Feux d’été de Nuria Amat

Le titre espagnol de ce livre est Amor i Guerra. A l’inverse de bien des romans, l’amour est plus ici une toile de fond, le sujet principal étant la guerre, très précisément à Barcelone depuis l’euphorie de 1936 à la sanglante Retirada. S’aimer en temps de guerre, pourrait être le sous-titre.

Alors que la révolution est florissante, Valentina aimera peut-être Ramon Mercader, qui sait. Une anarchiste et un communiste peuvent encore former un beau couple. Mais alors qu’on vient arrêter les membres de la famille Ramoneda, fabricants de textile, donc bourgeois, donc suspects aux yeux de la révolution, Valentina fille d’un intellectuel anarchiste tombe amoureuse d’un des fils de la famille, Artur. Mais celui-ci est emprisonné, torturé et Valentina n’a de cesse de tout faire pour le libérer et le cacher. Ramon n’est pas perdu pour tout le monde car sa cousine Mercedes Ramoneda, on ne peut plus catholique et conservatrice est sous le charme de son aventurier de cousin, qui profitera jusqu’au bout de cet amour innocent.

Deux histoires d’amour qui traversent une histoire de guerre qui en dit beaucoup sur le pays et les conflits. Valentina Mur est un beau personnage, une femme intelligente, cultivée qui décide de revêtir l’habit militaire pour combattre au nom de la liberté. Elle part se battre pour sauver l’île de Majorque où elle découvre que ses principes ne sont pas partagés par tous parmi les Républicains. Les hommes ne sont pas prêts à se battre aux côtés des femmes, mais tout Républicains qu’ils sont, ils sont prêts à les violer. Quand l’île sombre sous les assauts franquistes, Valentina quitte l’île y abandonnant certaines illusions. Un premier revers qui n’est que le prélude au grand désastre. Cet épisode montre aussi que les Républicains ne sont pas cette entité soudée qu’on imagine. Il y a les hommes et les femmes, mais il y a aussi les anarchistes et les communistes dont les querelles sanglantes seront profitables aux putschistes.

On pense souvent que Franco a gagné cette guerre civile grâce aux forces allemandes et italiennes, ce qui est en partie vrai, bien sûr. On n’en minimise parfois le rôle de l’Union soviétique que Nuria Amat souligne très clairement ici.

Les nouveaux dirigeants communistes avaient instauré une nouvelle branche baptisée Police politique ou Service d’investigation militaire, le SIM, qui faisait régner la terreur parmi les citoyens. Ses agents dénonçaient et éliminaient le moindre élément dissident opposé au nouveau gouvernement communiste ou suspecté de l’être. Leur entreprise de liquidation visait aussi bien les sympathisants de Franco que les marxistes trotskistes et les anarchistes […].
Ces derniers temps, de nombreux républicains, dont des socialistes qui résistaient à la dictature soviétique, étaient fusillés. Les dénonciations inventées de toutes pièces et les fausses accusations pleuvaient. N’importe qui pouvait être mouchardé pour n’importe quel motif. En une seule année, le prétendu soutien des Russes avait réussi à étouffer la liberté d’esprit et la solidarité propres à l’âme barcelonaise.

Des Espagnols contre des Espagnols et pire encore, des Républicains contre des Républicains.  On lit peu de livre comme celui-là : les vaincus, ceux qui luttaient pour la liberté et la démocratie sont toujours les héros, ils sont irréprochables. Bien sûr Nuria Amat ne prend pas position contre les Républicains, mais elle décrit une réalité qu’il est préférable de taire car elle ne correspond pas à l’image que l’on se fait des combattants de la liberté.

A l’image des personnages de ce roman, les Barcelonais tentent d’être fidèles à eux-mêmes, de se battre pour une cause juste. Mais ils sont autant de pantins dans un théâtre bien trop vaste pour les destins personnels. L’individu n’a plus d’importance, tout est broyé. Le seul à sortir de l’oubli est Ramon Mercader car l’Histoire garde la trace de son illustre crime. Il n’était pourtant rien de plus qu’une marionnette accomplissant la vengeance de Staline.

Ce livre a obtenu le prix Ramon Llull, le plus prestigieux prix des lettres catalanes.

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Feux d’été

Nuria Amat traduite du catalan par Marie Vila Casas
Robert Laffont (Pavillons), 2011
ISBN : 978-2-221-12691-2 – 364 pages – 22 €

Amor i guerra, parution en Espagne : 2011

28 commentaires sur “Feux d’été de Nuria Amat

  1. Voilà une époque et des évènements que je connais peu, et mais j’adore les contextes anarchistes, révolutionnaires, résistants… et les histoires d’amour! Du coup, ce livre m’intéresse énormément, mais as usual, si ma bibliothèque ne l’a pas, je vais attendre sa sortie en poche…

  2. Ayant lu « Le coeur glacé » d’Almuneda Grandes et « Un hiver à Madrid » de C.J Samson qui m’ont éclairé sur cette période que je connaissais mal, je ne pense pas lire celui-ci dans l’immédiat (trop de lectures !!!) Mais c’est bien aussi d’avoir plusieurs yeux différents sur une même période.

  3. Un passage de l’histoire que je ne connais absolument pas (j’avoue avoir ce défaut, de grosses grosses lacunes en histoire géo c’est honteux) donc j’essaie de rattraper le tir et ici ce livre m’inspire pour me cultiver un peu plus, ne pas rester bête et en plus une histoire d’amour au fond il va être agréable à lire, je note, merci de me l’avoir fait découvrir

    1. Si tu ne connais rien du contexte, je pense qu’il faut juste lire un petit quelque chose avant, sur la victoire des Républicains, la dictature de Primo de Rivera et la Phalange pour bien l’apprécier…

  4. Le premier paragraphe de ton commentaire m’a rappelé combien j’avais aimé lire « pour qui sonne le glas » de Hemingway. Guerre et amour…
    Ce livre, avec ce que tu viens d’en dire, me tente beaucoup.
    Coté Espagne, j’ai lu plusieurs Carlos Ruis Zafon récemment, ça me changera un peu !

    1. Il y a trois ans, on ne connaissait pas ce Zafon et maintenant, on en a deux livres par an… c’est un peu beaucoup, j’en ai lu un mais il me semble que ce n’est pas très inventif…. pas encore tenté ses livres jeunesse.

  5. Oui, c’est un livre qui doit secouer s’il montre d’autres aspects de la lutte des républicains. Déjà Rosa Montero montre bien l’antagonisme violent entre anarchistes et communistes.
    Et pourtant ils se retrouvaient tous dans les geôles franquistes ou dans les camps de concentration nazis!

  6. Connaissez-vous ‘Nada’ de Carmen Laforêt.
    Juste après la guerre civile, Andrea jeune fille de 18 ans arrive de sa campane à Barcelone chez des cousins.
    L’atmosphère dans l’appartement de cette famille est oppressante, on ressent la pesanteur du franquisme, les déchirures de la guerre civile. Comme si cette famille était un condensé des conséquences de l’histoire.
    Et j’ai lu ce livre grâce à une émission de radio qui s’est arrêtée.

    1. C’était « Jeux d’épreuves », j’écoutais et appréciais cette émission, « La Dispute » version littéraire n’est pas mal non plus, Arnaud Laporte prend position et ça me plait bien. J’ai fait des études d’espagnol il y a 20 ans et Nada était un passage obligé. Dans tous les sens du terme « obligé » d’ailleurs, et du coup, il ne m’en reste pas beaucoup de souvenirs (à l’inverse de certains auteurs hispano-américains qui m’ont beaucoup marquée à l’époque et que j’ai continué à lire). En écoutant l’émission en question, je me disais justement qu’il méritait certainement relecture.

      1. J’ai découvert « La dispute » sur ton blog, grâce à toi donc (il me semble que c’était dans les commentaires sur le roman « Le diner » , et je l’écoute en direct ou le plus souvent en rediffusion.

        Les livres « obligés » … j’ai raté très probablement de belles lectures uniquement parceque il « faut vraiment lire ce livre » …
        Par exemple au lycée il fallait lire « La condition humaine » je crois bien ne l’avoir jamais ouvert ce livre et un tas d’autres d’ailleurs.

      2. je ne serai pas objective sur La condition humaine qui me fut une lecture obligée pour l’agrégation de lettres (qu’en plus j’ai ratée) : j’ai dû lire ce livre au moins 4 ou 5 fois, en apprendre des passages par coeur, je le déteste 🙂

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