Living de Martin Caparros

Martín CaparrósLiving de Martin Caparros est un roman surprenant, picaresque, latin, parfois obscène et souvent grinçant. Instable au final car il varie les registres et promène le lecteur étonné à travers les méandres d’une histoire plus alambiquée qu’il n’y parait au départ.

Tout commence comme un récit de vie : c’est Nito qui raconte la sienne, lui qui a eu la malchance (ou la chance, qui sait…) de naître le jour de la mort de Juan Perón (juillet 1974) : funeste destin ou au contraire, formidable occasion de grandir avec une nation nouvelle ? Le bruit des bottes n’empêche pas Nito de grandir, non, ce qui le préoccupe lui, c’est qu’il n’a pas de père et que les autres se moquent de lui. Où est papa ? L’enfant ne se posera pas la question en ces termes. C’est une fois adolescent qu’il se dit qu’il est peut-être, puis surement , le fils d’un des sacrifiés de l’histoire argentine, de ces héros qui ont donné leur vie pour la liberté. La vérité est beaucoup plus prosaïque mais à l’origine tout de même de la vocation du jeune Nito : il décrira la mort des gens. Non pas que Nito se transforme tout à coup en madame Irma, non. Il rencontre un pasteur brésilien bien décidé à ramener ses ouailles vers son temple de Dieu la Mère. Il n’est pas à un petit mensonge près, même plusieurs gros, et engage donc Nito et son incontestable talent de conteur : rien de tel que de raconter aux gens dans quelles circonstances bien précises ils vont bientôt mourir.

D’aucuns savent jouer au football, d’autres chantent, d’autres encore résolvent des logarithmes ; moi, je conçois la mort. C’était plus un malheur qu’une bénédiction, mais grâce au Pasteur, c’est devenu un heureux malheur : tout à coup, j’étais un bon à rien avec un don – et j’ai pu m’en servir. J’étais resté très longtemps sans savoir quoi faire et, tout à coup, je l’avais découvert.

Tout ça semblerait traditionnel si Martin Caparros ne prenait des chemins détournés pour nous conter le destin de Juan Domingo Remondo, dit Nito. D’ailleurs, est-ce bien le récit de sa vie ou une invention de Nito devenu « la personnalité qu’on a vue le plus sur les écrans argentins au cours des mois qui ont suivi la Révélation : convoqué à toutes les émissions pour donner des détails, des précisions, raconter l’histoire de sa vie. Nito l’avait apprise par cœur et était capable de la répéter sans commettre d’erreurs » ? Car enfin, est-ce bien raisonnable de commencer le récit de sa vie par celui, souvent très cru, des ébats de ses parents avant conception ? Et qu’est-ce donc que ces étranges et courts chapitres en italique qui s’intercalent entre ceux de la vie de Nito ? Qui est dont ce Pitu Carpanta ? Un artiste, semble-t-il, « un des chefs de file de l’avant-garde portègne des années 1960 », qui entend bien révolutionner le monde de l’art avec un nouveau concept : les living (savoir s’il faut ou non mettre un s au pluriel est encore en discussion…). S’il ne faut bien sûr rien en dire, sachez que l’idée est bien moins vivante que l’anglicisme le laisse entendre et qu’un certain Barjavel l’a jadis exploitée (dans un roman par ailleurs détestable).

Malgré quelques longueurs parfois, le rire l’emporte car le regard que Martin Caparros pose sur la société argentine contemporaine est féroce. L’épilogue en particulier, qui liste les conséquences du Mouvement Living. Exemple : « l’industrie de l’embaumement est évidemment en passe de devenir l’un des moteurs de l’économie nationale ». Il n’est pas tendre non plus avec la religion, l’art et la mère argentine (qui se gave de telenovelas). Gageons qu’en Argentine, cet humour-là doit faire grincer des dents.

Living

Martín Caparrós traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Buchet-Chastel, 2013
ISBN : 978-2-283-02642-7 – 556 pages – 24 €

Los Living, parution en Argentine : 2011

12 commentaires sur “Living de Martin Caparros

  1. ça faisait longtemps que tu n’avais pas parlé d’un roman d’Amérique Latine.
    Moi j e me méfie de leur littérature surtout quand elle est déjantée , je suis assez imperméable et je n’arrive pas à comprendre pourquoi, je crois que ne pas connaître l ‘espagnol y est pour beaucoup.
    Pourtant j’apprécie beaucoup d’auteurs espagnols ..
    Bref pas sûre que je retienne ce titre
    mais merci pour ce billet
    Luocine

    1. J’ai un autre argentin pour dans pas longtemps ! Et oui, parfois c’est assez bizarre mais ici, c’est tout à fait abordable, pas délirant dans le sens où au bout d’un moment, tu ne comprends plus ce que tu lis et tu dois recommencer (ça m’arrive parfois avec certains Latinos particulièrement complexes…).

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