A la fin des années 90, Féfé arrive au village de Malihuel, dans la pampa argentine, où il passait enfant ses vacances et où il a encore des attaches familiales. Il veut écrire un livre, dit-il, pourquoi pas un roman policier… Mais son dessein apparaît peu à peu : il souhaite savoir ce qui est arrivé à Ezcurra, un homme qui a disparu vingt ans auparavant, aux premières heures de la dictature militaire. Pour ça, il interroge tous les villageois et dans cette cacophonie de témoignages se dessine le portrait d’un homme, mais aussi celui d’une période fondatrice dans l’installation de la répression à Malihuel, et au-delà, en Argentine.
Le début du roman est déroutant : le lecteur ne sait pas qui est ce Féfé et l’accumulation des dialogues souvent croisés est assez destabilisante. On a l’impression de ne pas savoir qui parle, de mélanger les personnages, de ne plus savoir qui a dit quoi. C’est bien entendu l’effet recherché par ce roman habilement construit. Tout comme Féfé, le lecteur construit le personnage d’Ezcurra d’après ces témoignages contradictoires. Il en ressort que c’était un noceur, coureur de jupons, arnaqueur à ses heures, bref le trublion local que bien peu appréciaient. Et ce fut pire encore quand il se fit journaliste, dénonçant les privilèges, secouant les principes trop bien établis d’une société endormie sur ses vieilles valeurs. Alors oui, Ezcurra a été tué, et oui, le commissaire de police a fait le tour des villageois pour leur demander ce qu’ils pensaient de ce meurtre avant son exécution. Mais il n’était que le bras armé, disent-ils, et Ezcurra, qu’était-il ?
Ezcurra est mort, le commissaire aussi, la dictature est finie, mais les villageois sont toujours là. Certains avouent, d’autres mentent, mais mensonges ou vérités, tous reconstruisent le passé à travers un épisode qu’ils voudraient oublier, comme ils voudraient oublier la dictature. Mais il est encore des gens pour remuer les cendres des disparus, pour mettre enfin les gens en face de leurs responsabilités. Pas des militaires ou des dirigeants, mais des gens du commun qui par leurs silences et leur lâcheté ont laissé faire et laisser s’installer un régime d’oppression. Par leur soumission, les habitants de Malihuel ont accepté la répression et entériné l’installation de la force. Répété à l’échelle d’un pays, c’est ainsi que s’installent les dictatures.
Tout ou presque sur Ezcurra
Carlos Gamerro traduit de l’espagnol par Dominique Lepreux
Liana Levi, 2011
ISBN : 978-2-86746-563-5 – 297 pages – 20 €
El Secreto y las voces, publication en Argentine : 2002
Au final tu as apprécié ta lecture ? Ton résumé est fort intéressant, j’ai l’impression que la littérature s’empare de plus en plus de ce sujet et c’est très bien.
Oui. Je voulais bien mettre l’accent dans mon billet sur la difficulté de lecture au départ, du fait de la polyphonie, mais le plaisir est bien là.
Encore une fois un thème intéressant, en effet ! C’est agréable à lire ?
Si « agréable » est synonyme dans ta question de « facile » alors non, il faut être concentré, mais c’est fort et porte à la réflexion.
Intéressée aussi et de plus, la couverture est très réussie…
« Jeux d’épreuves » ici aussi 😉
Tu fais bien de prévenir que le début est difficile. Je me fais une liste d’auteurs latino-américains qui grossit grâce à toi. Reste à les lire.
Tu vas forcément en trouver à ton goût, bonne lecture !
Je ne connais pas du tout cette période. Je note pour en savoir plus.
La dictature vue de l’intérieur par les petites gens de la pampa, c’est un point de vue intéressant
Cela fait quelques roman que je lis qui tournent autour de ce sujet, cela donne des résultats souvent lourds mais intéressants je dois dire…
Ça n’est pas gai, c’est certain, mais très fort.
Le thème de cette histoire doit être intéressant. je crois que cette période de l’histoire de l’Argentine n’a pas fini de donner de l’inspiration aux auteurs!
Certes non, il en sort encore et toujours !