Descendre en marche de Jeff Noon

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De cet auteur britannique culte dans son pays, la quatrième de couverture de Descendre en marche nous dit qu’il « construit une oeuvre singulière, alliant expériences littéraires et incursions dans les territoires imaginaires ». Faisant part il y a peu de mon intérêt pour  Descendre en marche, quelqu’un a cru bon de signaler que pour qu’on l’apprécie, il faudrait qu’il soit traduit… Certes, ce roman n’est ni linéaire ni démonstratif, mais il plonge le lecteur bienveillant dans un univers unique, riche même si délabré. Et la langue est à l’image de son propos : libre et novatrice.

Marlene la narratrice est une ancienne journaliste. Elle écrit dans des cahiers, pour ne pas oublier. Non comme un simple exercice de mémoire, comme on tiendrait un journal au jour le jour, mais parce que la mémoire s’enfuit, sa mémoire, celle des autres. La population, on le comprend peu à peu, est malade, malade de trop de bruit, de trop d’information. Les êtres sont atteints tout comme le réseau. La Lucidité, dite Lucy (In The Sky ?), poudre dorée, est le seul remède. Marlene en possède dans une valise.

Elle fait route avec Peacock, tueur en cavale, et Henderson sa compagne ; ils prennent en stop une adolescente. Leur mission, confiée par un mystérieux Kingsley : récupérer des morceaux de miroir. Alors même que les miroirs sont bannis car ils absorbent les reflets.  A bord de leur véhicule, ils tournent autour de Londres, rencontrent des gens étranges dans des lieux improbables. Comme ce musée qui renferme en son dernier étage quantité de livres dont les mots s’effacent au fur et à mesure qu’on les lit. Bientôt, il n’y aura plus de mots, plus de livres. C’est pourquoi Marlene écrit.

On ne connaîtra pas les tenants et aboutissants de ce mal qui ronge la planète : le propos en moins scientifique qu’onirique, donnant à voir les symptômes plutôt que les causes, au premier rang desquels une perception déformée de la réalité. De fait, Marlene malade ne nous transmet qu’une part de ce qui l’entoure, par fragments alternant souvenirs de sa fille malade puis décédée de la maladie, et étapes jalonnant ce road novel déstabilisant.

Qui dit identité fragmentée dit Philip K. Dick ; qui dit miroir (joli miroir…) dit Lewis Carroll : entre ces deux références, Jeff Noon trace un territoire halluciné et mélancolique où tout le monde ne trouvera pas sa place par manque de repères. Cette lente chute de l’intelligible a des accents d’un Edgar Poe moderne qui verrait s’effondrer le monde tangible autour de lui. Il n’est plus temps de fuir le bruit du monde puisque le monde est bruit. La fin du monde par la ruine progressive de l’entendement, voilà qui est bien plus angoissant qu’une épidémie de zombies.

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Descendre en marche (Falling Out of Cars, 2002), Jeff Noon traduit de l’anglais par Marie Surgers, La Volte, octobre 2012, 310 pages, 22€

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