Grâce à ce roman graphique, Antonio Altarriba fils retrace la vie de son père, né en 1910 et qui se suicida en 2001 en sautant de la fenêtre du quatrième étage de sa maison de retraite. 200 pages pour la vie d’un homme, ce qu’il a fait et ce qu’il a pensé, écrites à partir des souvenirs de son fils et de quelques carnets.
Alors qu’il nait à la campagne, son père et ses frères ancrent profondément chez Antonio la détestation de la terre et des travaux des champs. Il déteste ces gens qui le maltraitent, ne pensent qu’au profit et à la possession de toujours plus de terre. Dès qu’il peut il s’engage dans l’armée avec un plan en tête : déserter pour rejoindre le camp des anarchistes et préparer la révolution. On est en Espagne, au tout début des années 30. Le jeune homme forme une confrérie avec d’autres idéalistes : l’alliance de plomb, libertaire avant tout. Elle ne survivra pas aux épreuves de la guerre, du franquisme et surtout pas à la compromission de ces années de plomb. Les jeunes gens généreux devinrent des hommes avides de richesse, qui pour certains n’hésitèrent pas à faire fortune en exploitant leurs semblables et en s’alliant aux puissants. Antonio refuse ce suicide idéologique, comme il refuse le franquisme et l’Eglise. De fait, il s’isole de plus en plus.
Durant ces quatre-vingt-dix années de vie, Antonio Altarriba père traverse presque un siècle d’histoire espagnole très sombre. Par ses yeux, on vit la République, la guerre, les camps d’internement français et le travail obligatoire pendant la Seconde Guerre mondiale en France. Puis c’est le terrible retour en Espagne, en vaincu, à regarder ses amis et son pays plier sous la chape franquiste. Les quelques parenthèses de bonheur dans cette longue vie ne durent pas longtemps. Seule la naissance de son fils lui fait relever la tête mais la bigoterie de sa femme le force à baisser les bras. Il se sent infiniment seul.
A la fois donc page d’Histoire et biographie, L’art de voler est un roman graphique très dense. Le monologue intérieur du personnage principal fait office de voix off, comme au cinéma et génère beaucoup de texte en plus des phylactères. On peut en oublier de regarder dans les cases… Pourtant, le dessin de Kim, tout en noir et blanc, est à la fois sobre et précis, les visages sont torturés, les traits parfois poussés à l’extrême vers la caricature.
L’art de voler est un très bel hommage d’un fils à son père, à un homme qui voulut apprendre à voler pour rester libre et qui ne chercha pas à imposer ses convictions à quiconque. Un homme resté debout quand il était plus simple de s’agenouiller. Pas un héros cependant, un homme simple qu’on admire forcément pour son intégrité. On voudrait tous apprendre comme lui l’art de voler.
L’art de voler
Antonio Altarriba (scénario) & Kim (dessin) traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco
Denoël Graphic, 2011
ISBN : 978-2-207-10972-4 – 213 pages – 22.50 €
El Arte de Volar, parution en Espagne : 2009
Je ne l’avais pas pris au moment de sa sortie après avoir beaucoup hésité. Je crois finalement que ça me plairait beaucoup, je vais essayer de le trouver à la bibli.
J’ai mis longtemps à le lire, peut-être parce que j’ai lu pas mal de roman sur la guerre civile, la dictature, et je n’étais pas bien sûre d’apprécier une BD sur ce thème. En fait, je pense que j’ai beaucoup lu mais pas assez observé les dessins… comme je le dis, il y a beaucoup de texte, de surcroit intéressant et dès lors pour moi, c’est difficile d’articuler les deux supports également.
quelle destinée
j ai écouté hier sur France culture le destin des enfants volés à leurs parents sous le franquisme!
quelle violence! et vraiment l’église espagnole a du ménage à faire .
Ceci dit, je ne suis pas trop tentée par le graphisme de cette BD mais ce n’est pas non plus ma tasse de thé , les BD.
Luocine
Merci beaucoup Luocine : je viens de télécharger cette émission (quel bonheur que le fait de rater une émission à la radio ne soit plus synonyme d’impossibilité définitive de l’écouter !) et l’écouterai cette après-midi avec grand intérêt.
Je pourrais être assez bon public…
Je te recommande ce roman graphique : il est réussi.
Je me laisserai bien tenter pour l’aspect historique de la chose et l’aspect autobiographique
Si ces deux thèmes t’intéressent, tu ne pourras pas être déçue.
Très beau livre que j’ai découvert grâce à ton challenge..
Je continue, je suis sûre qu’il reste des pépites dans cette liste…
ça a l’air bien fichu et tentant… même si une remarque me vient spontanément sur les lèvres : encore du noir et blanc! Les graphistes auraient-ils perdu leur boîte de couleurs???
Les sujets sombres et graves sont propices au noir et blanc…