Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain

Ben FountainBilly Lynn, héros de Ben Fountain, et ses sept camarades, comme lui soldats américains en Irak, se sont sortis d’une embuscade en faisant acte de bravoure. On n’en saura guère plus sur ce qui s’est passé là-bas puisque l’auteur se focalise sur ce qui intéresse les Américains : le show business. En effet, même la guerre peut-être vendue et peut faire vendre, générer des capitaux. Car l’héroïsme, la jeunesse et surtout la naïveté de ces très jeunes soldats, surnommés les Bravo, sont des images qui plaisent à l’Amérique de George Bush.

Le lecteur de Ben Fountain suit ces jeunes hommes lors de la dernière journée de cette « Tournée de la Victoire » qui les a emmenés de ville en ville à travers le pays. Ils ont été acclamés, félicités, encouragés par la population fanatisée et même suivis par un producteur d’Hollywood. On frôle parfois les scènes d’hystérie. C’est à Dallas que se termine ce grand show, au cours d’un match des Cowboys, équipe de football américain locale.  Et chacun de comprendre peu à peu que les Bravo servent à faire de la pub à cette équipe déclinante, et non l’inverse, en plus d’être un argument électoral.

Pour ce premier roman très réussi, Ben Fountain a choisi de faire un portrait très grinçant de l’Amérique de George Bush, celle qui a envoyé des jeunes gens se faire massacrer en Irak. Ces pauvres gosses âgés d’à peine vingt ans, paumés de la société, servent de faire-valoir à une politique de la poudre aux yeux. Ils sont obéissants, polis et surtout complètement perdus, déconnectés des fastes et des discours. On leur parle de patrie, d’honneur, de courage alors qu’ils pensent filles et alcool et gardent pour eux ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait, la mort, les bombes, la violence, tout ce dont il ne faut pas parler car ça ferait tache dans le tableau.

C’est l’Amérique du mensonge, des apparences et de l’argent que décrit ici Ben Fountain. Des discours officiels vides et populations formatées.

Billy remarque combien les autres invités écoutent avec attention, combien leurs visages affichent une expression de foi et de résolution. Les hommes ont l’air sérieux, détendu, en excellente forme pour leur âge, et ils évoluent avec le style assuré et harmonieux que confère la réussite depuis longtemps acquise. Leurs cheveux sont sains. Leurs rides, distinguées. Les femmes sont minces, élégantes, internationalement bronzées, et leur maquillage est recouvert d’une couche de froideur comme traité au téflon.

Tant d’argent et de mépris pour ce que ces jeunes gens ont subi tourne à l’obscénité durant cette fameuse mi-temps : la chanteuse Beyonce et ses Destiny’s Child viennent chanter dans le stade en « l’honneur » des Bravo qui se retrouvent comme des pantins au milieu de ces filles superbes et vulgaires, insouciantes et décérébrées.

Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain n’est pas un roman sur la guerre en Irak. C’est un roman sur l’Amérique de Bush, sur l’ère du divertissement chargé de pallier l’absence totale de logique politique. Le grand vide à la tête de l’Etat doit être comblé par les paillettes grâce à quelques riches fanatiques dont les Texans sont le fer de lance. On ne saura rien de la violence, des combats eux-mêmes car ce sont les hommes qui intéressent Ben Foutain qui les passe sous le microscope de sa plume acérée. Les partisans de Bush d’une part, et les Bravo de l’autre, complètement dépassés, paumés, manipulés. Billy Lynn, qui s’est engagé pour échapper à la prison, ne sait rien du patriotisme. Il comprend pourtant petit à petit que tout ça n’est une vaste comédie dont il est un des clowns principaux.

Ben Fountain, en s’inspirant de manifestations qui ont réellement eu lieu, dénonce à la fois les médias qui tiennent lieu de pensée, la société du spectacle qui comble le vide laissé par la réflexion et l’Amérique bien pensante qui ne veut surtout pas savoir ce qu’il y a vraiment dans la tête de ses héros, ni qui ils sont (« C’est la pire bande de psychopathes que vous ne rencontrerez jamais. Je ne sais pas comment ils étaient avant d’entrer dans l’armée, mais donnez-leur des armes automatiques et quelques produits énergisants, et ils feront sauter tout ce qui bouge« …) . Et la guerre bien sûr, la guerre inutile, la guerre qui tue les soldats et les civils et détruit les survivants de l’intérieur.

Un livre à rapprocher de celui de Kevin Powers (qui lui a été soldat en Irak), Yellow Birds, sorti presque en même temps.

Ben Fountain invité de L’Humeur vagabonde.

Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn

Ben Fountain traduit de l’anglais par Michel Lederer
Albin Michel (Terres d’Amérique), 2013
ISBN : 978-2-226-24518-2 – 401 pages – 22 €

Billy Lynn’s Long Half Time Walk, parution aux Etats-Unis : 2012

23 commentaires sur “Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain

  1. Tu confirmes donc les bons avis lus ici ou là, je le note. Je suis toujours étonnée que l’on dupe aussi facilement les populations avec ce genre de manipulations. Qui peut encore croire que la guerre n’est pas une horreur absolue, détruisant tout ce qu’il y a d’humain.

    1. Je n’ai jamais fait ni vécu la guerre. Mais j’imagine qu’on peut revenir de certaines assez fier, sur le plan idéologique. Avoir libéré l’Europe des nazis peut aider à supporter les horreurs vécues (j’imagine bien sûr). Mais là, vivre la guerre et tout ce que ça suppose pour rien, sur un mensonge, à cause d’un menteur paranoïaque et mégalomane, c’est difficile à assumer et dur de s’en remettre…

  2. C’est très différent de Yellow Birds mais j’ai adoré. Sans fioriture, à la fois plein d’humour et de lucidité… une réussite totale pour moi !

    1. Je comprends bien, un livre sur les soldats, la guerre, ça n’est pas tentant de prime abord, mais pourtant très bien écrit.

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