Dans ce roman, le premier de l’écrivain colombien Juan Gabriel Vásquez traduit en français, il est question d’un sujet peu connu, assez rarement abordé, celui des Allemands exilés en Colombie durant la Seconde Guerre mondiale.
Le narrateur, Gabriel Santoro, est journaliste. Il a publié un livre-reportage sur Sara Guterman, une amie de son père (qui se nomme Gabriel Santoro, comme lui). Adolescente, Sara Guterman a quitté l’Allemagne à cause des persécutions, pour venir s’installer en Colombie avec sa famille qui a ouvert un hôtel sélect, le Nueva Europa. Gabriel Santoro père a très mal accueilli le livre de son fils qu’il a très vivement critiqué dans les médias. Trois ans après, au moment où commence le roman, Gabriel Santoro père est hospitalisé, il doit se faire opérer du cœur. Il appelle son fils à son chevet, ce fils qu’il n’a pas vu depuis la brouille due au livre. L’opération se passe bien, le fils est très présent près de son père. Celui-ci se sent quasi miraculé, il pense qu’il vient d’obtenir une seconde chance, une occasion de rattraper ce qu’il n’a pas réussi jusqu’à présent. Peu après sa sortie de l’hôpital, il décide de partir pour quelques temps avec sa maîtresse. Pendant ces vacances, il meurt dans un accident de voiture.
Gabriel Santoro fils est bien décidé à découvrir ce que son père lui a caché et pourquoi il lui a menti, comme il le découvre après sa mort. Pourquoi Sara Guterman avait-elle une telle importance pour Gabriel Santoro fils, quel secret cache leur relation passée ?
Le lecteur découvre peu à peu, au rythme d’une construction qui joue entre passé et présent et multiplie les points de vue, l’existence de listes noires : des listes d’Allemands supposés entretenir des relations avec les milieux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont pour la plupart des Allemands venus s’installer en Colombie pour fuir le nazisme, mais certains restaient sympathisants, donc agitateurs et opposants au régime colombien, adversaire déclaré de l’Allemagne depuis sa rupture avec les puissances de l’Axe. L’intention de départ était bonne puisqu’il y avait en Colombie à cette époque un certain nombre de propagandistes et un parti pro-nazi, mais la pratique fut excessive, comme le décrit très bien ce roman à travers l’histoire fictive de Gabriel Santoro. Car furent dénoncés pour des raisons autres que politiques, des Colombiens d’origine allemande installés en Colombie depuis parfois la fin du XIXe siècle et même, comble d’ironie, des Juifs allemands comme les Guterman qui avaient fui le nazisme. Le zèle patriotique devint dès lors un bon moyen de régler quelques différends particuliers. Et le gouvernement se transforma en bourreau, armé des meilleures intentions, emprisonnant des innocents.
Gabriel Santoro fils reprend l’enquête, interroge à nouveau Sara ainsi que de nouveaux « témoins » comme la maîtresse de son père et le fils de celui que son père a jadis dénoncé. Ainsi le fils reconstruit-il le vrai visage de son père, juriste, professeur d’art oratoire, grand homme respecté et médaillé. Le fils n’aura de cesse de comprendre le passé et de suivre les traces de son père lors de sa tentative de rédemption : « car on hérite des fautes ; on hérite de la culpabilité ; on paie pour ce qu’ont fait nos ancêtres, tout le monde le sait ». Le poids de l’Histoire et la faute paternelle pèsent sur cet homme qui porte la culpabilité de son père comme il porte son nom.
Un roman fort, à la narration complexe, qui sur le mode historique explore les thèmes de la filiation et de la culpabilité.
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Les dénonciateurs
Juan Gabriel Vásquez traduit de l’espagnol par Claude Bleton
Actes Sud, 2008
ISBN : 978-2-7427-7246-9 – 381 pages – 22.80 €
Los informantes, parution en Espagne : 2008
Un colombien, actes sud, claude bleton, ma foi l’ensemble mérite qu’on s’y penche!
N’est-ce pas… c’est exactement ce que je me suis dit. Et si tu peux trouver une vidéo sur le net, tu verras qu’il a d’autres atouts (son excellent français par exemple).
Viendrait-il en plus au prochain festival America en Septembre? ^_^
Voilà un sujet qui me plaît. Il ne vient pas au festival America ? Je note.
Tu vas pouvoir constater sur ce blog une très nette recrudescence des auteurs qui seront présents au festival America…
Zut, j’ai déjà ma réponse…
Tu penses y aller, n’est ce pas?
OUI !
Et une LAL qui gonfle, qui gonfle. Je crois que dans celui-là je vais retrouver les 3 moteurs de mes lectures : Dépaysement, personnages intéressants et une histoire d’aventure ou une enquête.
Le Papou
Et un sujet historique original, pour ma part, j’ignorais tout de ces listes noires.
filiation et culpabilité, deux thèmes qui m’intéressent beaucoup.
Si tu es prête à t’embarquer dans un roman à la construction un peu complexe alors ce roman te plaira.
Si l’enfant porte la culpabilité de son père alors cela signifie que jamais le père n’a porté sa faute. Vaste difficulté !
Le père a préféré faire semblant d’oublier, mais parce qu’il a failli mourir, il a essayé de réparer, d’aller voir ceux à qui il a fait du tort… le fils va suivre le même chemin, peut-être encore plus douloureux car il ne savait rien. Difficile chemin il est vrai.
Bonjour Ys,
je lis ton blog régulièrement mais je galère pour laisser des coms
Alors juste un petit passage pour te dire que sur tes conseils, je termine « L’Abandon » de Peter Rock. J’ai été fascinée par l’ambiance et l’écriture. Mais je reste pleine d’interrogations sur la fin. finalement je crois que je n’ai pas bien compris le dénouement …. ah … si tu pouvais éclairer ma lanterne !!!!
Bonne soirée
J’ai la faculté d’oublier les fins de livres quasi au moment où je les termine. Je peux relire de nombreuses fois le même roman policier avec toujours le même émerveillement. Je ne me souviens donc plus précisément de la fin, mais globalement de l’intrigue oui, grâce aussi au billet dont tu parles. Je me souviens que le père meurt électrocuté par une femme de rencontre parce que la scène est marquante et que la fille travaille dans une bibliothèque. Dis-moi ce que tu veux savoir vraiment, je tacherai de ressortir le livre.
de retour je vois que tu as encore lu plus que d’habitude je note ce livre mais qui me semble un peu ardu non?
Luocine
Il requiert une lecture attentive mais il n’y a rien d’incompréhensible, c’est la construction qui mérite attention.