Foxfire de Laurent Cantet

« Les opprimés de la terre se lèvent et font leurs propres lois ». Non pas pour survivre, non, Legs ne veut pas juste survivre : elle a quinze ans et elle veut Vivre. Parce que quinze ans dans les Etat-Unis de 1955 pour une jeune fille c’est les garçons, les études de secrétariat avant le mariage et les enfants. C’est aussi supporter la domination des hommes : plaisanteries masculines, humiliations, tripotages, voire viols.

 

Legs et ses amies décident de ne pas accepter et de se venger : ensemble elles s’en prennent aux hommes qui les humilient et les ridiculisent. Non pas pour se vanter en public, mais d’abord pour se marrer entre copines et récupérer un peu d’estime de soi. Puis pour instaurer de nouvelles lois. Rita la gourde qui ne fait que pleurnicher relève ainsi peu à peu la tête.

Mais les activités de cette confrérie de sang ne passent pas inaperçues : d’autres filles veulent les rejoindre, et les autorités s’en mêlent. Premier procès à l’issue duquel Legs est condamnée à un minimum de cinq mois de maison de correction. Quand elle sort, elle en veut plus que jamais, loue une grande maison grâce à sa belle-mère et les filles emménagent sous le soleil dans une grande bicoque croulante. C’est là qu’elles sont rattrapées par la triviale réalité : il faut manger et pour manger, il faut de l’argent. Alors elles prennent celui qu’elles pensent leur appartenir en montant des plans auprès de vieux séducteurs prêts à s’envoyer une mineure. Au dernier moment, parfois au tout dernier, les autres filles surgissent et le type n’a plus qu’à payer pour éviter le scandale. Un jeu amusant, à peine risqué, auquel elles s’adonnent à tour de rôle. Jusqu’à ce que ça tourne mal.

Comment ne pas souligner d’abord que toutes les jeunes actrices sont formidables… toutes fragiles, déterminées, blessées, souriantes, rêveuses… en aucun cas des hystériques féministes ou des pom-pom girls qui peuplent d’ordinaire les films de ces années-là, ni même des potiches servant de faire–valoir. Elles sont pleines de vie et d’énergie, très naturellement sensuelles. Elles sont l’adolescence incarnée sous toutes ses facettes.

On les suit dans leurs aventures mais aussi dans leur quotidien, d’où un film de deux heures vingt qui devient une chronique quasi au jour le jour d’un projet d’émancipation. On les voit rire, souffrir, établir leurs lois, puis se contredire, se disputer, s’éloigner. Car la vie en communauté est propice à l’apparition de jalousies, d’ambitions personnelles, et pour Legs c’est le moment de choisir entre diriger et accompagner. C’est aussi le moment de constater les limites de sa  belle utopie solidaire qui se heurte au premier visage noir qui frappe à la porte…

Quand le film se fait un peu longuet, la fraîcheur des jeunes actrices prend le relais. Leur vitalité donne force à cette révolte que dès le début on sent tragique. Mais l’expérience est belle et vaut d’être vécue, tout simplement pour vivre plutôt que survivre.

Foxfire, confessions d’un gang de filles de Laurent Cantet d’après le roman de Joyce Carol Oates
Avec : Katie Coseni (Maddy), Raven Adamson (Legs), Madeleine Bisson (Rita)…

Durée : 2 h 23 – Sortie nationale : 2 janvier 2013

29 commentaires sur “Foxfire de Laurent Cantet

  1. Un des premiers romans de Joyce Carol Oates que j’avais lu et que j’avais adoré (of course) Je suis tentée par le film, mais que je n’irai pas voir au ciné car je n’aime pas aller au ciné 😉

    1. Et moi j’aime tellement aller au ciné que je suis prête à faire 70 km aller/retour pour voir ce film en v.o.. Et je n’ai pas été déçue. Par contre, je n’ai pas lu le livre, je ne peux donc faire de comparaisons.

  2. J’ai beaucoup aimé ce film. Et j’avais beaucoup aimé le livre, lu il y a une quinzaine d’années (en revanche je n’ai pas le souvenir que ça soit un pavé). Et c’est peut-être la première fois que je ne suis pas déçue par l’adaptation ciné d’un roman que j’ai aimé. Je conseille donc vivement le film et le livre !

    1. Il y a bien quelques longueurs (ce n’est pas un film d’action) mais c’est pour prendre le temps d’observer ces filles dans le détail et ça me plait.

  3. Un très bon film. Quelques longueurs mais qui passent biend dans le fait qu’on n’est pas dans l’action mais dans la réflexion, la vie d’un groupe, d’une meute autour d’une dominante. Le réalisateur (je n’ai pas lu à mon grand regret encore ce JCO) s’intéresse avant tout à l’aspect social de la vie des ’50 et de l’appartenance à une bande, l’endoctrinement, les prises de pouvoir, les jalousies, les clans internes… Bref un film très intelligent et qui mérite qu’on y plonge son regard pendant un peu plus de deux heures.

    1. Je n’ai pas détaillé les rapports de domination, mais c’est un aspect très intéressant, dans cette utopie égalitaire à la base. La scène où elles votent contre l’entrée dans la confrérie de la jeune fille noire, et donc aussi contre Legs, est très forte.

  4. Un très bon film de ce mois de janvier. L’énergie du film, portée par un groupe d’actrices formidable, est vraiment très enthousiasmante. Un film qui allie le fond et la forme, avec utopie et réflexion. J’ai passé un excellent moment !

    1. Ces jeunes actrices sont épatantes, et n’étaient pas actrices avant de passer devant la caméra de Laurent Cantet, qui fait donc ici des miracles…

  5. J’hésitais à le voir. Finalement j’ai opté pour The Master. Je regrette, et je regrette encore plus en lisant ta chronique 😥 Je n’ai aimé qu’un ou deux passages dans The Master, j’ai plus qu’à attendre que Foxfire débarque en médiathèque 😉

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s