« Et pour vous c’est quoi, les années Mitterrand ? ». Antoine Laurain était un jeune adolescent quand elles débutèrent, un jour de 1981. Comme moi. Il est probable que sur le coup, elles ne signifièrent pas grand-chose pour lui. Et que même après, n’ayant pas vraiment d’éléments de comparaison, il n’y eut pas de changements perceptibles. Il aurait fallu être plus vieux pour mesurer l’ampleur des bouleversements qui allaient toucher les Français. C’est certainement pour ça que les héros d’Antoine Laurain dans ce roman sont plus vieux que lui : ce sont des adultes à la fin de l’année 1986 et en 1987 et si Mitterrand est toujours là, la gauche n’est plus au pouvoir. C’est la première cohabitation, période aussi courte qu’absurde, qui donne à ce quatrième roman d’Antoine Laurain un air de fable.
Daniel Mercier n’en revient pas : alors qu’il s’octroie un petit dîner en solitaire à la terrasse d’une bonne brasserie parisienne, voilà que le chef de l’Etat s’assoie à la table voisine avec deux convives. Daniel Mercier est subjugué, il ne perd pas une miette de la conversation qui s’engage. Et quand le Président part en oubliant son célèbre chapeau, il hésite à peine, s’en coiffe et part avec. Dès lors, sa vie va changer : le simple directeur adjoint qu’il est va tenir tête au nouveau directeur financier et sa pertinence lui vaudra d’être nommé directeur lui aussi. Il sent que le chapeau présidentiel n’est pas innocent dans cette affaire : « depuis qu’il le portait, sa seule présence l’immunisait contre les tourments de la vie quotidienne. Mieux encore, il aiguisait son esprit et le poussait à prendre des décisions capitales ».
Il en sera de même pour les autres porteurs du chapeau. Car Daniel Mercier va l’oublier dans le train, et c’est Fanny Marchand, une jeune femme engluée dans une relation sans avenir avec un homme marié qui s’en coiffe. Le soir même, elle rompt avec son amant et entame une autre vie. Elle aussi a compris que le chapeau a joué un rôle dans sa vie et décide de l’abandonner sur un banc. Le nouveau possesseur, ancien parfumeur jadis renommé mais aujourd’hui dépressif, va lui aussi voir sa vie transformer. Le chapeau passe ainsi de tête en tête, jusqu’à la plus improbable, celle d’un riche bourgeois du XVIe, avec meubles d’époque et ancêtres à particule, la droite française la plus conservatrice.
Antoine Laurain ne fait pas se succéder les porteurs du chapeau, dans une ronde qui pour n’être pas monotone aurait pu tomber dans un systématisme facile. Les portraits s’arrêtent après le troisième illégitime propriétaire pour laisser place à une correspondance entre eux trois : c’est que Daniel Mercier continue à chercher le chapeau qui a bouleversé sa vie. Et il n’est pas le seul. Contre toute attente, il parvient à suivre sa trace. Et il n’est pas le seul.
Qu’est-ce donc que cette histoire fantasque de chapeau qui change le cours de la vie des gens, si ce n’est une allégorie des années Mitterrand ? Ces années de créativité qui ont permis non seulement le développement d’arts innovants, mais aussi d’horizons nouveaux pour tout un chacun. Le pouvoir magique de ce chapeau traduit l’euphorie ambiante, celle qui rend tout possible parce qu’on y croit. Il fonctionne comme un talisman grâce auquel tout est possible.
Antoine Laurain fait bien sûr dans la couleur locale pour donner à son roman la couleur de ces années-là : les débuts de Canal + («Canal +, c’est plus»), de Mylène Farmer, la télé du pire et du meilleur (de Droit de réponse à Michel Drucker), avec ses incontournables séries («Dallas» et «K2000») et son Yves Mourousi, le minitel et «Touche pas à mon pote». Rien qu’au souvenir de tout ce qui s’est passé en 1986, j’ai revu mes années lycée : la mort de Balavoine, Coluche et Le Luron, l’explosion de Challenger, l’attentat de la rue de Rennes et les otages français du Liban, toujours pas libérés. Il y a un côté kitch, mais il y a bien plus dans ce roman qui traduit l’envie des gens de changer leur vie, de secouer le joug de la vieille France, des habitudes. Porter ce chapeau permet aux protagonistes de regarder plus loin, d’envisager l’avenir autrement, d’enfin profiter de ce que le début du septennat a mis en place. Ça n’est pourtant pas un panégyrique : les années Mitterrand, c’est aussi Bernard Tapie, le minitel et les Cocogirls. Et aussi Jacques Chirac. On ne peut pas tout réussir… Mais qui pourrait en vouloir à Antoine Laurain, élevé au Top 50 et à « Dallas« , de n’en tirer que le meilleur pour cette fable ? Ah oui, ceux qui détournent encore la tête à la vue des colonnes de Buren…
Un dernier point, tout à fait personnel. « ‘Mittrand’, cette contraction qu’affectionnait la droite un brin vieille France et qui se teintait d’ailleurs d’extrême droite sans oser se l’avouer. » J’aurais pu pleurer si le ton n’avait été aussi léger. Ma grand-mère, paix à son âme, n’a jamais prononcé autrement le nom du Président. Elle était Polonaise, ne savait ni lire ni écrire le français, mais le parlait sans aucun accent. Elle n’a jamais voté en France, je ne l’ai jamais entendu parler politique, même au plus fort de la bataille et pourtant, elle a toujours dit ‘Mittrand’. Elle n’a jamais été de droite ma mémé, je le jure, cette affirmation m’a mis un coup !
Antoine Laurain sur Tête de lecture
Le chapeau de Mitterrand
Flammarion, 2012
Antoine Laurain
ISBN : 978-2-0812-7412-9 – 211 pages – 18 €
Voilà un livre qui me plairait bien, en tout cas tu donnes vraiment envie de le lire et de se replonger dans ces années Mitterrand.
J’ai revu plein de choses en lisant ce livre, un petit goût de nostalgie…
Ce livre est sur mes étagères depuis peu. Ta dernière remarque , très touchante, me permet de te dire que chez moi aussi c’était Mittrand, mais pas de droite non plus (oh grand dieu non ! dirait mon grand-père !). Sois donc rassurée ! Cela étant je le lirai …
Je la trouvais un peu péremptoire cette affirmation…
Ta façon de le présenter (y compris avec ta mémé) donne très envie de le découvrir, d’autant plus que comme les personnages j’avais dépassé l’adolescence en 81 ..
Peut-être encore plus d’identification…, moi, j’ai marché !
Le livre a l’air original dans sa construction. Par contre je fais une allergie à tout ce qui est politique (droite/gauche confondue)… je ne suis jamais d’accord avec personne d’un bord ou de l’autre, mais le côté « souvenirs » de cette période est tentant.
Ce n’est pas vraiment politique dans le propos, c’est surtout le portrait d’une époque…
@Plume: en effet, ce n’est pas un roman qui se déroule dans les milieux politiques, bien au contraire: au fond, de politique, il n’y a que le chapeau, « personnage » bien sympathique et facétieux de ce roman. Du même auteur, « Carrefour des nostalgies » est bien plus proche du marigot politique français…
Pareil …
Quelle idée magnifique, ce chapeau, j’ai très envie de le lire… Et quel optimisme !
Un peu d’air frais ne fera pas de mal )
Pour une fois, je lis un livre un peu léger 😉
Je serai curieuse de lire ce roman, j’ai bien aimé les autres ouvrages de l’auteur jusqu’ici. Est-ce que Marchais ne disait pas « Monsieur Mittrand », lui aussi? Voilà qui rétablirait l’équilibre! 😉
C’est vrai ?! Je ne m’en souviens plus, par contre, je me souviens bien de lui, quel personnage, quelle gueule (au sens physique et aussi pour son franc parler). Effectivement, difficile de le taxer de droite traditionnelle 🙂
Je le note, il a vraiment l’air intéressant ce livre, j’avais déjà aimé Carrefour des nostalgies.
Celui-ci est encore mieux !
Finalement, il a fait pas mal de chose pendant sa présidence.
C’est avec du recul qu’on s’en mieux compte, en effet.
Il est dans ma PAL, je le lis ce mois-ci et avec intêrêt grâce à ta critique. Une lecture sympathique et nostalgique…
Bonne lecture !
C’est marrant, mais moi, je suis belge et j’étais enfant à cette époque, et pourtant, je m’en souviens bien de toutes choses !
Il faudrait que je le découvre cet écrivain. Mais je ne sais pas si c’est avec ce roman-ci.
Vécu de l’intérieur, je n’ai pas trouvé de changements sensibles. Par exemple avec l’apparition des radios libres, en fait avant, j’étais trop petite, j’écoutais la même radio que ma mémé (encore elle !) : RTL, ben voui… et quand j’ai commencé à avoir mes propres envies, les radios libres étaient là.
Je l’ai noté celui-ci et pour rétablir l’équilibre comme le suggère Gwénaelle, je confirme que G. Marchais disait aussi « Mittrand » !
Merci !
Tu as aiguisé ma curiosité, anecdote à l’appui, et je le note !
(tu n’as pas fait de billet spécial 12 ? tu le gardes pour le 21 ?)
A bientôt.
En fait, ce sont les participants qui sont astreints au 12 (ou au 21), moi, j’en ai beaucoup trop à lire, donc je les publie aux dates que je veux 🙂 Notre lecture commune ne l’étant plus, elle est prévue le 15…
Les années Mitterand, c’était aussi mes années jeune maman. J’ai tendance à confondre un peu les deux . Des années fortes en tout cas. Je lirai bien ce livre dont l’idée de départ me plaît bien.
Moi aussi, et il est agréable de bout en bout.
que de souvenirs de ces années. Ça a l’air original…
C’est un peu un conte moderne, une bonne idée, oui.
Je suis en train de le lire et jusqu’à peu j’étais un peu déçue, je trouvais que ça tournait en rond, tous ces personnages qui changent leur vie grâce à ce chapeau (ceci dit j’aime bien l’idée). Et puis je suis arrivée aux échanges de lettre, ça donne un autre ton, ça relance la machine.
J’aime également le fait que ce soit le portrait d’une époque… Ceci dit, contrairement à la plupart des gens qui ont laissé des commentaires, j’étais une toute jeune enfant en 86/87. Je ne me rappelle donc rien de tout ça mais ça se sent que justement, les personnes qui ont vécu cette époque souriront à la lecture de cette peinture !
Effectivement: le début est un poil linéaire; et au milieu du roman, ça se brouille, et là, on passe la vitesse supérieure. De la part de l’auteur, c’est habile: d’abord l’exposition, et ensuite la confrontation des uns avec les autres.
Moi aussi j’ai eu peur que cette ronde des personnages ne devienne lassante, heureusement qu’il a changé d’approche au bout de trois. Perso, je me revoie très bien au lycée, à la mort de Balavoine, c’était quasi une catastrophe nationale !
billet très tentant, je passais le bac en 86/87, une grande année donc !!! 😉 l’idée a l’air originale, et le livre peu « prise de tête », ce qu’il me faut en ce moment ! l’affirmation est à oublier, il y a tant de ces « petites phrases » dites, à droite comme à gauche, qui font de sacrés amalgames, ne t’en fait pas.
Cette affirmation repose certainement sur une réalité, je ne conteste pas. Ce qui qui m’a fait tiquer, c’est juste la généralisation : prononcer ‘Mittrand’ = être de droite.
Hummmm, ce chapeau au pouvoir « magique » est très interessant !! Et ce regard très personnel sur les années Mitterand me semble assez pertinent !!
J’ai réussi à éviter « le choipeau magique » 🙂
Inutile de dire que j’ai lu et aimé le roman.
Tout à fait un livre pour toi, en effet 😉
C’est marrant, je n’ai pas trop senti ce côté nostalgie … J’avais dix ans, ceci explique peut-être cela. Et puis, surtout, c’est une époque que j’ai rangée très loin dans ma mémoire.
Un peu déçue, oui, je trouve même que la force du roman tient en une citation, celle de Mitterrand. Un peu léger, non ?
Léger et nostalgique, je trouve que c’est une recette agréable de temps en temps, faut pas s’en gaver non plus…