste des humains.

Guillermo Martínez sur Tête de lecture

 

La vérité sur Gustavo Roderer

Guillermo Martínez traduit de l’espagnol par Eduardo Jimenez
NIL, 2011
ISBN : 978-2-84111-376-7 – 121 pages – 17 €

Acerca de Roderer, publication en Argentine : 1992

38 commentaires sur “La vérité sur Gustavo Roderer de Guillermo Martínez

  1. Intellectuel asocial… me semble que j’en connais un, comme ça. Du coup, j’ai bien envie de tenter le coup. Ne serait-ce que pour pouvoir comparer… et m’encourager un peu.

  2. Ton billet me tente, je n’ai jamais lu cet auteur, tu me conseilles celui ci ou le précédent pour commencer ?
    merci à toi pour le lien Lobo Antunes je me suis régalée à écouter ses propos

  3. Mathématique du crime était déjà noté dans un coin de cervelle, oui… Il y a des mots, comme ça… Non, pas crime, l’autre.

    1. L’auteur enseigne les mathématiques à Oxford. Je t’avouerais que ce n’est pas ce qui m’attire chez lui, mais plutôt ce qu’il en fait littérairement. Ce livre a donné lieu à un film (« Crime à Oxford » je crois), qui n’a pas récolté beaucoup d’avis positifs…

  4. Je suis assez nul sur la littérature sud-américaine, et totalement ignare sur l’argentine. Ps particulièrement porté sur les mathématiques, j’hésite encore à me lancer dans ce double défi.

    1. Deux principaux courants en littérature argentine : celui des « jeux intellectuels et littéraires » hérité de Borgès, et celui de l’Histoire (comme beaucoup de pays d’Amérique latine). Une littérature à découvrir, quoi qu’il en soit.

    1. Mathématiques et philosophie sont plus des prétextes pour établir le portrait d’un homme que véritables sujets du livre… Ceci dit, je te comprends : John Irving est grand !

  5. Moi aussi le mot mathématique me fait peur, et pourtant j’ai envie de lire de la littérature sud-américaine (j’ai lu en son temps Cent ans de solitude, mais depuis…) J’ai vraiment peur de me sentir larguée s’il y a autant de références !

    1. Si ça t’agace de passer à côté des références (ça peut aussi être stimulant), mieux vaut tenter une veine plus romanesque. Et avec Garcia Marquez, tu as l’embarras du choix !

    1. Pour tout te dire, je retiens ma date de naissance et mon numéro de téléphone, mais il ne faut pas m’en demander plus côté chiffre (depuis plus de trente ans, la table des 8 me résiste !)…

    1. On n’est pas amené à compter dans ce livre, je le précise, ni même à élaborer des théories… les maths et la philo sont des matériaux, certes assez opaques, mais qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser pour apprécier le parcours des personnages.

  6. ‘La mathematique du crime’ ne m’avait pas laissee un souvenir imperissable (meme si sa lecture etait tres agreable) donc je passe. Sais-tu pourquoi Martinez n’etait pas jusqu’a present publie dans son pays ?

    1. Non je ne sais pas, je découvre cet auteur. Mais il a quitté l’Argentine pour enseigner en Grande-Bretagne, peut-être un début de réponse… il faudrait que je fouille le web à la recherche d’articles en espagnol (je lisais les sud américains dans leur langue quand j’étais à la fac, mais c’était il y a longtemps…).

  7. J’ai lu cette nouvelle en partenariat et il faut que je fasse un billet… Je ne lis pas le tien pour l’instant pour ne pas me laisser influencer, mais je ferai un lien dès que possible.

  8. Les mathématiques me rebutent un peu… mais en même temps certains auteurs savent en parler d’une manière qui me fait oublier tous mes à priori. Peut-être que ce sera le cas dans ce roman ? 😉

  9. Hummm, ton commentaire m’a mis en appêtit, surtout avec la référence à Borges…

    Par contre, quel désastre, voir ce qu’on a fait des maths en France !
    Je crois que les enseignants ont une sacrée responsabilité dans ce gâchis, comme s’ils avaient voulu se réserver une part du gâteau de la culture: tiens, pour les punir, d’avoir fait des maths un monstre effrayant, on devrait les dégoûter de la lecture, un peu comme dans « Orange Mécanique »…
    En tous cas je lirai ce livre, ce joueur d’échecs me fait penser, je ne sais pourquoi, à « La joueuse de Go »…

    1. les maths me rebutent, je dirais même les chiffres en général, et je ne sais pas si c’est dû aux enseignants qui ont essayé de me les faire aimer, ou au moins de les maîtriser… arrivée en 3e, j’étais fichue, bien trop abstrait pour moi…

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s