Tout commence dans Le coeur est un chasseur solitaire par des gens qui se croisent, dans une ville du Sud des États-Unis, juste avant la Seconde Guerre mondiale. Comme dans un film, la caméra s’arrête sur John Singer et Spiros Antonapoulos, deux amis muets qui vivent ensemble depuis longtemps. Puis Singer entre au Café de New York tenu par Biff Brannon : c’est lui désormais qu’on suit, pendant qu’il regarde Singer manger, et un ivrogne pérorer. Cet ivrogne qui ne dessaoule pas, c’est Jake Blount, depuis peu arrivé en ville. Il parle, parle tant et plus à Singer, ignorant qu’il est sourd-muet. Puis la petite Mick entre dans le café restaurant, elle a douze ans, elle est un peu garçon manqué. Elle rentre chez elle, ses parents tiennent une pension, où loge Singer. Elle discute avec sa bonne noire, Portia, la fille du docteur Copeland.
Ces cinq personnages ne vont cesser de se croiser, de se rencontrer, avec Singer comme axe central. Il est celui à qui tout le monde parle et se confie. Il fait comme s’il écoutait, il ne dit rien, ne juge pas. Tous ont quelque chose à reprocher à la vie, tous sont solitaires. Une solitude profonde, tenace, que l’attention de Singer dissipe pour un temps mais ne comble pas.
Faulkner disait que l’écrivain ne devait pas craindre d’ennuyer le lecteur. Carson McCullers parvient à écrire un roman où il ne se passe quasiment rien tout en retenant l’attention grâce à une construction dynamique, presque polyphonique qui traduit très bien ces individus qui se croisent sans pour autant se retenir. C’est que l’histoire de chacun d’entre eux est un drame à elle toute seule, concentré d’adversité, de pauvreté et de solitude. Singer est le plus émouvant dans son amitié indéfectible à Antonapoulos : il va le voir dans son asile à chacun de ses congés, consacre tout son argent à lui faire des cadeaux, lui écrit quotidiennement alors que le Grec ne sait pas lire. Le docteur Copeland est quant à lui le plus tragique, lui qui a tout raté, tout perdu, qui n’a pas su éduquer ses enfants, leur apporter le savoir pour qu’ils deviennent plus que de simples Noirs ignorants au service des autres. Son intransigeance les a éloignés de lui, il est seul, définitivement seul avec son idéal et ses discours.
Tristesse et résignation accablent tous ces gens aussi sûrement que le soleil. Un malheur après l’autre brise les rêves, les amitiés, l’amour. Il n’y a aucun espoir dans ce Sud-là, juste la pauvreté à l’horizon, toute une vie de travail pour mourir seul. C’est infiniment triste mais jamais misérabiliste ou geignard. Pas de grande mise en scène ni de grands événements, juste le quotidien des petites gens écrasés par le fardeau de la vie. Et on les voit très bien, ils sont là qui évoluent sous nos yeux par le charme d’une écriture qui s’attache avant tout aux personnages. J’ai vu le doux Singer dans ces pages-là, et j’ai croisé Mick : de belles rencontres…
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Le cœur est un chasseur solitaire
Carson McCullers traduite de l’anglais (américain) par Marie-Madeleine Fayet
LGF (Le livre de Poche n°3025), 2010
ISBN : 978-2-253-03175-8 – 445 pages – 6.50 €
The Heart is a Lonely Hunter, parution aux États-Unis : 1940
Je veux lire ce livre depuis très très longtemps — je crois que je vais le mettre encore plus haut sur ma liste.
On fait parfois trop attendre des lectures qui ne le méritent pas…
Un roman où il ne se passe rien, je ne suis pas fan. Même si l’écriture est belle.
Pas rien du tout quand même… disons que tout se déroule très lentement…
Un roman tristounet où il ne se passe rien? Oui, j’en ai envie, je veux te faire confiance, surtout que je veux découvrir l’auteur depuis un bout de temps (aaaaah brando dans Reflets dans un oeil d’or)(passons ^_^)
J’adore celui là aussi. As tu remarqué la qualite de ses titres? Un poème à eux seuls! ! Ai-je dis que j’étais aussi folle de MAc CUllers quz de nuttela? ?????
C’est par Frankie Adams que je suis tentée à présent, mais un petit Brando (peu vêtu…) ça ne se refuse pas en effet…
Je suis totalement raide dingue de Mac Cullers alors je ne peux que te dire que je comprends que le charme ait opéré sur toi. Je te conseille « l’horloge sans aiguille » si tu ne l’as pas encore lu.
Rien que le titre donne envie, isn’t it?
Merci de ce conseil, que je note, et de cet enthousiasme.
Cela fait des années qu’il attend dans ma PAL, ce titre ! Le côté triste de l’histoire m’a toujours fait reporter cette lecture mais il semble que je ne trouve jamais le bon moment !
c’est vrai qu’on ne va pas forcément vers un livre dont on sait qu’on ressortira un peu chiffonné, mais celui-ci est vraiment à lire.
J’avais moi aussi beaucoup aimé le personnage de Singer.
Et curieusement, pour un roman où effectivement, il ne se passe pas grand-chose, j’en garde un souvenir très net (alors que j’ai déjà oublié certains récits lus plus récemment).
Comme quoi, ce n’est pas tant l’histoire qui compte, que la façon dont elle est écrite…
Je te comprends. C’est un art que d’utiliser peu de mots, peu d’effet, peu de sensationnel et d’arriver à marquer le lecteur, à toucher ses émotions. Ce sont les grands auteurs qui savent faire ça, pas de doute…
Comme je ne connais pas cet auteur, je note ce livre. En plus j’aime bien les thèmes abordés et le non-idéalisme…
Alors il faut vite la découvrir, elle a peu écrit, étant morte assez jeune, mais elle a tout de même marqué la littérature américaine.
J’ai vu le film il y a un bon nombre d’années sans savoir que c’était une adaptation d’un roman!!! Je note et je m’empresse de me le procurer.
Beaucoup de grands romans américains ont été adaptés au cinéma. Je préfère les lire avant, sinon les films brident mon imagination quand le lis.
J’ai lu il y a longtemps et je n’avais pas du tout aimé. MAIS il y a quelque temps, j’ai vu le film par hasard et j’ai été vraiment happée. De toute beauté. Si touchant. Du coup, je me dis que je n’étais pas peut-être pas « mûre » pour ce livre à l’époque. J’aimerais bien retenter l’expérience.
Ça serait peut-être le temps de lui donner une autre chance en effet, tant que tu es encore sous le charme d’un film que tu as apprécié.
Noté aussi depuis quelques temps, je ne suis pas surprise de le voir chez toi 🙂
Je suis 100% américaine en ce moment 🙂
noté depuis une éternité…
Tu peux sans problème passer à la lecture !
J’adore Carson McCullers, quelle écriture !!! 🙂
Je suis bien contente de constater que beaucoup de lecteurs l’apprécient. Dommage finalement qu’elle ne soit pas plus présente sur la blogo…
Beau billet pour ce roman avec lequel j’avais découvert, à 20 ans, l’auteur : une révélation !
je suis sûre qu’elle peut séduire, mais on n’en parle pas assez…
c’est étrange , j’avais adoré ce livre quand j’étais adolescente mais je ne me souviens plus pourquoi, l’ambiance ,je crois, et la découverte de l’Amérique
Luocine
C’est un livre à relire sans crainte je pense, tant il me semble intemporel.
Bonjour Ys, je suis contente que tu parles de cet écrivain dont la vie fut aussi triste que ses romans. Elle tombe un peu dans l’oubli et c’est bien dommage. Bonne journée.
C’est vrai qu’elle n’a pas eu une vie très gaie, et surtout, elle fut bien courte…
Et voilà encore un titre à noter sur ma liste au père noël…pourvu que ce dernier soit généreux parce qu’elle s’alloooonge irrémédiablement et surtout grâce à toi 😉 !
Merci de tous ces beaux billets qui donnent envie.
Ça va faire plein de petits paquets au pied du sapin, quel bonheur !
J’ai eu ma période Carson McCullers (j’ai l’impression de me répéter). Je crois que j’ai moins aimé Reflets dans un oeil d’or que les autres. Mes préférés : Frankie Adams (le roman. Si tu as vu L’effrontée avec Charlotte Gainsbourg, c’est la même histoire.) et la nouvelle Correspondence (Correspondance en français, certainement !). Je crois que l’année prochaine, je vais essayer de relire Carson McCullers, mais en anglais cette fois (j’ai l’impression de me répéter). Elle m’avait vraiment marquée quand j’étais plus jeune.
J’ai inscrit Frankie Adams sur ma LAL, merci des conseils !
j’ai lu L’horloge sans aiguille, Frankie Adams, et Le coeur est un chasseur solitaire…j’en garde un très bon souvenir, et j’ai adoré l’adaptation au cinéma par Claude Miller de Frankie Adams, L’effrontée, avec une Charlotte Gainsbourg toute jeune et déjà pleine de grâce et de talent.
J’ai vu « L’effrontée » il y a bien longtemps, sans savoir que c’était l’adaptation d’un livre. Et Charlotte Gainsbourg était en effet jeune et pétillante, elle est devenue une bien piètre actrice, je la trouve même très mauvaise aujourd’hui…
J’ai vu le film alors que j’étais étudiant à Alger ,j’ai maintenant 61 ans et toutes les fois où je pense à ce film je pleure ,même à cet instant ,ce film m’a marqué à vie.Surtout le personnage Singer .Je cherche ce film depuis des années et jusqu’à ce jour je ne l’ai plus revu.The heart is a lonely hunter c’est son titre original est un géant du cinéma .Merci à tous ce qui ont réussi ce chef d’oeuvre et mille mercis à l’écrivain ,les femmes savent comment attaquer le coeur humain,même si je ne savais pas qu’il a été écrit par une femme ,j’aurais dit ; » tiens encore une femme qui va me faire mal comme Daphne de Maurier ,Barbara smith …Je souhaite à tous mes amis du monde entier de voir ce film ,si c’est possible ,au revoir mes amis.
Merci pour ce bel enthousiasme.