« Mika Etchebéhère est une des grandes oubliées de l’histoire » écrit Elsa Osorio dans la postface de cette biographie romancée consacrée à cette révolutionnaire effectivement mal connue. Mika Feldman naît en Argentine en 1902 de parents juifs d’origine russe immigrés à la fin du XIXe siècle pour échapper aux persécutions et à la misère. C’est dans son pays natal qu’elle rencontre très jeune Hipólito Etchebéhère, d’origine française, déjà engagé dans la lutte révolutionnaire. Il sera son seul compagnon, deviendra bien des années plus tard à Paris son mari, avant de mourir lors des tous premiers combats de la guerre d’Espagne.
C’est pendant cette guerre civile qu’elle devient « la capitana », la milicienne du POUM qui commande aux hommes et que les hommes obéissent. Mais dès avant 1936, elle a déjà parcouru les sentiers révolutionnaires, de Paris à Berlin, travaillant inlassablement à l’avènement de la révolution prolétarienne. Elle était à Berlin dans les années 1932 et 1933, elle a vu les nazis prendre peu à peu le pouvoir, dans la rue et dans les urnes. La ferveur de Mika et Hipólito est grande et leur dévouement total, au point qu’ils décident de ne jamais avoir d’enfants pour ne pas entraver leur mission. Leur vie est un combat sur tous les fronts, ils collaborent à de nombreuses revues, rencontrent des intellectuels, organisent, réunissent et s’épuisent jusqu’au bout de la nuit, malgré la tuberculose d’Hipólito. Leur vie est une perpétuelle émulation aussi bien intellectuelle qu’idéologique.
Dans la journée, les rues grouillent de monde, de bruits, de discussions politiques ici et là, auxquelles participent des hommes et des femmes de tous âges et conditions. C’est pour cette ferveur qui palpite sur le Scheunenviertel qu’Hipólito a voulu quitter la Patagonie, et plus tard Paris : c’est ici que nous devons être, Mika. Elle aussi le pense, elle le set dans sa main tiède qui s’accroche à la sienne, dans son regard brillant et concentré qui observe les visages de ceux qui parlent dans un groupe.
Mika combat le fascisme sous toutes ses formes mais s’aperçoit bientôt que le parti qu’elle a choisi est controversé puis persécuté. Le POUM est en effet antistalinien et Mika ne peut s’empêcher de voir en Staline une nouvelle forme du fascisme qu’elle combat. Une opinion qui ne facilitera pas sa position de femme dans cet univers masculin. Ses compagnons pourtant, l’admirent voire la vénèrent :
Apparemment, tous les miliciens qui l’ont côtoyée – et c’est pareil avec ceux qui sont maintenant à Moncloa – la voient ainsi, comme si elle n’était ni homme ni femme, pour eux, elle est sur un piédestal.
Le portrait qu’Elsa Osorio fait de cette figure révolutionnaire n’est pas chronologique, ni même univoque. Il est fait de plusieurs voix (parfois même une familière deuxième personne du singulier souligne la proximité de l’auteur avec son héroïne) et de va-et-vient tout au long de quatre-vingt-dix années de vie. Le roman d’Elsa Osorio se concentre cependant principalement sur les combats menés pendant la guerre d’Espagne durant laquelle les femmes étaient très présentes, mais pas au plus fort des combats, dans les tranchées et aux postes de commandement comme ce fut le cas de Mika Etchebéhère.
Comme dans son très beau roman, Luz ou le temps sauvage, Elsa Osorio entraine son lecteur au cœur d’épisodes tragiques de l’Histoire grâce à un personnage féminin très fort. Ici, les témoignages, les écrits de Mika elle-même et la présence de personnalités célèbres donnent à ce roman la force d’une biographie tout en lui insufflant l’intensité de la fiction.
La Capitana
Elsa Osorio traduite de l’espagnol par François Gaudet
Métailié, 2012
ISBN : 978-2-86424-876-7 – 333 pages – 22 €
La Capitana, parution originale : 2012
Je note avec enthousiasme! Le POUM + une femme capitaine + des histoires de révolution — pas mal certaine que je vais aimer. 🙂
Cette femme a eu une vue d’aventures, dangereuse, et elle a vécu très vieille. Elsa Osorio restitue nous la fait découvrir, et la fait vivre, c’est une belle réussite.
Bonjour, très belle chronique. On peut lire les mémoires de la « capitana », Ma guerre d’Espagne à moi chez Babel ou consulter le portail de la fondation Andreu Nin, qui est une mine.
Merci pour ces précisions. Elsa Osorio parle en effet de ce livre qui lui a servi, je ne savais pas s’il était encore disponible.
J’ai bien aimé La Capitana mais je garde un meilleur souvenir de Luz ou le temps sauvage.
Luz ou le temps sauvage est un sujet plus grave, plus fort, qui porte derrière lui la tragédie actuelle de tout un pays. Les enjeux sont moindres ici, même si cette femme a eu un destin hors normes.
oui …
j ‘ai beaucoup lu sur cette période , cela m’ a laissé une bonne dose de scepticisme sur le militantisme
Luocine
Les militants, comme les fanatiques, je préfère les côtoyer dans les livres. Mais ceux-ci tout de même se battaient pour la liberté, contre le fascisme, ça n’est pas rien…
Un personnage pas des plus communs… cela me tente !
Etonnant qu’aucun romancier ne se soit emparé de cette femme avant, il y a vraiment matière à aventure, politique, Histoire, amour…etc. bref, du romanesque !
Il faut absolument que je case Luz ou le temps sauvage dans mes lectures. Ça fait bien 10 ans qu’il est dans ma PAL !!
Il ne mérite vraiment pas une si longue pénitence…
Un sacré portrait d’héroïne, suffisamment rare pour en effet y prêter attention. Bonne soirée.
Il y avait pas mal de femmes parmi les opposants au fascisme, on les voit aussi dans le livre de Nuria Amat. Celle-ci semble avoir été vraiment exceptionnelle.
De cet auteur, j’avais adoré et garde en mémoire le merveilleux « Luz et le temps sauvage ». J’hésite encore à lire « Tango » qui est dans ma pal… Vais-je me laisser tenter par celui-ci ?
Tu peux vraiment te laisser tenter, il n’y a pas de raisons pour que tu sois déçue si tu aimes ce genre de biographies et le contexte.
Sur ce blog, je fais toujours de nouvelles découvertes ! Merci !
C’est ce qu’on peut m’écrire de plus encourageant : merci !
Je l’ai repéré et acheté ce jour. Il va même peut-être passé en priorité pour être lu prochainement. Avec ton commentaire ça me donne bon espoir pour aimer la lecture.
Eh bien bonne lecture, j’ai hâte de lire ce que tu en auras pensé.
Il est dans mon sac pour cette journée de train… Ton avis me donne envie de le privilégier au bouquin en cours !
Il va t’emporter, gare à ne pas rater ta station 🙂
Bonjour,
ayant fini et beaucoup apprécié le roman hier soir, mais étant également libraire passionné, je me permets de signaler qu’il sera possible de rencontrer Elsa Osorio le mercredi 26 septembre chez Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris), à toutes fins utiles !
je ne pense pas lire ce roman mais ce que j’ai pu aimer « luz et le temps sauvage » 🙂
Moi aussi, c’est une histoire forte et belle.