Joan Didion est de ces auteurs assez méconnus en France, peu traduits, qui ne récoltent que louanges et admiration dans leur pays, les États-Unis. Jay McInerney, Bret Easton Ellis, Donna Tartt, nous dit la quatrième de couverture, ont fait de Maria avec et sans rien un livre culte. Culte de la désespérance, de l’envers du décor hollywoodien, du vide existentiel.
Maria Wyeth est née dans une ville qui n’existe plus, s’est mariée à un réalisateur, a connu son heure de gloire avant de sombrer dans le néant qui l’aspire. Elle a une petite fille, enfermée dans un hôpital psychiatrique, et son mari lui donne l’adresse d’un avorteur pour faire passer le nouvel enfant qu’elle porte.
En cette année 1970, c’est la désillusion qui règne et Maria expérimente dans sa chair ce qu’implique le rêve américain. Toujours restée jeune, souriante, disponible, boire, dépenser, faire des projets. Tout ce que fait Maria c’est conduire, avaler des kilomètres de bitume surchauffé au même rythme que les barbituriques.
Joan Didion transmet toute la souffrance de cette jeune femme sans le moindre lyrisme et d’une plume qui observe sans juger. Les phrases sont courtes, précises, d’un grand pouvoir d’évocation. Les scènes se succèdent, des personnages apparaissent comme des acteurs, sans beaucoup de consistance, comme des marionnettes dans la vie de Maria.
C’étaient des choses qu’il pourrait dire mais comme elle ne savait pas s’il les dirait ou même si elle avait envie de les entendre, elle resta assise dans la voiture derrière la station-service 76 de Baker à contempler la cabine téléphonique installée auprès du distributeur de Coca-Cola. Quoi qu’il commence par dire, il finirait par ne rien dire du tout. Il dirait quelque chose et elle répondrait quelque chose et ils n’auraient même pas le temps de se retourner qu’ils se retrouveraient à débiter un dialogue si familier qu’il épuisait l’imagination, bloquait la volonté et leur permettait de lancer des mots et des phrases entières pour en arriver quand même à la conclusion glaciale. « Oh ! Bon Dieu, dirait-il. Je me sentais en forme mais tu y as mis bon ordre, tu as vraiment donné un coup d’épingle dans le ballon. »
L’absence d’analyse psychologique et la froideur du texte (dans son manque d’empathie avec le personnage souffrant) peuvent être assez destabilisantes. En outre, ce livre a été écrit il y a plus de quarante ans, à une époque qui vivait effectivement le désenchantement mais sur laquelle aujourd’hui on a beaucoup lu. En restant à la hauteur du constat, Joan Didion s’est privée d’une véritable analyse sociale qui, si elle est perceptible dans l’écriture des faits, n’est pas explicite dans les mots. La posture décadente est bien là mais il lui manque à mes yeux une poétique.
Ce roman n’est reste pas moins essentiel dans l’histoire des lettres américaines, ne serait-ce que parce que l’auteur fut le mentor de nombreux jeunes écrivains.
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Maria avec et sans rien
Joan Didion traduit de l’anglais par Jean Rosenthal
Robert Laffont (Pavillons Poche), 2007
ISBN : 978-2-221-10967-0 – 231 pages – 7,90 €
Play It As It Lays, parution aux Etats-Unis : 1970
Le côté très froid me dissuade tout de même de le noter. J’ai besoin d’un peu de « chair ».
Il n’ en a guère ici, c’est plutôt glaçant.
Je n’ai pas du tout aimé « un livre de raison », une écriture froide et clinique!
Je pense que celui-ci est dans la même veine…
wow, ça a l’air rude quand même, je ne sais pas trop si c’est pour moi !
Il faut choisir le bon moment pour lire ce genre de livre…
j’ignorais qu’elle était aussi romancière, j’ai beaucoup aimé son essai sur le deuil « l’année de la pensée magique » et en te lisant en particulier quand tu parles du côté distant et froid de la narratrice on imagine le chemin parcouru par cette femme au fil des années
J’imagine que le livre que tu cites est beaucoup plus empathique, je le lirai peut-être pour me faire une autre idée de cette auteur.
comme je ne connais pas trop les auteurs américains récents, je vais le lire ! Le thème me tente bien…
Récent, je n’emploierais pas ce mot, la dame est quand même âgée…
Même si tu n’as pas été emballé, tu rends bien compte du livre et de son atmosphère. Le fait que ce qui semble te manquer reste implicite fait tout l’intérêt du livre (mais ça n’engage que moi). Joan Didion ressemble à un médecin légiste. Ca me fascine complètement. Leurs styles n’ont rien à voir, les thèmes qu’ils développent non plus, mais ça me fait aussi penser à Cormac McCarthy. Quelque part, il a un style très froid, quasi clinique, même s’il met plus de lyrisme dans son écriture et notamment ses descriptions. Globalement, ses romans sont également plus épais (même si « La route » est court). Mais comme chez Didion on ne sait jamais, ou très rarement, ce que pense ses personnages, où ils vont, quel est leur cheminement intérieur, etc. Il n’y a quasiment aucun élément psychologique qui en ressort. Ce ne sont que des faits et des dialogues mais qui ont une puissance évocatrice telle qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent le lecteur très actif. C’est impossible de lire de manière passive leurs romans. Ils interpellent forcément d’une façon ou d’une autre. Mon commentaire dérive jusqu’au milieu de l’Atlantique mais je crois que plus je lis et plus ces auteurs et ce type d’écriture me fascinent.
Je suis entièrement d’accord avec toi pour ce qui est de Un enfant de Dieu de McCarthy : un style très froid, pas de psychologie… i ne m’a pas plus au même titre que ce livre de Joan Didion. Par contre, si je l’ai lu, c’est parce que j’ai été émerveillée par La Route, une vraie claque, même trois ans après ma lecture. Je trouve que ces deux romans n’ont rien à voir, là où La Route nous fait pénétrer au coeur des personnages, Un enfant de Dieu reste en surface pour donner un portrait choral d’un monstre. Non décidément, je crois que la littérature psychologique a ma préférence !
Je pense capter le seuil en deçà duquel ça ne te satisfait pas. Mais ça tient à pas grand chose. Parce que même dans La Route, ça reste très factuel, très froid, des dialogues, des paysages, des faits. Y’a une part d’interprétation énorme dans son récit. On ne connaît quasiment rien de leur passé, rien de ce qu’ils pensent. Tout le roman repose sur leurs actions ou leurs dialogues. Mais il donne suffisamment de billes, en se glissant dans leur peau, pour qu’on se fasse une idée contrairement à Didion qui pose sa caméra et découpe les scènes au scalpel. Du coup, je serai curieux de savoir ce que tu penses de l’objet de mon prochain billet lecture. A suivre donc.
J’avais noté « L’année de la pensée magique » il n’y a pas longtemps chez Mango. Ce titre-ci me tente aussi ! On verra sur lequel je tomberai en premier 😉
Vu le thème, je pense que L’année de la pensée magique est beaucoup plus émouvant, je veux dire par là qu’elle y met plus d’elle-même, plus de chaleur et d’affect.
Je ne suis pas friande des styles froids et cliniques, donc je passe.
Il est bien possible que ce livre ne te convienne pas…
Tiens, je pensais que c’était une écrivaine de self-help books (en raison de l’essai sur le deuil, que je confondais avec l’un de ses livres). J’ai presque failli noter quand tu as parlé de Donna Tartt… mais au vu de ton commentaire, je pense que je vais passer…
Je ne suis pas dans des livres très gais en ce moment…
Moi j’aime aussi les styles distanciés de temps en temps, ça change de certaines logorrhées geignardes qui à force d’en dire trop diluent (là je pense à un livre que je lis mais la critique étant pour le 25, je me tais ;)). Et puis les livres traitant de cette époque me plaisent donc je note !! L’avis d’Aircoba y est aussi pour quelque chose, soyons francs !!^^
Je suis contre le geignant dégoulinant aussi 🙂 C’est jusque que je préfère une dose d’introspection pour m’aider à comprendre certaines psychologies… j’attends le 25 alors, pour voir de quel chef d’oeuvre il s’agit !
J’en garde un peu la même impression que toi : l’atmosphère est là mais c’est trop flou, trop distant pour vraiment marquer le lecteur. Mais la qualité littéraire est là, à défaut de l’émotion !
Je ne crois pas moi non plus être durablement marquée par ce livre…
Un roman bien noir sur une réalité que l’on cache beaucoup trop. Mais pas tentée.
Tiens, je ne connais pas du tout cet auteur ! Je note.
(on dirait que rien a vraiment change a Hollywood en plus de 40 ans !)
Malheureusement, je crois que la superficialité est l’essence de monde-là…
Ah ben voilà j’avais raté ça ! Dommage qu’il ne t’ait pas plus plu que ça mais j’aime beaucoup l’analyse que tu en fais. Tu mets des mots sur ce qui m’a « attrapée » dans ce livre.
Sinon je ne me souviens pas si il devait « visiter » quelqu’un d’autre alors du coup, tu peux me le renvoyer (je l’avais complètement oublié ! ^^), je t’envoie ma nouvelle adresse par mail mais prends ton temps.
Bien reçu ta nouvelle adresse, pas de problème.