Avril rouge de Santiago Roncagliolo

Si la couverture laisse présager un livre assez dur, le début est en fait assez léger, digne même de scènes de comédie. Félix Chacaltana Saldívar, substitut du procureur de district de Huamanga, Pérou, est en charge d’un dossier qu’il voudrait clore au plus vite : un cadavre carbonisé a été retrouvé dans un village, nul ne sait qui c’est, nul ne s’en préoccupe, et surtout pas Félix Chacaltana. Oui mais voilà, Félix est très pointilleux, très procédurier et il lui manque le rapport du capitaine qui ne répond pas à ses multiples courriers. Il insiste Félix, il insiste, et on a beau essayer de lui faire comprendre qu’Ayacucho, ça n’est pas Lima, il n’en démord pas, les lois sont les mêmes pour tout le monde…

Ce comique et tenace petit fonctionnaire, qu’on imagine volontiers myope, chauve et rondouillard, va pourtant devoir se rendre à l’évidence : au Pérou, les lois ne sont pas les mêmes pour tous. Envoyé dans les montagnes profondes pour surveiller les élections présidentielles, il assiste à un déferlement de violence destiné à intimider les villageois qui de toute façon ne parlent quasiment pas l’espagnol et ne connaissent pas leurs droits. Il pense renfort de police, punition, éducation… avant de se faire lui-même tabasser. Car le terrorisme règne en maître, sans que personne n’y fasse rien : après les terribles années 80, le Sentier lumineux qu’on croyait disparu est revenu avec son cortège d’attentats et de morts.

Les cadavres vont se succéder pendant la semaine sainte alors que les touristes affluent à Ayacucho. Félix Chacaltana Saldívar voudrait bien se reposer, discuter avec sa maman (morte depuis des années), passer du bon temps avec la jeune Edith qu’il vient de rencontrer, mais voilà qu’il est officieusement chargé de l’enquête par le commandant Carrión, la plus haute autorité militaire en ville. Il prend alors de l’assurance le petit fonctionnaire, envers et contre tout.

Avril rouge de Santiago Roncagliolo parvient donc étonnamment à mêler le comique et la violence. Enfin surtout au début, car quand les cadavres s’accumulent et que les actes terroristes se succèdent, ça devient nettement moins drôle. Mais ce Félix Chacaltana Saldívar est une heureuse trouvaille, loin du flic déprimé, corrompu ou génial.

L’intérêt principal de ce roman policier réside cependant dans l’état des lieux qu’il dresse du Pérou d’Alberto Fujimori, et autant dire que ce n’est pas beau à voir. C’est un pays sans loi où la police ne peut rien sauf ramasser les cadavres au petit matin. Les militaires ont tous les droits pour lutter contre le terrorisme et se servent de ces prérogatives pour pour faire régner la terreur. Dès lors, des villages entiers peuvent être massacrés pour peu qu’ils soient suspectés de terrorisme.Comme on le voit très bien dans ce roman, la lutte anti-terroriste permet tout, surtout de régler les comptes du passé. Le Pérou d’Humala sera-t-il celui du renouveau et de la paix ?

Voilà donc un roman qui réussit à conjuguer une intrigue intéressante, un héros original et consistant, et une dénonciation politique efficace.

Santiago Roncagliolo sur Tête de lecture

 

Avril rouge

Santiago Roncagliolo traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli
Seuil (Points n°P2142), 2009
ISBN : 978-2-7578-1308-9 – 312 pages – 7 €

Abril rojo, parution au Pérou : 2006

33 commentaires sur “Avril rouge de Santiago Roncagliolo

  1. Jolie découverte que ce personnage et une bonne façon sympa de se plonger dans ce pays, bien dépaysant pour les vacances il va s’inscrire tout de suite sur ma liste à emporter et puis ça change en effet des héros alcoolos et déjantés !

    1. Ce qui est triste, c’est que ce livre est encore d’actualité. Je n’étais bien sûr pas au Pérou ces derniers temps, mais la campagne électorales et les élections ont eu l’air mouvementées. Heureusement, les Fujimori ne l’ont pas à nouveau remporté…

  2. Bien joli polar pédagogique. Qu’il nous incite, comme les radars, à ouvrir l’oeil, tant l’erreur serait de croire que tout cela, après tout, est bien loin et ne nous concerne pas.

  3. Beaucoup de polars et de romans noirs sont maintenant de très bons prétextes à décrire les sociétés des pays dans lesquels ils se déroulent, et malheureusement, ce n’est que rarement beau à voir. ce sont des romans sociaux plus que des polars. Et tant mieux finalement.

    1. C’est certain, les société que les auteurs de polars nous présentent, qu’ils soient Américains du Nord ou du Sud, Européens et autres, ça n’est jamais les Bisounours !

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