Lituma dans les Andes de Mario Vargas Llosa

Lituma dans les AndesLe brigadier Lituma vient d’être affecté à Naccos, dans la cordillère. Il doit enquêter sur la disparition d’un, de deux puis de trois péons dans ce trou paumé, jadis village minier prospère, produisant argent et zinc. Aujourd’hui, le village survit grâce au chantier d’une route qui ne verra certainement jamais le jour. Plusieurs hypothèses se font jour, plus ou moins probables : les péons ont été tués par le Sentier lumineux ; ils ont rejoint le Sentier ; ils on été emportés par les diables des montagnes et autres pishtacos pour obtenir la faveur des dieux ou calmer leur colère. Lituma, chef de poste, avec pour seul adjoint Tomas Carreño interroge les habitants le jour et la nuit écoute les élucubrations amoureuses de son subordonné.

Lituma dans les Andes est un roman à la fois grave et drôle. Au centre, le Sentier lumineux et ses crimes abominables, la terreur qu’il fait régner dans les villages les plus reculés. On assiste à ces tristement célèbres jugements populaires et aux massacres de populations à coups de pierres (pour ne pas gâcher les munitions). Sous le langage fallacieux des terroristes, n’importe qui est ennemi de la révolution. Ainsi suit-on deux jeunes touristes français et une scientifique étrangère oeuvrant pour la préservation de l’environnement qui vont tomber sous les coups des fanatiques criminels. Le lecteur n’assiste pas à leur mort, mais à tout ce qui les précède, comprenant ainsi l’évidente innocence de ces victimes.

Mario Vargas Llosa aurait pu écrire un livre terriblement noir, écrit dans le sang. Il choisit pourtant avec Lituma dans les Andes la distance romanesque grâce au personnage de Lituma, bon vivant et gouailleur qui se réjouit la nuit venue en écoutant le récit des amours tumultueuses de son naïf adjoint. En effet, Carreñito entreprend de raconter à son chef son histoire d’amour romanesque avec la très belle Mercedes, prostituée. Par amour, le naïf jeune homme dépucelé à vingt-trois ans par cette beauté a commencé par tuer son client, un narcotrafiquant, parce qu’il pensait qu’il la maltraitait. Ils ont fui ensuite ensemble, il lui a donné tout son argent, fourni de nouveaux papier et elle l’a abandonné. Au-delà du rocambolesque de l’histoire, se dessine le portrait de ces hommes chargés de faire régner l’ordre et la justice. Pour arrondir ses maigres fins de mois de garde civil, Tomas Carreño s’est mis au service de son « parrain », qui lui confie quelques missions, comme celle de garde du corps auprès du narco qu’il a finalement raccourci. Il n’hésite pas à tuer pour raisons personnelles, sans que ça porte vraiment à conséquence dans son travail.

La technique narrative de Vargas Llosa dans Lituma dans les Andes est à nouveau ici originale, habile et réjouissante. A plusieurs reprises, il fait se chevaucher des dialogues, plusieurs conversations se déroulant simultanément créant ainsi des rapprochements humoristiques mais sans jamais nuire à la compréhension du lecteur attentif.

Il aurait été facile d’écrire un roman sur les malheurs apportés par le Sentier lumineux au Pérou. Mario Vargas Llosa choisit d’aller plus loin, en soulignant que les terroristes ne sont pas le seul fléau des Péruviens. La fatalité et les superstitions ne sont pas étrangères non plus à la misère. Et de souligner que contre la peur, reste le rire.

Mario Vargas Llosa sur Tête de lecture

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Lituma dans les Andes

Mario Vargas Llosa traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan
Gallimard, 1996
ISBN : 978-2-07-073927-9 – 315 pages –

Lituma en los Andes, parution originale : 1993

18 commentaires sur “Lituma dans les Andes de Mario Vargas Llosa

    1. J’ai beaucoup apprécié l’aisance narrative, le mélange des dialogues qui ne font pas partie de la même conversation, qui provoque des doubles sens cocasses sans que pourtant soit perdu : très fort.

  1. Avec Vargas Llosa, j’ai eu des hauts et des bas… J’ai aimé Tours et détours de la vilaine fille, et plus encore, Le rêve du celte, mais pas accroché du tout à Qui a tué Palomino Molero… Il était au Festival America ?

    1. Ah la la, non… mais c’est moi qui animais la scène Pérou et il a bien sûr été question de lui. Je trouvais intéressant de savoir s’il était apprécié des jeunes auteurs et s’il était un auteur populaire, i.e. lu par tous (ce qui n’est pas le cas de tous les Nobel) : et la réponse est oui à tout.

    1. C’est que ce Vargas Llosa m’étonne et m’enthousiasme à chaque livre. Arriver à faire rire avec un livre qui traite du malheur des populations face au Sentier lumineux, c’est à la fois habile et intelligent, et surtout génial.

    1. Il n’a pas besoin de décrire la violence pour qu’elle soit évidente au lecteur. Il y a un jeune couple de touristes français qui se fait tuer, on ne voit pas la scène mais on sait très bien le drame que c’est, l’innocence des victimes parce qu’on les a suivis avant. On apprend leur mort après. Et les histoires de l’adjoint peuvent sembler triviales dans un contexte si grave mais elles sont bien plus subtiles qu’elles n’y paraissent car elles éclairent le quotidien des gens chargés de lutter contre la violence. Il faut lire Vargas Llosa, c’est toujours un bonheur.

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