Effacement de Percival Everett

EffacementQuand on est un écrivain noir américain, on écrit sur les Noirs aux États-Unis, c’est comme ça, ça tombe sous le sens. Sauf sous celui de Thelonius « Monk » Ellison qui lui écrit sur les mythes grecs, des réécritures d’Eschyle, d’Euripide… Et comme sa photo est reproduite en quatrième de couverture, ses romans sont classés en littérature afro-américaine. Déprimant. Évidemment, il n’en vend guère, pas assez noirs ses livres, comme le lui répète son agent.

Quand l’abominable livre d’une improbable jeune femme noire fait un tabac parce qu’il prétend décrire de façon authentique la vie dans le ghetto, Monk se fâche et décide d’écrire une parodie de ce best seller. Il y met tous les clichés : violence, vulgarité, ignorance, sexe, situations sordides, personnages stéréotypés. Son agent trouve ça formidable et bientôt, on s’arrache le manuscrit, écrit bien sûr sous pseudonyme. Monk en attendant touche le fond, il n’arrive pas à comprendre l’engouement du monde littéraire pour une telle supercherie que tout le monde prend pour un récit criant d’authenticité. Mais la mère de Monk est malade et il doit accepter cet argent providentiel.

Dans Effacement, le premier de Percival Everett, la dénonciation du monde des lettres américaines fait sourire plus d’une fois. Les auteurs sont catégorisés, les lecteurs conditionnés par les avis de critiques prêts à encenser ce qu’on leur demande par crainte de ne pas être au goût du jour, les émissions littéraires sont des spectacles de marionnettes et les prix suivent le mouvement. Beaucoup d’ironie du début à la fin, et un regard tout à fait désenchanté.

Parallèlement à cette dénonciation en règle, Percival Everett raconte la vie de Monk, sa vie en famille alors que celle-ci change radicalement. Lui est célibataire, sa sœur, médecin pratiquant des avortements, est assassinée, son frère avoue son homosexualité à sa femme qui le quitte, sa mère perd la tête et doit être placée en maison spécialisée et il finit par trouver des lettres adressées à son père qui lui révèlent que ce dernier a eu une liaison extra-conjugale. Avec beaucoup de sensibilité et de simplicité, on voit la vie de cet homme, universitaire sérieux, se désagréger. Et on comprend ce que Percival Everett a cherché à faire en juxtaposant ces deux lignes narratives : lui, auteur noir américain, raconte très bien les tourments d’un homme comme les autres, que cet homme soit blanc ou noir n’y change rien, que lui-même soit blanc ou noir non plus. Il démontre par la pratique que le concept de littérature afro-américaine n’est pas pertinent en dehors du marketing.

Pour moi, écrire ne relevait ni du témoignage ni du geste de protestation sociale (même si, d’une certaine façon, écrire en relève toujours) et je n’étais pas non plus porté par une prétendue tradition orale. Je n’avais jamais eu l’intention de libérer qui que ce fût, ni de produire la peinture authentique dernier cri de la vie de mon peuple, n’ayant jamais eu de peuple dont j’eusse une idée assez précise pour le peindre. […] J’étais victime de racisme pour n’avoir pas reconnu de différence raciale ni accepté que mon art fût défini comme un exercice autobiographique émanant d’un représentant d’une race. Je devais donc d’échapper à l’oppression économique à un livre du même acabit que ceux que je jugeais racistes.

Percival Everett sur Tête de lecture

Effacement

Percival Everett traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut
Actes Sud, 2004
ISBN : 978-2-7427-4764-8 – 365 pages – 23 € (existe en poche)

Erasure, parution aux Etats-Unis : 2001

45 commentaires sur “Effacement de Percival Everett

  1. Existe à la bibli, j’ai vérifié; ce titre me dit plus que Le supplice de l’eau. Tu m’as convaincue, ce titre a tout pour me plaire. En décalage et informatif?

    1. En décalage, c’est certain, c’est surprenant. En fait, quels auteurs afro-américains ne parlent pas de leur communauté ? Et à l’inverse : quel auteur blanc parle des Afro-américains ? Les auteurs semblent contraints, idéologiquement ou par les médias…

  2. J’ai noté le nom de cet auteur depuis plusieurs années, mais je n’avais pas encore été tentée par un titre précis. C’est chose faite.

  3. Je veux le lire !!! C’est terrible! tu m’as donné envie de le lire là, maintenant!Tous les thèmes m’intéressent … pourvu qu’il soit à la biblio!

  4. J’ai bien aimé « Désert américain » de ce t auteur, mais là, je sors d’un roman satirique sur le monde des lettres aux States, et cela ne me dit donc rien d’y retourner pour le moment !

  5. J’avais adoré Désert américain mais avais été plutôt déçue par Glyphe (que j’ai trouvé assez compliqué) et j’hésite entre celui-ci et Blessés pour ma prochaine lecture de lui ! Mais en tout cas, l’auteur a bien raison de dire que le fait que les auteurs soient blancs ou noirs ne changent rien … je ne savais même pas qu’il était noir et ne l’ai appris qu’après mes deux lectures, et rien ne transparait dans ses livres. De toute façon, cela ne changerait rien pour moi : il pourrait tout aussi bien être vert ou bleu que je le lirais quand même avec plaisir 🙂 mdr !

    1. En France, ça n’est pas comme aux USA, il n’y a pas forcément la trombine de l’écrivain sur le livre, alors il a une chance de faire carrière ailleurs qu’en littérature afro-américaine chez nous 🙂 Non sans blague, heureusement qu’on n’a pas encore ce genre de classement en libraire…

  6. Ah, l’un de mes livres préférés…
    Je suis en train de lire son dernier, « Pas Sidney Poitier », mais j’avoue qu’après « Effacement », j’en attends tellement d’Everett, que j’éprouve toujours une petite pointe de déception…

  7. Je dirai que n’importe quel concept classifiant un livre n’est pas recevable hors du marketing qu’il y a autour, de manière plus générale.
    A lire donc (enfin, à noter et on verra quand j’aurai un peu plus de temps)

  8. Ça fait un moment que j’ai cet auteur en vue mais je n’ai toujours pas sauté le pas, en plus j’hésitais sur les titres. Celui-ci semble valoir vraiment le détour, voilà qui réduit mes hésitations!

  9. Merci pour cette découverte, je ne connaissais pas cet auteur. Ton blog est le royaume des auteurs peu ou pas assez médiatisés, pour ça : un grand merci !

  10. Comme Manu, ce titre d’Everett, acheté sur la foi des nombreux conseils qui m’ont été donnés à la suite de la parution de mon billet sur Blessés, est toujours dans ma PAL. Il va falloir que l’en extirpe dare-dare.

  11. Prudemment, je ne relis ton billet qu’après avoir écrit le mien. Un bout de passage cité en commun, mais c’est inévitable ^_^
    Tu l’auras compris, j’ai lu ce roman et te dis merci! très riche roman, il y aurait trop à en dire. Je n’ai pas tout compris, je l’avoue (les dialogues en italique, intéressants, mais?) mais suffisamment pour y prendre grand plaisir et réfléchir.

    1. J’ai beaucoup aimé la parodie de roman, ça m’a bien fait rire. Je l’ai entendu en fin de semaine à la radio, il n’est lui-même pas si drôle que ça, et surtout, pas bien causant, ça n’était pas facile pour les journalistes, quarante minutes avec lui…

  12. Je viens enfin de le sortir de ma PAL car l’auteur sera à la foire du livre ce samedi ! Excellent ! Du bon roman américain comme j’aime.

    1. il faut absolument que je lise à nouveau cet auteur, en plus, je n’ai que l’embarras du choix car tous ses titres me tentent.

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