Un Stephen King de temps en temps, ça ne fait pas de mal, suffit de choisir le bon. Celui-là est à mes yeux un bon cru, plus dans la thématique que dans la construction, très classique.
Thad Beaumont est romancier. Il a écrit trois romans main stream sous son propre nom, mais ce qui fait bouillir la marmite, ce sont ceux écrits sous le pseudo de George Stark, des bouquins trash avec serial killer bien sadique. Les lecteurs en redemandent, mais Thad décide d’en finir avec ce pseudo en accordant une interview à un grand magazine : photo de pierre tombale à l’appui, il enterre George Stark en avouant à tous qu’il n’est autre que lui-même. Même si cette révélation a été précipitée par un maître-chanteur qui menaçait Thad de dévoiler sa double personnalité d’écrivain, Thad se sent soulagé car il va pouvoir se consacrer à sa veine plus sérieuse, plus littéraire, et à ses adorables jumeaux âgés de huit mois.
Mais voilà qu’une vague de meurtres frappe son entourage éditorial. Un premier cadavre est retrouvé dans le village où a été prise la photo de « l’enterrement » de George Stark, puis c’est le tour du maître-chanteur, de la photographe du magazine et du journaliste. Pour Thad, ça ne fait aucun doute, c’est George Stark le coupable. La police patauge, les empreintes digitales de Thad sont partout sur les lieux des crimes alors que lui se trouve à des kilomètres. Il va falloir envisager une explication autre que rationnelle, ce que fait le shérif Alan Pangborn.
Ce que je trouve dommage, c’est que le prologue qui explique comment Thad a été opéré à l’âge de onze, s’est vu extraire du cerveau des morceaux d’être humain : ongles, œil, dents… On sait donc qu’il y a eu jumeau. Très vite, on sait aussi que c’est bien George le coupable, et qu’il est bien le double de Thad. Du coup, tous les personnages ont l’air de billes qui ne comprennent rien, Thad y comprit. Le shérif, un brave type, fait figure d’imbécile, lui qui s’attache à trouver une solution. Le lecteur sait que c’est Stark le coupable, puisqu’il était là quand il est sorti de sa tombe…
Ce choix narratif qui place le lecteur en position d’en savoir plus que les personnages est toujours difficile à tenir surtout quand il y a un suspens à entretenir. De ce côté-là, c’est raté.
Par contre, l’auteur taraudé par sa double identité est très bien campé, forcément. Stephen King sait de quoi il parle, il dédie d’ailleurs ce roman à Richard Bachman. Un pseudo pour gérer sa notoriété, pour ne pas qu’une veine populaire vienne entacher une production plus littéraire, soit. Mais ce qui m’a le plus intéressée, c’est l’origine même de la veine sanguinaire. Comment tous ces auteurs, propres sur eux peuvent-ils écrire des horreurs pareilles et surtout pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse ces psychopathes par procuration à se repaître dans le sang et le crime ? Comment le vivent-ils au quotidien ? Est-ce qu’on peut trucider des gens sur des pages et des pages et dormir paisiblement ?
Les thrillers et polars qu’on nous propose aujourd’hui sont de plus en plus violents : y a-t-il surenchère de la part des auteurs ? Est-ce le public qui en redemande ? Si l’auteur exorcise une part de violence en écrivant, est-ce la même chose pour le lecteur en lisant ? Les meilleurs romans de King mettent en scène des écrivains au prise avec l’écriture. C’est pour ça qu’ils sont passionnants, parce qu’ils décortiquent le processus créatif, sur un mode fantastique certes, mais particulièrement bien trouvé ici. Le double imaginaire dont on ne se débarrasse pas, qui porte en lui la part sombre d’une personnalité, celle que ni l’individu ni la société ne sauraient voir, est très bien campé.
Stephen King sur Tête de lecture.
La part des ténèbres (The Dark Half, 1989), Stephen King traduit de l’anglais (américain) par William Olivier Desmond, Albin Michel, 1990, 461 pages