Si vous ne connaissez pas encore la famille Lambert de Saint Jude, Midwest, Jonathan Franzen se charge de vous la faire découvrir, dans ses moindres détails, branches rapportées comprises. A travers ces quelques sept cents pages bien serrées, le lecteur découvre les aspirations d’Alfred et Enid, les parents (des petits bourgeois pleins de projets pour leurs trois rejetons), et «les corrections» de Chip, Gary et Denise, qui forcément, rêvent de faire mieux.
Faire mieux que le Midwest, faire mieux que la tyrannie familiale, faire mieux qu’employé d’une compagnie de chemins de fer à l’agonie. Chaque partie est consacrée à l’un des enfants et au couple, en revenant largement sur leur passé, pour culminer lors du fameux repas de Noël dont il est question tout le long du roman. Car Alfred est atteint de la maladie de Parkinson et Enid est certaine que le Noël à venir sera son dernier. Elle tient donc à réunir tous ses enfants, une dernière fois, une toute dernière fois. Mais ceux-ci ont d’autres chats à fouetter, ou s’en donnent l’air.
Chip a été viré de son poste d’enseignant à la fac avant sa titularisation pour avoir couché avec une de ses étudiantes. Depuis, il s’emploie à rédiger un scénario avant-gardiste pour Hollywood, et à dépenser l’argent de sa sœur. Car Denise est devenue un grand chef, s’est même mariée à un Juif canadien sans avertir ses parents, puis a divorcé, cauchemar pour Enid. D’ailleurs depuis, ne fréquenterait-elle pas un homme marié ? Aurait-elle eu des relations coupables avant mariage ? Enid est horrifiée, presque autant que devant l’attitude de Caroline, sa belle-fille qui refuse ab-so-lu-ment de venir passer Noël à Saint Jude depuis huit ans. La discussion sur le sujet avec Gary tourne d’ailleurs au vinaigre et les amène à deux doigts du divorce.
Les malheurs et déboires de cette famille américaine comme les autres auraient certainement pu lasser si Jonathan Franzen ne nous les contait sur un mode des plus réjouissants. On sourit du début à la fin tant l’humour est terriblement bien dosé : juste ce qu’il faut de critique sociale, de ridicule, mais aussi de réalisme. Car même cynique, c’est bien un miroir de l’Amérique, celle d’avant le 11 septembre, que nous tend Franzen dans Les Corrections, avec un poil de tendresse aussi pour tous ces gens. Car même si Enid est une bigote réactionnaire comme on n’en voit que dans le Midwest, même si elle ne se soucie que du qu’en-dira-t-on et des apparences, elle est pleine d’amour et finit par être attendrissante. Plus difficile d’apprécier Alfred, un vrai tyran domestique, mais Franzen dévoile également l’envers de la carapace et sa fin le rachète. Les trois enfants sont de petites épopées à eux tout seuls, des destins certes quelconques mais brossés sur un ton qui fait d’eux les êtres les plus complexes du monde moderne.
Il y a bien quelques longueurs dans Les Corrections, tant Franzen décortique tous les personnages, même les secondaires, avec une précision d’entomologiste. C’est qu’il brosse des personnalités, qu’il travaille à faire comprendre comment Chip, Gary et Denise ont raté le grand virage de l’ascension sociale et intellectuelle. Ils le doivent certes à leurs parents (merci monsieur Freud), mais aussi à tous ceux qui ont croisé leur route et les ont fait devenir ce qu’ils sont. C’est d’ailleurs ainsi qu’on comprend que leur désir de ne pas ressembler à leurs parents est assez vain et pathétique : à négliger ce que la société peut faire d’eux, ils donnent l’impression de s’agiter comme des moulins à vent. Et comble de malheur, il ne suffit pas de quitter le Midwest pour réussir sa vie…
Le point de vue de Jonathan Franzen sur l’Amérique moyenne n’a rien de réjouissant et pourtant, c’est un portrait vraiment drôle qu’il trace ici, rien à voir avec le pensum expérimental ou le pavé décadent et existentiel. Le romancier cherche aussi à amuser son lecteur, qui s’en plaindrait…
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Les corrections
Jonathan Franzen traduit de l’anglais par Rémy Lambrechts
L’Olivier, 2002
ISBN : 978-2-87929-296-4 – 715 pages – 21 €
The Corrections, parutions aux États-Unis : 2001
C’est un roman qui ne m’a jamais tentée, et puis avec les interviews qui se multiplient sur son dernier livre, voilà que je change doucement d’avis.
Il est également question d’une famille américaine dans Freedom, mais post 11 septembre. Je le lirai car j’ai vraiment apprécié celui-ci.
Je garde un horrible souvenir de ce roman lu à sa sortie. En lisant ton avis, je m’interroge. Est-ce que j’étais trop jeune ? En général, on se rejoint plus ou moins sur les romans américains.
Horrible, vraiment ? Il n’est pourtant pas difficile à lire… ça n’est pas du Pynchon 🙂
Ma libraire me l’a mis dans les mains la semaine prochaine, en me disant qu’il fallait que je le lise, et en me parlant de son nouveau… Alors on va voir !!!
Oui, on va voir, je surveille…
Un bon souvenir de lecture, mais il y a longtemps en tout cas. j’ai même lu un de ses essais depuis , intitulé Pourquoi s’en faire? Donc son dernier roman m’intéresse.
Contente que tu aies aimé Les corrections!
Moi aussi son dernier m’intéresse, tu t’en doutes, alors j’ai préféré lire celui-là d’abord, je suis certaine qu’il sera intéressant de les comparer.
Ce roman me fait un peu peur… peur de m’ennuyer, de me lasser. Surtout avec tout ce qu’on entend déjà sur son dernier qui vient tout juste de paraître… Je ne suis pas sûre d’apprécier les romans aussi détaillés, même si le portrait de l’Amérique pré 11 septembre est un sujet intéressant… (peut être plus que le post 11 septembre finalement puisque ça fait un peu moins de 10 ans que j’ai le sentiment que tous les romans américains qui paraissent ne sont que ça!)… Bref, peut être que je me pencherai sur ces corrections un jour donc, tu en parles tellement bien que ça me donne envie !
Je l’ai ouvert avec appréhension, à cause du titre, je craignais un aspect expérimental dans l’écriture, mais pas du tout. Ce livre n’est pas difficile à lire, bien au contraire, on peut même le prendre pour une comédie.
J’ai lu aussi Les corrections il y a longtemps… à sa sortie, je crois. J’avais beaucoup aimé, et je me réjouis de celui qui arrive !!
C’est un des livre star de la rentrée étrangère, peut-être même LE livre.
Il est dans ma PAL depuis sa parution polémique mais je voulais laisser un peu retomber le soufflé avant de m’y attaquer ! Moralité : je l’ai carrément oublié ! A ressortir donc 🙂
Je crois en effet que maintenant, tu as attendu assez longtemps 🙂
Un bon souvenir de lecture, mais pas un coup de cœur, ça j’en suis certaine… Je ne sais pas si je lirai Freedom.
Mais si, tu vas voir, tout le monde en parle tellement que tu vas finir par craquer !
Je l’ai depuis un moment qui trône dans ma bibliothèque. J’attends une vraie semaine de vacances au calme pour me le faire. Mais ça m’étonne pas que t’aies aimé 🙂 Je suis sûr que ça sera la même pour moi.
Je n’ai absolument aucun doute là-dessus : ce livre te plaira.
J’hésite sur les longueurs….et comme, pour éviter d’engorger ma LAL, je me suis décidée à ne noter que les coups de coeur des uns et des autres, je passe …
C’est certain qu’il est préférable d’avoir un peu de temps devant soi. Perso, je l’ai lu en vacances, avec d’autres pavés…
J’avais adoré ce livre moi aussi. Et je crois que je me laisserai tenter par le nouveau
Je ne l’ai pas encore mais ça ne saurait tarder, si tu veux, on pourra le lire ensemble.
On peut organiser une lecture commune mais pas tout de suite (voyage en septembre)
merci, mais je vais devoir le lire avant, pour une formation…
J’ai ce livre dans ma PAL depuis des années. Je l’ai entamé y a de longs mois, pour m’interrompre et courir après un autre au bout d’une cinquantaine de pages. J’ai le vague souvenir d’avoir eu grand mal à plonger dans ce livre en raison du nombre de personnages. La précision d’entomologiste, comme tu dis, ne m’a guère aidée à m’y retrouver, je pense.
Bref, il est toujours dans ma PAL, j’aspire à récidiver; mais non sans appréhensions…
Je n’aborde jamais ce genre de pavé sans un papier et un crayon. Pour en garder trace d’abord, et ensuite pour ne pas mélanger les personnages… je vieillis…
Ton commentaire me donne vraiment envie de découvrir cette histoire, d’autant plus qu’on vient de m’offrir ce livre. ça tombe bien 🙂
C’est un signe en effet : lis-le !
C’est drôle mais j’avais dans l’intention prochainement de lire ce livre (qui traine dans ma PAl depuis des lustres) et ton avis me donne encore plus envie. Je pense le lire pour le mois de septembre. Allez, c’est dit, je le fais!
Vu le nombre de blogueurs qui semblent avoir ce livre dans leur PAL, je suggère une lecture commune…
Les lectures se suivent mais ne se ressemblent pas ! Autant le précédent « les auto tamponneuses » ne m’avait pas interpellé, autant celui-ci a l’air très tentant… Je trouve que les livres humoristiques sont difficiles à dénicher… En plus, je suis de plus en plus fascinée par la littérature américaine… Mais bon, il faut déjaà que ma période sud-américaine et espagnole me passent… Je suis plongée dans cette littérature depuis une semaine… et j’ai fait de belles découvertes…
J’aime beaucoup la littérature latino-américaine, je la lis par période aussi, alors j’espère qu’elle ne te passera pas trop vite, je trouve qu’en général, elle est mal connue.
Jamais pu le terminer et pour l’humour, ben je dois être passée complètement à côté ou alors ça commence après la page 147…
Ça n’est pas à se tordre de rire, je te l’accorde, mais les différents portraits qui jalonnent ce livre m’ont fait sourire du début à la fin… Chip est le premier personnage qu’on découvre : ses déboires sentimentaux ne t’ont pas amusée du tout ?
J’ai aussi eu envie de ce roman après tout le battage concernant son dernier. Je l’ai donc acheté tout récemment mais pas encore lu (comme beaucoup de gens, apparemment). Je ne lis donc pas trop ton billet, mais j’espère aimer autant que toi !
C’est typiquement le livre dont on se dit « il faut que je le lise un jour ». Et puis le temps passe, il est épais, la poussière aussi 🙂
J’ai lu « Les corrections » il y a bien longtemps et j’ai adoré. Par contre, j’ai détesté « Freedom », j’ai vraiment dû me forcer à le terminer…
http://popupmonster.wordpress.com/2010/12/30/encore-quelques-livres-et-un-bilan-de-pal-pas-tout-a-fait-rose/
Je vais aller lire ça…
A l’époque de sa sortie, je n’avais pas été convaincue… Mais je crois que je suis passée à côté. J’ai donc acheté Freedom pour voir…
Après ce premier opus, j’ai hâte moi aussi de m’atteler à Freedom.
Je l’ai lu au moment de sa sortie et j’avais adoré. Mais je me rends compte qu’il ne m’en reste pas grand chose (je me souviens l’avoir lu très vite). Je suis en plein dans « Freedom » où je retrouve pas mal d’ingrédients décrits dans ton billet. A voir sur la longueur (car c’est encore une belle brique).
Avec les blogs maintenant, il restera toujours quelque chose de nos lectures 😉
Tu donnes vraiment envie de le découvrir… c’est vrai que c’est un petit pavé… mais ça l’air de valoir le coup. (J’avais déjà zieuté lors de sa sortie et en poche aussi si je ne me trompe, avec les divers avis lus, mais tu fais à nouveau pencher la balance vers le côté achat-obscur de la force 😉
L’acheter puis le lire, voilà le programme…
De l’humour et la société américaine par le petit bout de l alorgnette, je suis preneuse. Moins pour les longueurs.
C’est un peu le Balzac de la société américaine contemporaine ce Franzen : c’est long parfois mais on apprécie quand même…
Je viens de me procurer Freedom…je note celui-ci!
Ce Freedom est en passe de devenir une des meilleures ventes de la rentrée.
dommages pour les longueurs, ça me tentait bien.
Elles ne m’ont pas gênée, mais j’imagine qu’elles peuvent lasser…
je viens de terminer Freedom, son « petit » dernier : comme celui-ci, il fait environ 700 pages. ta chronique me fait penser que les deux romans se ressemblent beaucoup, même s’il semble avoir su innové avec Freedom.
et puis, si le récit commence dans les années 70, nous évoluons assez vite dans l’après 11 septembre, avec les deux rejetons devenus étudiants et des parents vieillissants, un peu à bout de nerf et/ou au bout du rouleau. on s’attache beaucoup à Walter, l’un peu trop gentil mari rassurant et aimant, tandis qu’on a plus de mal avec Patty (une femme fragile et névrosée), son épouse. chez les enfants (2), c’est un peu pareil : la fille, qui semble regorger d’un millier de qualités, le fils, qui renie ses parents à 17 ans et ne pense très vite qu’à l’argent. la surprise du texte de franzen est qu’il ne s’arrête pas sur ces personnages fondamentalement bons ou presque, mais sur les torturés, les ignares, les infidèles. la famille américaine en prend sur son grade dans Freedom.
Pas seulement la famille en fait, mais aussi tout un système et une manière de penser, que Franzen dénonce avec la loufoquerie qu’il accorde à ses personnages.
enfin bref, je n’ai pas encore écrit ma chronique et ma lecture est toute fraîche, alors j’ai du mal à organiser un commentaire, mais j’ai trouvé que c’était un très bon roman que ce Freedom, avec quelques longueurs, mais des longueurs qui se sont avérées pas inutiles et pas déplaisantes.
Je pense en effet que Freedom a des points communs avec Les corrections, c’est bien pour ça que je l’ai lu avant car il sera sans aucun doute intéressant de voir l’évolution.
C’est un auteur que j’hésite à lire depuis longtemps… je sais que c’est assez stupide mais en général je suis plus attirée par les romans sur la classe moyenne anglaise, du moins l’Angleterre m’attire davantage ces dernières années. Ce que tu en dis m’intéresse en tout cas, du coup je le note dans mon carnet même si jusqu’ici je ne faisais que le remarquer en librairie 🙂
La surprise pour moi a été l’humour de Franzen, je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus austère, et surtout de moins accessible.
Je suis en plein dedans, en ce moment, et j’adore. Je n’ai pas du tout ressenti l’impression qu’ont certains d’une trop grande complexité (comme vous le dites bien, Pynchon est autrement plus déconcertant) et il n’y a pas tant de personnages que ça au final – il y a pire, sans même aller chercher chez Tolstoï !
J’ai également beaucoup aimé Freedom, lu l’année dernière, mais je pense que Les Corrections me laisseront un souvenir plus durable. A bientôt, quand vous l’aurez lu !
J’ai écouté hier soir Le Masque et la Plume et j’ai été assez atterrée par les avis chroniqueurs masculins qui dénigraient Freedom pour des raisons qui se trouvent aussi dans Les corrections. C’est étrange que ces gens-là soient critiques littéraires et ne sachent pas reconnaître un grand auteur quand ils en lisent un…
J’ai écouté moi aussi l’émission – à chaque fois je me dis qu’on ne m’y reprendra plus, ils m’énervent à un point… Je pense qu’ils ressentent une forme de jouissance à être « seuls contre la marée ».
Je n’ai pas lu celui-ci mais j’ai très de lire le dernier. Un point le laisse sceptique: les romans de cet auteur sont considérés comme des chefs d’œuvre mais ce dernier roman ne figure pas dans les choix des grands magasins dont je tairai les noms. Bizarre,non?
J’ai lu « les Corrections » en 2004 sans en avoir une impression digne de ses échos médiatiques.
A l’occasion de la sortie de « Freedom », je l’ai relu et, ce coup-ci et quelques années de plus,
je l’ai vraiment apprécié et considéré comme un roman-témoin de ce siècle tel ceux de Balzac ou Tolstoi. Outre la peinture d’une société dans toutes ses couches, ses strates, le style est percutant par son intelligence, son choix des mots et de leur association.
J’espère que « Freedom » me donnera cette bouffée de bonheur littéraire.
@Valérie : comme le faisait justement remarquer Yspadadden, le Masque et la Plume (ou plutôt les critiques masculins) ont descendu Freedom en flèche ; je crois de plus en plus qu’il faut se fiche de ce que peuvent bien mettre en avant les chaînes de « librairies » et les critiques de tout poil, et aller vers ses coups de coeur. On n’est pas obligé d’avoir tout le temps les mêmes que la critique. Remarquez que Franzen n’a pas besoin de l’assentiment des critiques du Masque, ni d’être en vue sur les tables des supermarchés du livre, pour se vendre comme il faut.
@Michka : Vous ne serez pas déçu(e ?) par Freedom pour ce qui est du style, tout à la fois fluide et percutant. Par contre, si je suis émerveillé par la peinture que fait Franzen de la classe moyenne américaine, je ne dirais pas qu’il dépeint la société dans toutes ses strates. Même Chip ne fait pas partie des « damnés de la Terre » dans Les Corrections et même les Meisner ou les compagnons de croisère des Lambert ne comptent pas parmi les ultrariches. Et on reste entre blancs, si je ne m’abuse, chez Franzen ; or les Etats-Unis sont tout autant divisés par les frontières raciales que par les frontières économiques… Ceci dit, nous serons bien d’accord pour dire que ce sont de diablement bons romans !
Je voudrais aussi faire partager mon admiration pour la traduction. On le sait, les traducteurs sont aussi en quelque sorte des auteurs.