Voici un livre noyé dans le flot de la rentrée littéraire. Sorti malencontreusement au plus fort de la tourmente, il n’a pas été soutenu par son éditeur comme d’autres titres dont on nous a rebattu les oreilles et qui n’en valaient pas forcément la peine. Thierry Laget, qui a écrit plus d’une dizaine d’ouvrages gagnerait à être mieux traité car son public est là, qui l’attend. Son public ? Les écœurés de l’autofiction, les fatigués du bon sentiment, les amoureux du vocabulaire et les nostalgiques du Roman. Le Roman français qui s’est abreuvé du XIXe siècle et se nourrit du meilleur classicisme du XXe, non seulement dans la forme, mais aussi dans le thème.
Une comtesse comme il n’en existe plus (elle compte la Princesse de Clèves – La Princesse de Clèves ? – au nombre de ses ancêtres) engage un riche oisif, narrateur de cette histoire, pour faire l’inventaire de sa multi-séculaire bibliothèque. Pendant plus de deux ans, le Narrateur va partager le quotidien des habitants du château, le factoton Portugais, la cuisinière, la jeune fille de la visite guidée et autres personnages plus ou moins passagers, plus ou moins clandestins. Comme dans tous les vieux châteaux, il y a des bruits, des légendes, des tableaux de maître, des passages dérobés, des fenêtres illuminées la nuit et des taches de sang. Comme dans un roman de Ann Radcliffe. Il y a aussi des secrets que le Narrateur s’emploie à dévoiler plus ou moins consciemment. Et il y a surtout des dettes qui vont augmentant en raison d’un Monsieur le Comte parti faire fortune aux États-Unis et n’ayant rencontré au final que la faillite.
Et parce que le sentiment amoureux est un ressort romanesque inusable et inusé quand on l’entretient avec goût, il y a aussi des femmes, plutôt jeunes, qui charment tour à tour un Narrateur plus à l’aise dans rumination que dans l’action.
Il faut prévenir les adeptes de l’action et du rebondissement toutes les trois pages : ce roman n’est pas pour eux. Car malgré une intrigue au charme d’antan, des personnages à la patine surannée, ce n’est pas l’histoire en elle-même qui retient le lecteur, mais bien le style. La phrase de Thierry Laget est ample, le vocabulaire précis parfois précieux et l’imparfait du subjonctif aussi à son aise qu’un poisson dans l’eau. Il faut aimer se laisser porter par des phrases souvent très longues, une proposition puis une autre, puis une autre, enfin une parenthèse ou une incise. Comme les vagues successives d’une mer jamais démontée qui permettent de naviguer paisiblement dans les eaux si généreuses de la langue française.
Ce livre est à lui seul un plaidoyer contre l’appauvrissement du style et du vocabulaire. C’est aussi un bel hommage aux livres et à la littérature. Ce Narrateur qui vit au milieu des livres, qui les touche, les sent, leur redonne vie en les ouvrant me semble être l’image même du lecteur heureux, comblé par la proximité d’ouvrages qui lui sont chers, dans une solitude choisie. Et pendant ce temps, la bourse de New York s’effondre et les nouveaux écrivains français passent à la télé et organisent des ateliers d’écriture dans les quartiers…
Il semblerait que ce roman s’apparente à une littérature classique, peut-être difficile d’accès car exigeante (on n’est plus habitué à lire des phrases d’une demi-page…), à «une certaine manière de faire intimidante et solennelle, qui exclut[ait] plus qu’elle n’inclut[ait]». Car «aujourd’hui, le roman, c’est une machine à fabriquer du sens et du lien, c’est tout le monde, c’est n’importe qui…». La lanterne d’Aristote n’est pas un roman pour tout le monde ou n’importe qui. Il nécessite un goût pour la littérature et peut-être une certaine nostalgie.
Thierry Laget sur Tête de lecture
La lanterne d’Aristote
Thierry Laget
Gallimard, 2011
ISBN : 978-2-07-013344-4 – 320 pages – 19 €
Effectivement, il serait dommage de passer à côté d’un tel roman… Je le note, j’ai très envie de le découvrir après ton joli billet !
Je le note aussi, bien que je me sente souvent Madame tout le monde et un peu n’importe qui et que je ne recherche pas spécialement la nostalgie mais les longues phrases et le manque d’action ne me font pas peur puisque le style est au rendez-vous . Merci aussi pour le signalement de cette émission.
Tu sais Mango, ça n’est pas facile de pointer le lectorat d’un tel livre. Je ne suis moi non plus pas quelqu’un de particulier, mais il faut reconnaître quand même que ce n’est pas un livre pour qui vient de sortir de l’oeuf ou lit un livre par an. Un livre littéraire, ça existe ?
Ayant découvert, comme amateur de Science Fiction, le monde du non A, il me reste à explorer l’original, et ce titre me semble particulièrement alléchant. Je salive déjà..
« Laget, la face cachée de Van Vogh , » : vaste sujet 🙂
C’est vrai qu’il est très beau ton billet. En tout cas, je suis contente que tu aies aimé.
C’est la littérature française comme je l’aime : ni minimaliste ni nombriliste.
Je l’ai mis dans ma liste de prochaines lectures, j’aime beaucoup Thierry Laget et depuis pas mal d’année, j’avais fait connaissance avec lui avec Florentiana dans la collection l’un et l’autre , il a écrit aussi sur Stendhal.
Effectivement je suppose que c’est un livre exigeant, je podcast Alain Veinstein et du coup j’avait retenu le titre, ton billet renforce l’envie première faisant partie des amateurs de littérature ET de nostalgie
Je n’ai découvert l’émission d’Alain Veinstein que depuis la rentrée de septembre. Au début, j’écoutais les émissions sur les auteurs que je connaissais : grave erreur ! j’en ai découvert d’autres, certains que je n’ai pas forcément envie de lire mais ces univers d’écrivains sont souvent très intéressants. C’est un plaisir de les écouter parler librement.
Tu m’intéresses là. Moi aussi je suis lasse de l’auto fiction. Mais suis-je une amoureuse du vocabulaire et une nostalgique du Roman ? Je ne crois pas. Plutôt une amoureuse d’une autre littérature. Mais j’ai quand même envie d’essayer.
Je pense que tu apprécieras.
je le retiens !
Je te souhaite une bonne lecture.
Je ne connais pas Thierry Laget, mais je note : ton très beau billet incite à la découverte et de l’auteur et de ce roman. On peut aimer la légèreté, la BD, le polar, ET la littérature plus exigeante quand elle se présente. Ton blog le montre bien.
Oh oui, vive la diversité tant que le plaisir est là !
Effectivement, je n’ai pas du tout entendu parler de ce titre alors que l’ambiance gothique pourrait très bien me plaire.
Cela dit, si je l’avais aperçu en librairie, j’aurais peut-être fui à cause du titre (rappel de mes études).
J’aime les classiques pour leur langue mais aussi pour l’histoire qu’ils portent en eux, du coup j’hésite là pour le coup.
Il est certain que le titre n’est pas bien vendeur… mais cette lanterne d’Aristote désigne ici une partie de l’oursin, la bestiole avec les piquants… mais pas que, il y a d’autres petites lumières dans le texte. Je ne sais si tu as lu Les maîtres de Glenmarkie de Jean-Pierre Ohl : l’ambiance gothique, château et secrets est bien présente aussi, avec une histoire bien plus intrigante et romanesque. C’est aussi un roman français, je te le conseille.
J’aime les belles écritures…et le charme un peu suranné (?!) des grands romans, donc je pense qu’il va me plaire.
Je souhaite que ce livre soit une aussi belle découverte pour toi que pour moi.
Tous les ans à la rentrée, je vérifie que l’émission d’Alain Veinstein est toujours bien là ! je l’écoute depuis … des lustres. Sa longue expérience de lecteur, sa culture et son respect des auteurs en font un interviewer hors pair. Et il sort des sentiers battus, mais je ne l’écoute pas tous les jours, le temps n’est pas extensible. Bref, j’ai raté cet auteur là que je m’empresse de noter, je crois que j’aimerai.
Je fais un voeu en cette fin d’année : qu’on remplace François Busnel par Alain Veinstein, partout où c’est possible !
Que voilà une proposition réjouissante !!! J’adhère plutôt deux fois qu’une !
Je crois que je vais aimer ce livre… je note tout de suite ce titre ! Après Gailly, une tentative avortée au milieu du gué avec Echenoz, puis « Clèves », je crois que ce Roman va me faire du bien 😉
Pas facile la littérature française contemporaine…
Ton billet me fait penser à ce que dit Nathalie Sarraute sur le roman et sur la critique, J’avais remarqué ce titre chez mon libraire car il était un de ses coups de coeur, et je lis au moins un des livres qu’il conseille. Quant à moi, je pense qu’il faut surtout être curieux de tout. il y a toutes sortes de plaisirs, des plus exigeants au plus faciles, qui ressemblent juste à la caresse d’une brise d’été, d’autres qui s’obtiennent après de longues heures de randonnée.
Quelle belle image : il faut parfois en effet gravir quelques sommets, se donner du mal, mais quel plaisir à l’arrivée !
J’ai tourné plusieurs fois autour de ce titre, lorsque je l’ai vu chez mon libraire. Ton billet me confirme qu’il peut me plaire. Mais ce n’est pas le bon moment pour l’instant, j’ai envie d’autre chose…Je vais donc attendre, pour ne pas me gâcher la lecture !
Je te souhaite une bonne et heureuse année, Ys !
Tu as raison, c’est tout à fait le genre de livre pour lequel il faut trouver le bon moment. Bonne année à toi aussi.
Une très bonne année 2012, avec plein de lectures passionnantes à venir!
Je te souhaite une très bonne année 2012 et je crois que grâce à toi je vais éclairer avec cette lanterne d’Aristote !
Connais pas, hélas, mais ton introduction captivante (et drôle) me fait dire qu’il est pour moi! De longues phrases, du beau texte, oui! (et pas d’autofiction)
Je ne doute pas un instant qu’il te plaira. Ainsi que l’émission en question (que se podcaste et s’écoute n’importe quand).
Un roman pour public « averti », dans le bon sens du terme.
Tout à fait, c’est un bon roman mais le lecteur doit savoir ce qu’il va y trouver avant de l’ouvrir sous peine d’une lecture trop ardue et donc d’une déception…
Tu me tentes ! En même temps ce roman m’impressionne un peu… J’irai prudemment voir si je le trouve à la bibliothèque… 😉
Si je l’ai lu, tu peux le lire aussi !
ça donne envie! Je note!
J’espère que tu prendras plaisir à cette lecture.