La dernière nuit de Claude Eatherly de Marc Durin-Valois

Avec ce roman Marc Durin-Valois propose de revenir sur la figure de Claude Eatherly, « celui qui n’a pas détruit Hiroshima ». Il était en effet aux commandes du Straight Flush, l’avion de reconnaissance météorologique qui ouvrit la voie à l’Enola Gay. Il ne fut donc « que » celui qui donna le feu vert au largage de Little Boy sur Hiroshima le 6 août 1945.  Il a été beaucoup écrit sur celui qui représentait le traumatisé par excellence, le cas typique du jeune soldat qui agit dans l’action et passe le reste de sa vie à regretter (Paul Tibbets, pilote de l’Enola Gay n’a lui jamais éprouvé le moindre remords). On trouve sur le net le résumé d’un article d’Alain Decaux publié dans Historia n°412 en mars 1981 qui affirme que « chaque mois, il prélève une partie de son salaire pour l’envoyer à Hiroshima ».

Ce n’est pas à ce héros-là que Marc Durin-Valois confronte aujourd’hui son lecteur. A travers le personnage fictif d’une jeune photographe, il dessine le portrait extrêmement contrasté d’un homme à la fois victime et opportuniste, qui tenta de vendre son histoire à Hollywood, avide de médiatisation et de reconnaissance. Le roman fait également revivre une époque, une atmosphère pro-atomique qui laisse sans voix.

Rose Martha Calter a vingt-trois ans en 1949 quand elle rencontre pour la première fois  Claude Eatherly lors d’un de ses nombreux procès. Car celui qui au lendemain du largage de la bombe fait figure de héros, supporte mal le retour à l’anonymat. Tout au long de sa vie, il se fera arrêter pour des braquages fictifs (ses armes ne sont pas chargées, il part sans rien emporter), des chèques sans provision, des arnaques diverses. Rose est tout de suite fascinée par cet homme dont elle a pu lire un texte rédigé en prison qui raconte cette fameuse nuit avant Hiroshima. Pour elle, il est traumatisé, il est lui-même victime de la guerre, de la bombe. Pendant des années, elle essaie de vendre ce sujet aux rédactions qui l’emploient mais le portrait d’un vétéran qui déprime n’est pas alors ce qui convient à l’image que les Etats-Unis souhaitent renvoyer de ses soldats. Quand les médias s’empareront du personnage Eatherly elle n’en sera pas l’instigatrice, mais l’implacable observatrice : et si toute cette victimisation du héros n’était finalement qu’une mise en scène pour attirer l’attention sur lui ? Attendant son heure, elle ne le lâche pas, lui rendant régulièrement visite, même lorsqu’il est interné à plusieurs reprises dans un hôpital psychiatrique (au final plus convenable pour un vétéran que la prison).

Marc Durin-Valois explicite sans trancher toute l’ambiguïté d’un homme comme Claude Eatherly qui fut un héros pour son pays, celui qui a fait ce qu’on attendait de lui, mais qui ne sait plus qui il doit être une fois la fête terminée. Il sait qu’il devrait être pris de remords, mais l’est-il ? N’est-il pas plutôt un grand manipulateur qui laissera les pacifistes utiliser son image de vétéran traumatisé ? Il est clair  que Marc Durin-Valois n’accrédite pas la thèse d’un Claude Eatherly qui falsifie des chèques pour les envoyer à des orphelinats d’Hiroshima. L’ancien pilote semble ici s’intéresser plus à son sort qu’à celui des milliers de victimes de son feu vert. L’un des facteurs essentiels pour comprendre son attitude est l’importance des médias qui tour à tour l’ignorent puis font de lui une star avant de le laisser retomber dans l’indifférence. Une personnalité fragile comme celle de Claude Eatherly ne peut pas s’en remettre. Autre facteur important : la guerre froide et la mode du tout-atomique qui enflammait alors les Etats-Unis. Le nucléaire est un sujet d’actualité, Claude Eatherly aussi :

Les « pique-niques nucléaires » rencontraient un grand succès. La chambre de commerce locale éditait un programme  des tests. A une heure définie, on allait à l’étage élevé d’un hôtel, ou dans des maisons bien orientées, ou encore au bord de la piscine, pour assister à l’explosion d’une de ces bombes comme à un spectacle de feu d’artifice. On commentait en famille la montée au loin du champignon radioactif en poussant des exclamations et en mangeant la viande de barbecue. […] Tout un business prospérait sur ce thème. Les coiffeurs proposaient des choucroutes capillaires en forme de champignon, les patrons des bars des cocktails atomiques. Dans les casinos, la tradition était de lancer les plus grosses mises juste après le flash de la bombe. Les militaires assuraient que les risquent étaient inexistants…

Gageons que ce portrait plus que nuancé d’un soldat américain qu’on voudrait dévoré par la culpabilité mais s’avère plutôt mesquin, ne fera pas l’unanimité parmi les historiens. Pour ma part, je ne connaissais pas Claude Eatherly et j’ai donc abordé ce roman sans a priori et j’ai apprécié ce portrait d’un homme dégagé de sa légende. Le pilote du Straight Flush s’est-il engagé contre le nucléaire ? Fut-il un militant ? Je ne sais pas quelles étaient les intentions de Marc Durin-Valois en écrivant ce roman, s’il désirait faire œuvre d’historien, s’il a enquêté, s’il a voulu rétablir le vrai visage de Claude Eatherly. Toujours est-il qu’en le lisant, on a envie de savoir si ce Claude Eatherly-là ressemble à celui qui fut. C’est donc que le roman fonctionne, que par le biais de ce roman, l’auteur a su capter son lecteur et au final lui faire partager les sentiments d’un probable Claude Eatherly, plus humain qu’héroïque.

 
La dernière nuit de Claude Eatherly

Marc Durin-Valois
Plon, 2012
ISBN : 978-2-259-21845-0 -339 pages – 21 €

22 commentaires sur “La dernière nuit de Claude Eatherly de Marc Durin-Valois

    1. J’en ai écrit des tartines et réussi à ne rien dire du style… Oui c’est vrai, en plus de toutes les qualités que je lui trouve, il est aussi vraiment bien écrit.

  1. Troisième billet aujourd’hui… Bon, je ne connais ni l’auteur ni le personnage…Mais les essais nucléaires des années 50, déjà rencontré dans deux romans US, au moins.

    1. J’ai raté cette émission (en vacances, loin de tout, on perd ses bonnes habitudes…), je vais la chercher et la podcaster, merci.

  2. effectivement sur France-Culture on a beaucoup parlé du japon et de la bombe et du tsunami…
    je note ce livre mais sans le mettre en tête de mes envies
    merci pour ce billet si complet
    Luocine

    1. Luocine, je n’arrive pas à déposer un com’ sur ton blog : la fenêtre de com’ s’ouvre, je vois mes coordonnées mai pas le cadre pour écrire, je n’ai plus la main au-delà de l’adresse de mon blog. J’ai essayé 5 fois, sans résultats.

    1. C’est vrai que ça peut être gênant, mais ce n’est pas un documentaire, c’est une fiction donc pas de devoir d’authenticité.

  3. dommage , je ne sais pas pourquoi tu ne peux plus écrire, j’ai changé une chose.
    je modère mes commentaires car j’ai été victime d’un « robot » qui ajoutait 10 commentaires par jour sans aucun intérêt sur mon blog, mais depuis j’ai reçu d’autres commentaires
    je vais essayer de comprendre
    Luocine

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