Depuis quelques années, on le voit partout : de reportages en docu-fictions, Philippe Charlier promène son physique agréable pour le plus grand bénéfice de la science. Tout à fait le genre de personne à susciter des vocations. C’est que ce médecin légiste et paléopathologiste (on dit aussi paléoanthropologue ou archéo-anthropologue), qui est aussi docteur ès lettres, a l’enthousiasme communicatif et le don de faire passer son savoir, qu’il a immense, au grand public amateur à la fois d’histoire et de sciences. C’est en effet à la croisée de ces deux domaines que Philippe Charlier, archéologue contrarié devenu médecin, opère en tant que spécialiste dans l’étude des restes humains anciens. Pas nécrophile pour autant, il est cependant capable de faire parler les morts, entendez de reconstituer la vie d’un village gaulois à partir d’un cubitus réduit en miettes, ou presque.
C’est en regardant le docu-fiction de Dominique Adt, « L’Affaire Agnès S. » que j’ai découvert Philippe Charlier. Mises en scène sous forme de thriller historique, ses recherches sur l’identité et les causes de la mort de la Dame de Beauté sont tout simplement passionnantes. On entrevoit déjà la minutie du travail fourni. Idem avec le plus récent documentaire de Stéphane Gabet et Pierre Belet « Le Mystère de la tête d’Henri IV », monté comme une enquête policière autour d’un crâne sorti d’un coffre et attribué par son propriétaire au roi assassiné en 1610. Là encore, c’est passionnant. Le documentaire restitue non seulement les différentes étapes du travail d’analyse scientifique mais aussi (et surtout) explicite clairement les connexions indispensables avec d’autres domaines de connaissance comme l’Histoire de France et l’histoire de la médecine (on s’y attend), mais aussi par exemple l’histoire de l’art. Philippe Charlier au final passe autant de temps derrière son microscope que dans les dépôts d’archives.
Le décloisonnement, cher à l’Education Nationale, est en effet monnaie courante dans la pratique professionnelle de ce « médecin des morts » telle que décrite dans ces « récits de paléopathologie », une discipline médicale qui « étudie les maladies des populations du passé à partir de restes minéraux (squelettes) et organiques (momies) issues de fouilles archéologiques ». Ainsi interviennent des disciplines voisines comme l’anthropologie funéraire, la paléotératologie (qui s’intéresse aux malformations), la taphonomie (l’ensemble des processus participant à la dégradation d’un corps mort), l’histologie, l’histoire de la médecine, la sociologie… Quotidiennement, Philippe Charlier se trouve confronté à « trois sources documentaires bien distinctes : les textes littéraires et médicaux (philologie, histoire de la médecine), les données icono-diagnostiques (ex-voto, statues, graffitis…) et les études paléopathologiques proprement dites (histoire des maladies) ». Vingt-huit exemples qui dressent « un panorama de cette discipline scientifique et des découvertes exceptionnelles » qu’elle a générées.
Certains textes explicitent des pratiques anciennes qu’il est indispensable au paléopathologiste de connaître : la « cuisine des corps » (comment étaient autopsiés et embaumés les monarques français), les rites funéraires dans l’Antiquité (qu’ils soient officiels ou magiques), les croyances et superstitions (qui ont engendré des pratiques, par exemple nécrophobiques)… On en apprend également beaucoup sur l’évolution de l’autopsie (jusqu’à la virtopsie), sur la vague résurrectionniste (et la vente de graisse de cadavres pour alimenter les lampes !) et la production quasi industrielle de momies au XVe siècle, mais aussi l’état sanitaire des populations du bassin méditerranéen durant l’Antiquité (ce qui est plus aride, il faut l’avouer). Plusieurs rappels des pérégrinations post-mortem de certains grands personnages (Jeanne d’Arc, Richelieu, Descartes) promènent le lecteur en terrains plus familiers tout en soulignant ce qu’une science récente comme la paléopatolologie peut apporter de neuf à des siècles de recherches.
D’autres textes, plus originaux, se basent sur l’expérience de Philippe Charlier qui revient par exemple sur son expertise des restes d’Agnès Sorel. Il intervient dans des domaines de recherches très divers : étude d’une collection d’ossements grecs anciens visant à reconstituer l’état de santé des populations ; étude anthropologique et paléopathologique des restes humains conservés dans le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre ; recherche sur les malformations humaines sur le pourtour de la Méditerranée et leur influence sur les créations iconographiques et littéraires des monstres de la mythologie gréco-romaine ; études des squelettes de nécropoles romaines républicaines afin de mieux appréhender le contexte médical et sanitaire des populations…etc. Certaines de ses conclusions font progresser des champs très différents de la connaissance. Ainsi l’identification d’un fœtus de cinq mois soigneusement enterré dans la Grèce antique nous apprend-elle quelque chose sur la façon dont on considérait alors l’être humain avant sa naissance. De même la découverte de la présence d’une adolescente trisomique parmi les victimes probablement sacrifiées aux dieux à l’Age du fer nous renseigne-t-elle à la fois sur le statut de ces malades mais aussi sur la nature des offrandes.
Certains cadavres se montrent encore réticents et ne livrent pas leurs secrets : ainsi ne connait-on pas encore les causes de la mort du petit rouquin gallo-romain de Bourges malgré examens et analyses. D’autres mystères par contre demeurent alors qu’ils mériteraient une enquête paléoanthropologique. Ainsi en saurions-nous plus sur l’identité de Louis XVII ou au moins du jeune homme enfermé au Temple en son nom, ou sur les raisons de la mort de Descartes (empoisonnement ?)… Philippe Charlier dresse d’ailleurs en fin d’ouvrage un inventaire des cas restant à étudier sous forme de « Petit guide touristique du paléopathologiste ». Ah, si l’on pouvait analyser toutes les prétendues reliques du Christ, de la Vierge et autres saints… et que dire de la tombe d’Eve à Djeddah (deuxième ville d’Arabie Saoudite, dont le nom signifie grand-mère en arabe) ?
On n’a certainement pas fini d’entendre parler de Philippe Charlier, aujourd’hui âgé de trente-cinq ans. Deux ouvrages ont paru cette année : Les secrets des grands crimes de l’Histoire chez Vuibert et Autopsie de l’art premier aux éditions du Rocher. Il sera le week-end prochain aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois. Moi aussi.
Philippe Charlier sur Tête de lecture
Médecin des morts. Récits de paléopathologie
Philippe Charlier
Fayard, 2006
ISBN : 978-2-213-62722-9 – 389 pages – 20 €
Moi aussi, je serai à Blois.
Ce livre était déjà dans ma LAL depuis un moment mais tu me mets encore plus l’eau à la bouche!
Je me ferai certainement plaisir en m’offrant à Blois son dernier livre sur les crimes de l’Histoire. J’imagine que c’est un livre plus grand public.
Pas encore lu, mais je l’ai beaucoup entendu sur les radios, et c’est passionnant.
Tu me rassures, ça n’est pas moi qui le vois partout 😉
Jamais entendu parler de ce gars ! Je ne regarde pas beaucoup la télé… Mais ce qu’il fait semble très intéressant. Bonne journée.
Catherine, je n’ai pas la télé du tout et j’entends quand même parler de lui. Il faut dire que j’ai dû insister pour réussir à voir le documentaire sur Henri IV, mais quand on veut, on peut !
j’ai assisté à une de ses conférences, c’est du bonheur, il est passionnant, je ne doute pas que son livre le soit tout autant.
Chouette, je suis déjà conquise… Par contre, il va falloir arriver tôt, je crois. Les Rendez-Vous de l’Histoire sont la seule grosse manifestation littéraire (entre autres) que je connaisse dont les conférences soient d’accès gratuit. Il y a toujours beaucoup de monde…
Bonjour Ys, je l’ai entendu une fois à la radio cet été. J’ai retenu qu’il ne pouvait pas se passer de son microscope électronique qui lui fait découvrir tant de choses. Bonne rencontre à Blois et bonne fin d’après-midi
Plus que tentant ! Quelle chance tu as d’aller à Blois 😉 !
Il me semble bien avoir vu l’émission qui traitait de la tête d’Henri IV. Je n’avais pas allumer la tv pour regarder ça mais je n’ai pas réussi à changer de chaine. C’est vrai que c’est très intéressant et surtout très bien expliqué. Par contre je n’avais pas retenu son nom. Maintenant c’est chose faite. Merci à toi.
On se sent contant d’être vivant, tout de même…
Et oui, tu nous mets l’eau à la bouche! Passionnant! Malheureusement je ne l’ai pas dans ma PAL, sinon je lui aurai sauté dessus.
Oh très intéressant, j’aime ce sujet et je note.
C’est un livre que j’ai failli acheter à sa sortie… ton billet me fait regretter d’être passée à côté ! Enfin, il n’est pas trop tard… et avec un peu de chance, il va sortir en poche 🙂
ça a l’air bigrement intéressant! je me demande si je ne vais pas l’offrir à mon mari, il a voulu être médecin légiste… 🙂
Pas de doute que ce livre lui fera plaisir.
Mais il ne me semble pas l’avoir vu encore dans un docu-fiction ! Intéressant comme sujet, vu la place que ce genre de thème a dans la littérature : pratique pou démêler le faux du vrai !
C’est de qui ce tableau ? Rembrandt ? Vermeer ?
Rembrandt : La leçon d’anatomie du docteur Tulp
J’aime beaucoup ce que fait ce chercheur aussi. Et il a une plume passionnante !! J’ai lu de lui Male Mort – les morts violentes dans l’Antiquité, qui m’a fascinée…
Je ne le savais pas si jeune, en revanche #admirative
C’est ce qu’on appelle une grosse tête… Mais ce qu’il y a de bien, c’est que quand il restitue ses recherches, ce n’est pas du jus de crâne mais au contraire des explications tout à fait compréhensibles par tous.