El Olivo, c’est l’enfer : un de ces lieux sans limites, peuplé de personnages issus d’une fantasmagorie noire, comme sait les dépeindre José Donoso. Des gens qui n’ont rien, et surtout pas l’espoir de vivre un jour ailleurs que dans le Chili misérable qui les a vus naître.
A El Olivo, c’est don Alejo qui possède tout, qui décide de tout et règne en maître par la peur. Il aime se faire passer pour un propriétaire débonnaire et paternel mais uniquement envers ceux qui lui obéissent. Qu’on remette en cause son autorité, en ne payant pas ses dettes par exemple, et don Alejo sort ses chiens, dressés pour terroriser la population. Il n’y a pourtant plus grand monde, si ce n’est quelques vieilles dans une maison de passe. Elles sont toutes décrépites, l’une d’elles, la Manuela, est même un homme. La Manuela et sa fille, la Petite Japonaise, sont propriétaires de la maison de passe, suite à un pari remporté sur don Alejo : pour avoir couché ensemble devant tout le monde, la Manuela et la Grande Japonaise ont gagné la maison que don Alejo souhaite aujourd’hui récupérer pour la raser et faire pousser encore plus de vignes.
Quand ils sont arrivés à El Olivo, les habitants croyaient aux promesses du candidat Alejo : ils ont voté pour lui et attendu l’électricité. Ils l’attendent encore. Devenu riche et sénateur, don Alejo s’est fatigué d’El Olivo comme d’un jouet démodé. Il règne sur les habitants par habitude. Eux n’ont plus que la misère, la vieillesse et l’alcool.
Ce court roman est construit comme une tragédie avec unité de temps et de lieu et quelques incursions dans le passé permettant de mieux comprendre la situation des personnages. La Manuela en est le centre, personnage hautement tragique qui n’a jamais trouvé de place et a fui jusqu’à son identité sexuelle. Elle attire les hommes mais le désir qu’elle suscite en eux les rend furieux. Elle est celle dont on peut se moquer, qu’on peut frapper et soumettre.
En quelques pages, José Donoso écrit la déchéance et la misère humaine comme une fable grotesque. Les visages grimacent, les corps souffrent et se griment et le temps qui ne passe pas rend toujours plus long leur noir séjour sur terre. Tous ces gens ont cru aux belles paroles d’un propriétaire terrien manipulateur. Ils ont espéré, attendu, mais la route n’est pas plus venue que l’électricité. Leurs vies s’achèvent dans la poussière et l’indifférence comme de vieux jouets cassés. Ce que le lecteur sent pourtant c’est l’humanité terrible de ces habitants qui se débattent pour un petit peu de chaleur humaine.
Lire Donoso est un plaisir sombre, un regard porté sur la décadence annoncée et la folie prochaine des faibles créatures que nous sommes. Quand je lis Donoso, je vois les tableaux de Goya.
Ce lieu sans limites
José Donoso traduit de l’espagnol par Aline Schulman
Le Serpent à plumes (Motifs), 1999
ISBN : 9782842611026 – 198 pages – 5,90 €
El lugar sin límites, parution originale : 1966
Je ne connaisais pas du tout mais je suis très tenté. Un tour à la bibliothèque demain s’impose après un tel billet !
J’espère qu’il y aura du Donoso dans ta bibliothèque. C’est un auteur qui a été à l’avant-garde du boom latino-américain, mais aujourd’hui, il est beaucoup moins lu et moins connu que d’autres. Je pense que c’est en raison de son univers très sombre, glauque parfois et très fantasmagorique. L’obscène oiseau de la nuit est sans conteste un des plus grands livres que j’ai lus dans ma vie.
L’analogie avec Goya me semble très juste (même si je n’ai pas lu celui-là, mais je repense à L’obscène oiseau…, ses personnages tordus, son atmosphère sombre, baroque, oppressante…).
Je repousse encore ma relecture de ce livre qui m’a tellement marquée il y a… vingt ans, et en espagnol dans le texte. Le livre n’a certainement pas changé, mais moi oui, alors je ne sais pas bien si je dois rester sur mes souvenirs ou retenter l’expérience…
Merci pour la découverte, ce roman me tente bien. Je note le titre !
En lisant ton billet, j’ai tout de suite pensé à « Pedro Paramo »… Bon we !
celui-ci est plus simple à lire, plus linéaire, mais Rulfo est grand aussi !
J’étais persuadée de l’avoir quelque part dans ma Pal…et je ne remets pas la main dessus. Grr, il faut que je cherche mieux 😉 !
Il est tout petit, il a dû se glisser quelque part !
Est ce le même auteur qui écrivit « La mystérieuse disparition de la jeune marquise de Loria » En tout cas, celui ci me tente.
Tu viens de me faire faire une extraordinaire découverte. Oui, on dirait bien qu’il s’agit du même et j’en suis étonnée. Ce livre est paru jadis en français dans une collection « J’ai Lu » orientée romance rose (clairement pour femmes au vue des autres titres de la collection). C’est un livre érotique dont je n’avais jamais entendu parler. J’ai fait un tour du côté de site en espagnol, on n’en parle guère non plus, mais il semble qu’il s’agit d’un érotisme fantastique. Merci pour cette piste, je vais me mettre en quête de ce livre.
Brrr, le tableau brossé est bien noir.