Simon est un dessinateur de BD un peu en rade : il ne dessine plus d’albums, ne sait pas bien ce qu’il veut, ne communique pas avec Claire, sa compagne. Il est là mais pas vraiment, toujours ailleurs sans savoir vraiment où. Jusqu’au jour où il est invité à un festival de BD au Portugal et qu’il découvre ce pays qui est celui de ses ancêtres paternels. Lui y est allé petit, pour voir la grand-mère, mais les souvenirs sont bien lointains. C’est le déclic qui le fait accepter, quelques temps plus tard, de se rendre en Bourgogne au mariage d’une cousine, dont le père (frère du sien) est lui né au Portugal.
La première partie de Portugal de Cyril Pedrosa est consacrée à Simon, la deuxième à son père et la troisième à son grand-père. Toute sont racontées par Simon, qui met peu à peu bout à bout les pièces du puzzle familial. Pourquoi son père et son oncle sont-ils si éloignés ? Pourquoi le grand-père a-t-il jadis quitté le Portugal pour ne plus jamais revenir alors que le grand-oncle est rentré, lui ? Enfin qui y a-t-il dans ce pays qu’il ne connait pas qui le fascine tant ?
J’avais été captivée par la force de Trois ombres de Cyril Pedrosa, il me fallait donc lire ce volumineux opus. Il faut bien constater que la puissance émotionnelle n’est pas aussi forte, le sujet étant moins grave. Le narrateur entreprend une quête personnelle qui l’amène à croiser beaucoup de gens : il les regarde, les écoute, ne parle pas beaucoup et ne livre donc pas au lecteur son cheminement. Comment peut-on dès lors se faire une place dans ce récit intime ? Comment la recherche identitaire d’un type un peu à la ramasse, pas même sympathique, peut-elle nous intéresser au point d’en lire 250 pages ?
Pour ma part, c’est le graphisme qui m’a saisie : j’ai eu dès le début envie de suivre ce petit maigrichon paumé aux yeux comme des billes. Il est de passage dans le monde, très seul malgré les gens et sa solitude est vraiment sensible. L’environnement hostile est rendu dans les visages, celui des gens dans le métro mais aussi celui de Claire. Les couleurs sont très importantes, très sépia au départ, limite monotones, puis la couleur se pointe petit à petit au Portugal, et à nouveau le monochrome avec le retour en France.
Au Portugal, tout est beaucoup plus rond et lumineux, les rues se font tortueuses, invitent à l’exploration. L’épisode bourguignon est bien plus contrasté, ombres et lumière, des visages et des gestes expressifs. Pedrosa peint des scènes de famille comme on en a tous vécu, beaucoup de gens, la joie parfois factice, l’émotion des parents, les conversations nocturnes qui n’en finissent pas… mais il ne cède pas pour autant à la facilité, on ne sait pas comment les personnages vont évoluer, pas vers un happy end consensuel en tout cas…
La recherche se centre autour des figures masculines, le père et le grand-père. Le père de Simon est né en France, il ne revendique pour toutes racines que le travail intensif. Ordinateurs, voitures, très jeunes femmes, pas mal d’argent… mais pas de véritables relations avec son fils ni avec son frère. Ce frère, l’oncle de Simon, est le maillon entre la France et le Portugal, lui qui y est né. En retournant auprès de sa famille à l’occasion du mariage, Simon fait un pas qui en inaugure d’autres vers le passé qui va lui permettre d’envisager la vie au présent.
Un rythme très lent, celui de la mémoire et du cheminement personnel. Il est bien possible que certains s’y ennuient, car il n’y a dans Portugal de Cyril Pedrosa ni action ni rebondissements ; pour ma part, je l’ai lu d’une traite. Il faut du temps, surtout quand on regarde bien toutes les vignettes, mais pas question de laisser Simon à son errance. Et je crois que mes planches préférées sont les aquarelles de la fin, celles de l’épilogue.
Cyril Pedrosa sur Tête de lecture
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Portugal
Cyril Pedrosa
Dupuis, 2011
ISBN : 978-2-8001-4813-7 – 261 pages – 35 €
Je me doute que la puissance émotionnelle n’ait pas pu égaler celle de Trois ombres 😉 Mais je compte bien le lire quand même, ne serait-ce que pour le plaisir des yeux et la découverte du Portugal et ses belles couleurs ! Mais j’attends plutôt de le trouver à la biblio !
Il y a de quoi régaler les yeux dans cette BD, elle te plaira certainement.
Et alors ? Tu nous mets l’eau à la bouche, et puis, il se passe quoi, il découvre quoi le narrateur ?
Tu as bien réussi ton coup, parce que j’ai envie de le lire ce bouquin, maintenant …
J’espère bien que je donne envie 🙂
J’ai eu beaucoup de mal à quitter cet album d’ailleurs, il s’est construit un petit nid dans un coin de ma mémoire et continue à diffuser ses relents depuis que j’ai refermé l’album. Effectivement, pas de comparaison possible avec « Trois ombres », si ce n’est ces corps élastiques, élancés qui m’ont donné une grande impression de légèreté et de bien être. Le fait que Pedrosa traite sous un autre angle les rapports père/fils fait la force de l’album et cela m’a rassuré qu’il proposait quelque chose de tout à fait différent que la quête du père de « Trois ombres »
Simon est touchant de sincérité, un très bel album que j’ai aimé offrir et que j’offrirais encore !
Merci à toi pour l’échange de lien
On parle un peu partout de l’aspect autobiographique de cette Bd, mais je trouve que ce n’est pas important, pas essentiel en tout cas. Ce qui importe c’est l’émotion qu’il parvient à faire passer.
C’est vrai qu’habituellement, j’ai besoin de pouvoir faire la part des choses entre les éléments réels et la partie romancée. Ici, c’est effectivement secondaire. Je crois que lorsqu’on est longé dans cette lecture, le coté autobiographique disparait rapidement.
Ah comme j’ai été au Portugal l’année dernière, que le graphisme me plaît bien aussi, et que j’ai beaucoup aimé la sensibilité et la pudeur de l’auteur dans Trois ombres, je crois que c’est une BD qui aura tout pour me plaire! A voir si je la trouverai facilement à la bib’…
Je n’ai jamais été tentée par le Portugal, mais cet album m’a vraiment ouvert les yeux sur ce pays et ses habitants.
J’ai arraché le dernier chez mon libraire (qui m’a fait une fleur parce que je passais une très grosse commande, du coup, tant pis pour celui ou celle qui se retrouvera avec un reliquat – des fois faut se battre :)… J’avais entendu du bien de cette BD avant même sa sortie et le fait qu’elle soit si rapidement épuisée est un signe qui ne trompe pas !
Je crois qu’il fait un carton en effet.
J’avoue que je ne suis pas très BD…contrairement à mon homme qui les dévore ! Alors peut-être lui offrir pour Noël ?
Elle a tout à fait le format d’un cadeau, et en plus, elle dure longtemps 😉
Je m’étais rasé en lisant « Trois ombres » (honte à moi) mais « Portugal » m’a scotché!
C’est magnifique de sensibilité et d’intelligence et en plus graphiquement un pure merveille.
Bravo à Cyril Pedrosa d’avoir su imposer un tel album hors norme (format, pagination, prix) à un grand éditeur.
Tu résumes toutes les qualités de cet album, qui par un sujet pourtant simple touche le coeur des gens, même si on n’a pas de racines portugaises et même si on n’est jamais parti à la recherche de son histoire familiale.
J’ai beaucop aimé le coté lent et contemplatif. Pas la peine d’en faire des caisses pour être dans le registre de l’émotion.
Je rajoute de ce pas ton avis à la fin de mon billet.
Merci. Et surtout, si tu peux lire Trois ombres, n’hésite pas, c’est vraiment une BD très forte, et pourtant sobre.
J’ai adoré cette BD moi aussi et je partage totalement ton analyse.
Pour moi ça a été un vrai coup de coeur.
Mais du coup, maintenant tu me donnes envie de lire Trois ombres. Je vais essayer de me le procurer ! 🙂
En attendant, voici mon billet sur « Portugal » : http://culturezvous.com/cyril-pedrosa-portugal/
j ai finalement lu cette Bd et tu as raison c’est une belle œuvre même si moi je suis finalement moins sensible que toi aux dessins
Luocine
j ai mis un lien vers ton blog j’espère que mes lecteurs te liront car ton ton texte est vraiment bien