Frank McCourt est né en 1930 à Brooklyn de parents irlandais. C’est alors la misère là-bas et ce n’est que grâce à la charité des voisins que les enfants survivent. Car tous les ans, Angela met au monde un autre enfant, des garçons toujours, jusqu’à Margaret qui elle, ne survit pas. Il y a bien de la famille à Brooklyn, mais ces grosses femmes ont réussi et ne veulent pas s’embarrasser de cette famille de miséreux : fin du rêve américain, retour en Irlande pour les McCourt, à Limerick où il n’est plus question de vivre, ni même de survivre, mais de se battre pour ne pas mourir.
Malachy McCourt, catholique du Nord, boit son salaire, quand il en a un, et l’argent du chômage.
J’ai sept ans, huit ans, neuf ans, bientôt dix, et Papa n’a toujours pas de travail. Il boit son thé le matin, pointe au chômage à la Bourse du Travail, lit les journaux à la bibliothèque Carnegie, part pour ses longues marches loin dans la campagne. S’il lui arrive de trouver un boulot à la Compagnie des Ciments Limerick ou aux Grands Moulins Rank, il le perd de toute façon dès la troisième semaine. S’il le perd, c’est que, le troisième vendredi du mois, il va dans les pubs boire tout son salaire et manque la demi-journée de travail du samedi matin.
Il n’y a pas un sou, pas de vêtements, pas de couvertures, mais d’autres enfants encore. Certains meurent, le père boit toujours et la mère quémande. Le froid, la faim, les puces, les mauvaises odeurs, rien n’est épargné aux McCourt et pourtant le père parle toujours de sa fierté, il ne peut même pas s’abaisser à porter des sacs ou à ramasser du charbon tombé des camions de livraison, mais à mourir pour l’Irlande, ça oui, pour son pays, tandis que ses enfants meurent de faim. Jusqu’à ce qu’il parte pour l’Angleterre, l’ennemi de toujours, où il y a du travail en temps de guerre. Mais lui n’envoie rien, pas un mandat et les enfants âgés de onze, dix, cinq et un ans se nourrissent d’eau sucrée. Frank comprend alors qu’il y a toujours pire que ce qu’on a connu, même si on était déjà bien bas.
Et comme on ne peut pas être malheureux tout simplement, il y a le regard des autres : les autres enfants à l’école, les voisins qui parlent et racontent pis que pendre des McCourt, et l’Église qui surveille tout, édicte, dirige, empêche, contrôle. L’Enfer est partout, dans la moindre pensée, et le châtiment toujours présent à l’esprit. Le péché, la confession, les prières rythment la vie du petit garçon qui culpabilise parce qu’il vole des pommes ou du lait… mais que faire ? Mourir de faim ? Les curés eux sont bien habillés et leurs ventres sont pleins…
Ce roman autobiographique aurait pu être infiniment triste et révoltant, et il l’est, mais pas seulement. Frank McCourt devenu vieux écrit en donnant la parole à l’enfant qu’il était, ce qui donne un récit au jour le jour, innocent et spontané. Le petit Frank ne juge pas, il se contente de chercher à manger, d’éviter d’aller à l’école, de se préparer pour sa première communion, de jurer à son père ivre à trois heures du matin qu’il est prêt à mourir pour l’Irlande. Le petit Frank ne se lamente pas, s’il a froid et faim, il essaie d’y remédier. Et comme tous les enfants, il aime jouer, rire et passer du bon temps à l’école en se moquant du maître. Alors que cela aurait été si facile, il n’y a jamais de misérabilisme dans ce roman, et si le contexte est bel est bien sordide, le ton ne l’est jamais. Il tente de comprendre et son regard d’enfant est bien souvent touchant.
Je pense que mon père est comme la Sainte Trinité, avec trois personnes en lui : celle du matin avec le journal, celle du soir avec les histoires et les prières, et puis celle qui se conduit mal, qui rentre à la maison en sentant le whisky et veut que nous mourions pour l’Irlande.
Je suis triste à cause de ses mauvaises actions, mais je ne peux pas me détacher de lui, parce que la personne du matin est mon vrai père et, si j’étais en Amérique, je pourrais dire : Je t’aime Papa ! Comme ils font dans les films, mais on ne peut pas le dire à Limerick de peur d’être ridiculisé.
Ce roman, le premier de l’auteur alors âgé de soixante-sept ans, a remporté le prix Pulitzer.
Il a été adapté au cinéma en 2000 par Alan Parker, trois acteurs jouant successivement le rôle de Frank à différents âges. La misère qu’on devine à la lecture, on la voit ici, on voit même le froid, la fin et surtout la pluie qui tombe sans discontinuer sur Limerick. Le film d’Alan Parker n’a pas la spontanéité du roman de McCourt : là où le romancier raconte son enfance, le réalisateur dénonce. Toute l’innocence du petit garçon, toutes les situations cocasses nées de son incompréhension du monde sont dissoutes dans la crasse et l’injustice.
Si le ton n’est pas fidèle, la reconstitution de l’Irlande ouvrière est impeccable et le film intéressant, émouvant sans être racoleur. Alors bien sûr, on pourra trouver qu’il arrive bien trop de malheurs à cette famille, mais c’est pourtant ce que Frank McCourt a vécu. La réalité est toujours plus terrible que la fiction…
Les cendres d’Angela
Frank McCourt traduit de l’anglais par Daniel Bismuth
Belfond, 2000
ISBN : 9782714433235 – 430 pages – 20 €
Angela’s Ashes, parution aux États-Unis : 1997
J’avais un peu peur du côté misérabiliste mais tu m’as convaincue !
Moi aussi en vérité, mais le narrateur enfant est une très bonne idée pour l’éviter.
Je l’ai lu (avant blog) ainsi que les tomes suivants (moins forts à mon avis, quoique intéressants), Curieusement je me souviens surtout de la mère du narrateur (et le père, bien sûr).
Aujourd’hui bonne journée, tu présentes deux livres que j’ai déjà lus, donc aucun risque.^_^
L’autre est bien plus complexe, j’imagine que tu es d’accord, le plaisir n’est pas le même…
Tout pareil que Keisha, mais « en pire » car je me souviens juste que je l’avais aimé : régulièrement, je l’aperçois et je me dis qu’il me faudrait le relire.
Bouh, je me rends compte à l’instant que j’ai des difficultés à citer les livres que j’ai lus les deux derniers mois, vu que je n’ai rien noté et laissé mon blog à l’abandon ! Vivement les vacances !
Je pense que personne ne se souvient de toutes ses lectures, sauf les plus marquantes… mais un blog est justement une bonne façon de se souvenir de ses impressions.
A lire, dis-tu, et j’en suis convaincue mais je vais pleurer toutes les larmes de mon corps! J’ai vu et revu le film récemment sur TCM, une chaîne qui me permet de voir plein d’anciens films que j’ai manqués. Il était au programme du mois dernier et j’en ai bien profité mais que de malheurs dans cette famille! C’est très réaliste et les images sont superbes. j’ai noté le livre mais je vais attendre un peu avant de me replonger dans une telle vie de misère. Je préférerais lire la suite: sa vie meilleure en Amérique. je suppose qu’il l’a racontée aussi?
A mon avis, le livre est bien moins triste que le film, vraiment, car la vitalité de cet enfant est constamment présent.
j’ai vu il y a quelques années la version filmée et c’était tellement triste et désespérant qu’ensuite je n’ai pas eu envie de lire ce roman.
C’est dommage car c’est vraiment un bon livre.
J’ai son deuxième titre dans ma PAL … le sujet de l’immigration des Irlandais vers les Etats-Unis m’intéresse plus que celui de ce livre ! Pourtant, il me semble qu’il est quand même bien de savoir ce qui se passait en Irlande pour mieux comprendre pourquoi beaucoup sont partis mais je n’arrive toujours pas à me convaincre de le noter !!!
On se demande vraiment pourquoi ils sont rentrés en Irlande. Sûr, ils étaient pauvres à New York, mais vraiment rien à voir avec la misère affreuse de l’Irlande avec par dessus tout le poids de la religion…
Si j’ai aimé , j’ai une préférence pour le second tome où il découvre l’Amérique. Le film, par contre, m’a paru un peu fade.
J’ai trouvé que c’était une belle reconstitution, les acteurs sont bons, mais c’est un peu trop larmoyant.
je n’aurai jamais remarqué ce livre ou ce film si tu n’en avais pas parlé ! j’ai très envie de me faire une session sur la période 1930 aux EU… je connais au final bien peu de choses excepté les films de chaplin…
Ça sert à ça aussi la blogosphère : trouver de bonnes idées 😉
Il y a bien longtemps que j’ai lu ce livre ! J’avais bien aimé, dévoré même je crois, mais aucune envie de voir le film. A lire ton billet, je persiste !
Ça n’est pas non plus honteux comme film, mais rien à voir avec « Midnight Express » par exemple…
Je l’ai lu il y a plusieurs années maintenant après avoir vu le film au cinéma qui m’a permis de mettre des images sur le livre. Je me souviens particulièrement que les dialogues sont intégrés à la narration, c’est quelque chose qui m’avait marqué !
oui, c’est un procédé qui fonctionne bien, même si ce n’est pas très original…
Un roman que j’ai envie de lire depuis longtemps, je finirai bien par le faire. Par contre, j’ai soigneusement évité le film, craignant qu’il soit vraiment trop tire-larmes.
Le livre est plus poignant à mes yeux, parce que justement, le gosse qui parle vit tout ça avec une innocence touchante…
Je l’ai lu mais j’avoue que j’ai été moins enthousiaste. Un pavé parfois lourd à digérer tant les cette famille vit des malheurs.
Lourd à digérer le livre ? Alors là tu m’étonnes vraiment, je n’ai pas du tout ressenti ça…
Je l’ai lu il y a un bail maintenant et j’en ai encore un souvenir marqué. J’avais beaucoup aimé, c’est un récit qui ne peut laisser indifférent. J’avais lu aussi la suite de l’autobiographie de l’auteur dont le destin me fascinait. Très bon aussi, très intéressant, l’auteur a un style vraiment agréable à lire.
Ce qui m’a attirée c’est surtout le récit de ce voyage contraire à tous les autres, de l’Amérique vers l’Irlande. La suite, le jeune homme qui essaie de s’intégrer et de trouver sa place aux USA, c’est moins original…
J’avais du le lire pour l’école (en français et en anglais), je devais alors avoir 15-16 ans.
Comme ce fut le cas de tous les romans lus durant cette période, j’ai pour ainsi dire tout oublié
Tu as raison, le blog aide à fixer nos impressions de lecture. Je prends aussi beaucoup de notes parce que j’ai la mémoire qui flanche facilement.
Bonne nouvelle, ce roman est toujours dans ma bibliothèque ! Je le relirai un jour 😉
Quand j’avais cet âge-là, j’ai dû lire La modification de Michel Butor : qu’est-ce que j’ai pu détester ce livre ! Et puis je l’ai relu, à 30 ans et je l’ai trouvé formidable, je m’en souviens encore et je le relirai certainement !
Ce livre est devenu un grand classique de la littérature irlandaise. Mais en Irlande, la plupart des gens n’aiment pas ce livre car ils disent qu’à cette époque la vie n’était pas si sombre. Mais Frank McCourt parle de la vie de sa famille à lui sans généraliser. En fait en Irlande les gens ont un complexe sur leur période de pauvreté et de famine et ils veulent tirer un trait là-dessus. Du moins, ils l’ont voulu mais à l’heure actuelle c’est plutôt mal parti !
Il y a 2 autres livres qui font suite à celui-ci.
On voit très bien dans le film que les gens sont loin d’être tous aussi malheureux que lui, même certains membres de la famille d’Angela ont plus d’argent qu’elle. Le problème supplémentaire qu’ils ont, c’est que le mari est du Nord et personne ne veut lui donner de travail… La solidarité entre chrétiens a des limites…
je l’avais lu à sa sortie (en anglais), je me rappelle l’avoir trouvé très lourd, tout ce vécu glauque et misérable…., mais bon c’était sa réalité – ce qui m’a plus gênée c’est que son frère s’y est collé aussi, dans le même style 🙄
Si c’était de la fiction oui, on pourrait dire qu’il en fait trop, mais puisque c’est sa vie… le frère par contre oui, c’est peut-être un peu beaucoup…
Parfois la réalité est tellement crue, que l’on peut penser que celui qui la raconte exagère
Comme d’hab, ton résumé est hyper bien fait et donne envie d’aller voir plus loin et en détail
Bon dimanche et bon 1er mai
ttp://www.dromadaire.com/w/descr/34_premier-mai/6302_a-la-recherche-du-muguet.shtml
C’est difficile de savoir si un auteur en fait trop ou pas en racontant sa vie… c’est toujours possible… mais ici, c’est un premier roman écrit sur le tard, j’ai tendance à croire qu’il est sincère même si on a envie de penser qu’autant de misère n’est pas possible…
Je n’ai pas lu « les cendres d’Angela » mais ce que tu en dis me rappelle le livre de Hugo Hamilton : « Sang impur » un récit autobiographique qui se passe aussi en Irlande. Le narrateur est un petit garçon qui raconte avec naïveté la misère, le nationalisme exacerbé du père et la mise à l’index de la famille parce que leur mère (antinazie qui a fui l’Allemagne hitlérienne) est allemande. Un très beau livre aussi.
Effectivement, ce résumé ressemble beaucoup à ce livre. J’ai entendu parler il y a peu de cet Hugo Hamilton car je crois qu’il sort un livre ces temps-ci ; je ne l’ai jamais lu mais il me semble intéressant, en particulier le livre dont tu parles ici.
… et je ne l’ai toujours pas lu. Le côté misérable de chez misérable me freinait. Finalement, je vais le faire entrer dans la LAL. (je ne risque pas grand chose comme ça!)
Il y a la gaité de l’enfance aussi, son innocence au moins, j’espère que j’ai réussi à montrer que le livre n’est pas aussi misérabiliste qu’on le pense…
J’ai lu ce roman il y a bien longtemps et j’avais vraiment beaucoup aimé. J’ai d’ailleurs lu la suite mais je ne me souviens plus du titre. Par contre, je n’avais pas eu envie de regarder le film. Bonne soirée Ys.
Je ne pense pas que je lirai la suite, plus classique comme sujet.
Cela fait longtemps que j’ai envie de voir le film…
Eh bien j’espère que mon billet servira à concrétiser ton envie.
Il traîne dans ma LAL mais je n’ai envie que de livres légers en ce moment.
Pour plus tard alors…
j’ai lu ce roman il y a quelques années, il m’avait bouleversée… rien que de revoir le titre me donne la chair de poule. Je ne savais pas qu’un film existait.
Ça ne m’étonne pas, il est bien possible que j’en garde aussi longtemps le souvenir…
Je l’ai lu il y a fort longtemps. Il m’avait énormément touché. Il a une suite qui m’a moins marqué.
il faut voir les Soeurs de la Miséricordes aussi.
Merci de ce conseil et bienvenue.
Apres la période latine vous repassez au roman américain qui me branche plus! J’ai lu McCourt il y a longtemps et c’est un beau roman, dur, mais une bonne description l’amérique pauvre vue de l’intérieure. On est loin du misérabilisme, c’est une immersion sans décorum, un peu a la Zola, mais le surprenant c’est d’avoir fait un succes au moment de la croissance monstrueuse de Wall Street. Un timing qui avait surpris
Les Latino-Américains n’ont pas dit leur dernier mot ici 😉
Personnellement, j’avais un peu peur du côté violent de la situation des enfants, mais tu me rassures un peu. J’ai ce roman dans ma PAL, et j’hésite toujours à le lire parce que cela parle de l’enfance (presque) maltraitée … Je me souviens un peu du film que j’avais trouvé très dur ! Une chose est sûre, c’est que je lirai « Les cendres d’Angela » malgré tout !
L’enfance malheureuse oui, mais pas maltraitée, au contraire, il y a beaucoup d’amour dans cette famille, peut-être autant que de misère.
Pas vu le film mais lu le livre a sa sortie, une histoire qu’on oublie pas et qu’on lit d’une traite. Merci de m’avoir rappele ce bon souvenir meme si ce n’etait pas tres gai.
Je crois que certaines images me resteront aussi…
je termine ce livre : coup de coeur ! (je demande à ma soeur -qui vit en Irlande- si elle connait : elle me dit c’est un film, mais c’est horrible…. ce n’est pas vraiment mon ressenti à la fin du livre (oui c’est horrible et en même temps…)
J’ai préféré le livre, et le film est en effet très triste.