A la toute fin du XVIIIe siècle, un enfant est aperçu dans les forêts du Languedoc. Attrapé une première fois, il s’enfuit puis à force de patience, entre dans la maison isolée d’un teinturier rapidement dépassé par cet être inédit. Il est d’abord placé dans une institution à Rodez puis envoyé à Paris à des fins d’études et d’éducation.
C’est dans une institution pour sourds-muets que le jeune docteur Itard va s’occuper de lui pendant des années, tenter de le civiliser, de le faire parler et vivre en société. Avec patience et acharnement, Itard obtient quelques résultats, mais bien trop insignifiants aux yeux du gouvernement qui finance le projet. De plus, en grandissant, l’enfant baptisé Victor fait preuve d’une sexualité impérieuse en public, ce qui décide de l’abandon de son éducation.
Le docteur Itard a rédigé plusieurs compte-rendus de ses travaux auprès de Victor et comme François Truffaut avant lui, c’est de cette matière première que l’écrivain américain s’est inspiré pour écrire ce court roman (à l’origine paru dans un recueil de nouvelles).
C’est bien sûr le récit d’un échec que fait T.C. Boyle, en tout cas quand on se place du point de vue d’Itard et du XIXe siècle français naissant. Alors que tout sourit à la science et aux Lumières, cet enfant sauvage fait figure de caillou dans la chaussure. La civilisation est perçue comme un bienfait, un moyen pour l’homme de se libérer de sa condition animale et de s’élever, puisque l’homme est supérieur à l’animal, et l’attitude de Victor devient dès lors incompréhensible. S’ouvre donc le débat entre l’inné et l’acquis, sur lequel T.C. Boyle ne se prononce pas : Victor est-il un taré congénital (raison de son abandon), est-ce la vie sauvage qui a irrémédiablement endommagé son esprit, l’homme est-il une pâte molle dans laquelle l’éducation doit imprimer sa marque civilisatrice ? Est-il le représentant de l’homme à l’état de nature, tel que Dieu le créa ?
J’ai regretté que T.C. Boyle n’engage pas plus la réflexion sur le sujet. Par contre, il décrit de façon passionnante les tentatives d’Itard pour apprendre à Victor à parler, à communiquer, à conceptualiser. Il remet sans cesse sur le métier ses certitudes, tire des conclusions qu’il est prêt à remettre en cause, repart à zéro après plusieurs années, ravale ses déceptions d’homme pour agir en scientifique. A l’instar d’Helvetius qui pensait que l’éducation peut tout, même faire danser les ours, Itard est certain que tout homme peut être éduqué, et de surcroit qu’il est la seule chance pour Victor d’entrer dans la société. Car pour Itard, il n’y a pas d’autre existence que sociale, c’est-à-dire morale. Car malgré tout, le médecin était prisonnier d’un but à atteindre : rendre Victor civilisé aux yeux de ses contemporains, le rendre conforme à ce qu’on attendait d’un jeune garçon au milieu du XIXe siècle. Tout l’horizon d’Itard était limité par des préjugés qui, infranchissables, condamnèrent Victor à l’oubli.
L’enfant sauvage
Tom Coraghessan Boyle traduit de l’anglais par Pierre Demarty
Grasset, 2011
ISBN : 978-2-246-76441-0 – 179 pages – 14 €
Wild Child, parution aux États-Unis : 2010
Au niveau du style, tu en as pensé quoi ?
Ah, la question qui tue ! Eh bien en fait, je n’en ai pas pensé grand-chose… Parfois, l’auteur fait des incursions étranges dans la tête de Victor, genre « il avait peur… il ne comprend pas… », mais sinon, sans que ça manque de descriptions, c’est assez clinique. Ce sont surtout des faits, sans jugement ni interprétation, comme pour ma part j’aurais aimé en trouver (tu vois ce que je veux dire, j’imagine 😉 ). Au final, ça se lit plus comme un documentaire.
Je me souviens trop bien du film de Truffaut, je n’ai pas très envie de me lancer dans cette lecture.
Je me souviens du film aussi, et surtout que Truffaut n’était pas un grand acteur…
Eh bien, on peut dire que TC Boyle n’a pas peur de s’essayer à des genres différents en tout cas. Chaque roman que j’ai lu de lui était une expérience à part, avait sa marque bien particulière (même s’il y en a que j’ai aimé bien plus que d’autres), et on dirait bien que c’est le cas une fois de plus…
Je n’avais jamais entendu parler de ce titre, en revanche.
J’ai lu Un ami de la terre mais n’en garde aucun souvenir. Par contre, j’ai América sous le coude, qui me tente bien.
Pareil. Le « America » est le prochain T.C. Boyle que je m’envoie. Pour l’instant je reste sur le merveilleux souvenir que m’a laissé « La belle affaire ». De source fiable, « America » est au moins aussi bien.
Tu le conseilles ?
Si on veut bien connaître cet histoire oui, pour ceux qui la connaissent déjà, peut-être moins.
Quel riche sujet, c’est l’un des débat du XVIIIeme : nature contre culture… Je ne savais qu’il avait repris cette histoire mais ca a l’air toujours aussi intéressant. Il existe aussi un film. Il faudrait que je regarde tout ca !
Oh oui, c’est tout à fait le genre de lecture qui pousse à la réflexion.
Oh là, j’ai lu un essai sur le sujet il y a…juste après avoir vu le film de Truffaut ( d’ailleurs, il y avait le jeune acteur sur la couv’ ). L’essai est de Lucien Malson, il doit être réédité si cela t’intéresse. ( L’enfant sauvage – ou les enfants sauvages -, mythe et réalité )
Ça m’intéresse en effet, je vais voir ça…
Pas encore lu TC Boyle, mais par contre vu le film de Truffaut (c’est vrai qu’il y est nul comme acteur !), et avant les qqs pages en BD de Cavanna.
Mais c’est un sujet qui interpelle sacrément, surtout pour un « psy », comme le fameux « Moi, Pierre Rivière… » ou le crime des soeurs Papin …
Pour moi c’est resté comme une sorte de fait divers.
Merci en tous cas pour ce CR, j’essayerai de le lire.
PS : Le Lucien Malson cité par emmyne a-t-il un rapport avec le critique de Jazz ?
Moi Pierre Rivière… : quel livre ! J’ai lu ça au lycée, que de discussions, que de prises de conscience ! Et Freud découvert à la même époque, ça cogitait dur !
Je me souviens d’avoir subi deux fois le film de Truffaut (d’acccord avec toi pour ses talents d’acteur) dans le cadre scolaire car il était le dada de deux de mes enseignants… Du coup le livre me laisse de glace !!
Ah la la, on ne ressort pas indemne de certaines obligations scolaires !
excellent souvenir (film), j’avais adoré cette histoire!
Moi aussi, c’est pourquoi j’ai eu envie de lire ce livre.
@ Droopyvert : oui, c’est lui j’ai vérifié. Et ce livre est bien réédité.
Je ne comprends pas très bien ce que Boyle vient faire là-dedans. Une histoire vraie déjà écrite et racontée par l’un des principaux protagonistes, une adaptation cinématographique des années plus tard… En quoi est-ce un roman ?
C’est un roman parce qu’il imagine ce qu’ont pu penser les protagonistes de cette histoire, en particulier Itard, plus rarement l’enfant. Mais ce qui est curieux, c’est qu’il ne s’implique lui-même pas plus que ça, je veux dire qu’il ne prend pas vraiment partie dans le débat.
(je lis les commentaires précédents)
Oui, Emmyne a raison, il me semble d’ailleurs avoir lu le livre de Malson. Mais pas vu le film de Truffault. En revanche, Gotlib (si, si) avait présenté le film de Truffault en BD, mais était ce dans la rubrique à brac ou les Dingodossiers? Tu vois que ma culture fait de grands écarts (Malson-Gotlib). bref, je passerai le roman de Boyle, dont j’avais aimé le roman qui se passe en Afrique de l’ouest (un explorateur )
Tu sais, j’évoquais Pierre Bellemare dans un précédent billet, donc je suis bien d’accord avec l’éclectisme de la culture 😉
Mais Gotlib (et je crois Goscinny en scénario) c’est carrément génialissime!
Je ne connaissais pas du tout mais ça m’intéresse. Je le note plutôt deux fois qu’une !
Bonne lecture !
Je n’ai jamais lu cet auteur mais ce titre-là me semble intéressant et vu son petit nombre de pages, cela me parait bien pour commencer 🙂 Plus que les autres titres de cet auteur que j’ai déjà notés !
Il en a écrit de très gros en effet, j’essaie l’épaisseur au-dessus la prochaine fois.
J’ai déjà noté « Les femmes » de cet auteur et je commencerai sans doute par celui-là car la thématique m’attire davantage.
Cela dit, cette histoire me fait penser au film « Nell » qui m’avait beaucoup plu à l’époque. Il n’est donc pas exclu que je lise celui-ci aussi.
Il faut qu’on arrête de me conseiller des films, hein, parce que je ne vais plus faire que ça !
Vu au lycée justement quand en philo on étudiait l’inné et l’acquis (avant Freud, on a du avoir la même prof !!) mais tout passionnant qu’il soit, je ne sais pas si je relirais ce livre maintenant, quoique…pourquoi pas ??
Boyle a eu la bonne idée de faire court sur un sujet connu puisqu’il n’apporte pas de nouvelle thèse, ça permet donc de bien rafraichir cette histoire.
Ce que tu en dis ne me donne pas très envie de découvrir le livre. Itard et Victor sont très connus dans la communauté sourde et font partie de l’Histoire des sourds. Malheureusement, Itard est tristement connu aussi pour ses expériences barbares auprès des sourds effectuées au nom de la science et pour le mythe de faire entendre les sourds.
Je l’ignorais, mais j’imagine que ces pauvres gens n’étaient pas bien traités à l’époque…
J’ai beaucoup aimé un roman de TC BOyle qui commence par une scène où un blanc manque d’écrser un immigrant mexicain illégal.
Ah, ben mince, quel est le titre ?
Cela fait longtemps que je n’ai pas lu TC Boyle… J’avais adoré Water music et America (si tu l’as sous le coude, n’hésite pas !) mais lu avec un vague sentiment d’ennui Riven Rock et Un ami de la terre. Je ne sais pas si je lirai celui-ci, le titre qui me fera retrouver ce qui m’a plu chez cet auteur n’a pas l’air encore arrivé ! 😉
Je ne saurais te conseiller car je n’ai pas beaucoup lu cet auteur…
Ohlala !!! Ca me rappelle que j’ai vu l’adaptation film quand je devais être en … sixième ou pas loin 🙂
Le temps passe…
Je ne savais pas que ce grand auteur avait écrit sur ce mythe.
Ça n’est pas un mythe mais une histoire vraie…
Un sujet qui n’en finit pas de fasciner on dirait 🙂
C’est que ce débat entre acquis et inné n’a toujours pas trouvé de réponse, au contraire, il soulève toujours plus de questions…
j’ai acheté le livre il est génial ceux qui l’on pas acheté le