La nuit a dévoré le monde de Pit Agarmen

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Antoine Verney, la trentaine et narrateur de cette histoire, se trouve être le seul survivant d’une soirée entre amis branchés à Pigalle. Non pas qu’elle ait tourné au pugilat, mais pendant qu’il dormait à l’écart (Antoine est un asocial), les gens se sont transformés en zombies. Dans le monde entier. Qui n’est pas encore mort et revenu à la vie pour dévorer son semblable le sera sous peu car les zombies ont la force du nombre et l’endurance de l’éternité. Antoine les observe du haut de l’appartement de son amie, devenu le sien et barricadé contre toute intrusion. Il se prépare à une longue solitude qui n’est pas pour lui déplaire, tout bien considéré.

« Je ne ressortirai plus. Je suis un Robinson, les zombies sont mon océan »

Il va quand même falloir s’occuper, trouver un rythme pour ne pas tomber dans la dépression. S’occuper des plantes, faire le ménage, s’entretenir physiquement, écrire. Car Antoine était écrivain, il décide donc de poursuivre son œuvre même si le public potentiel s’est considérablement réduit. Trouver à manger en explorant les appartements, mais seulement les mitoyens car il est hors de question de marcher dans la rue qui appartient désormais aux morts-vivants. Et les regarder déambuler, leur inventer des vies.

Antoine se sent de mieux en mieux dans ce monde-là, en sécurité et surtout seul, loin de ce qu’il a toujours tenté de fuir : « Etre dans un quartier à la mode comme Pigalle a un grand avantage : je peux flinguer les ombres de la jeunesse dépensière et égoïste, la bourgeoisie branchée, faussement préoccupée des pauvres, prédatrice et qui parle fort ». Il tient là sa revanche sur une société qui l’a toujours méprisé, lui l’auteur de roman de gare à l’eau de rose : « ils m’ont débarrassé d’une société que je haïssais ».

Tout comme Robert Neville auquel on pense forcément, Antoine Verney est un survivant dans un monde hostile, dévasté. Il est l’unique représentant de l’espèce humain, au moins dans le quartier, et comme il ne peut en sortir, il est désormais seul au monde. Les zombies lui confèrent donc un statut légendaire qu’il endosse et assume comme le plus égoïste des hommes. Il ne connaîtra jamais, pas plus que le lecteur, la cause de la mutation, mais il cherche à en comprendre les raisons :

« Les zombies arrivent au moment juste. C’était leur tour d’entrer sur scène. Ils viennent terminer la destruction de l’humanité que nous avions commencé avec les guerres, la déforestation, la pollution, les génocides. Ils réalisent notre plus profond désir. Notre propre destruction est le cadeau que nous demandons au Père Noël depuis la naissance de la civilisation. Nous avons enfin été exaucés ».

Les zombies comme juste châtiment pour l’humanité, en lieu et place d’épidémies ou de catastrophes naturelles que la science-fiction a inventées depuis les années 70. Ce qui nous situe quasi dans un monde post-apocalyptique où l’homme lutte pour survivre. Ici, Antoine Verney ne se bat pas vraiment, il shoote les zombies depuis son balcon mais ne les affronte pas. On est loin des scénarios à la Resident Evil ou dans la veine de Walking Dead : c’est la réflexion qui prime, non sans ironie. Celle par exemple de ne pas être au final tout à fait seul et de s’en réjouir malgré toute la misanthropie affichée.

Aucun doute que Pit Agarmen donne une réelle épaisseur à son histoire de zombies qui laisse au placard le gore et le ridicule. C’est peut-être dommage que Martin Page ait eu envie ou besoin d’écrire sous pseudonyme. L’Olivier a pourtant déjà accueilli quelques romans post apocalyptiques, et non des moindres. Soulignons que le fond est dense et que la forme est belle ce qui n’est pas toujours le cas quand il s’agit de morts-vivants.

Martin Page sur Tête de lecture

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La nuit a dévoré le monde, Pit Agarmen, Robert Laffont, août 2012, 219 pages, 18€

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