Le dernier arbre de Tim Gautreaux

Tim GautreauxLe dernier arbre de Tim Gautreaux, c’est une histoire d’hommes – deux frères, une histoire de violence et surtout de territoire. C’est la Louisiane dans les années 1920, quand des scieries s’installaient et coupaient les arbres jusqu’au dernier « pour devenir des églises et des bordels, des hôpitaux et des prisons » : la nature réduite à servir les hommes, la nature détruite. Il s’agit du cyprès chauve, emblème de l’Etat.

Randolph Aldridge est chargé par son père de retrouver Byron, fils aîné de la famille, disparu après son retour de la Première Guerre mondiale, dont il est revenu physiquement indemne mais psychologiquement détruit. Il serait constable dans une scierie de Louisiane, à Nimbus, « ce lieu relié à tout ce qui constituait la civilisation par quelques kilomètres de voie ferrée gauchie ». Ce qui tombe bien car les scieries chez les Aldridge, on connait. Le père a racheté celle de Nimbus qui promet de gros bénéfices et en a confié la direction à Randolph. Celui-ci quitte le Nord et s’installe dans ce bout du monde marécageux, près de son frère qui fait régner l’ordre de façon violente, tuant s’il le faut.

Randolph se rend compte que Byron ne se remettra jamais des quatre années passées en France pendant la guerre. Il est violent et perpétuellement habité par la mort. Ne le calment que les chansons sirupeuses qu’il écoute sur son Victrola. Randolph fait fonctionner la scierie en dirigeant des hommes eux aussi très violents, quasi primitifs, qu’ils soient noirs ou blancs. Le principal problème vient du saloon qui appartient à des Siciliens de Chicago et que les deux frères voudraient faire fermer le dimanche car les employés qui le fréquentent ne sont pas en état de travailler le lundi. D’un côté les Siciliens, de l’autre, les frères Aldridge : la lutte sera sanglante, mortelle même car c’est la loi du plus fort, du plus riche et du plus influent qui règne à Nimbus en l’absence de tout ordre moral (pas de shérif, pas d’église ni d’école).

Nimbus est une communauté frustre jaillie des marécages au milieu des tortues et des crocodiles. Provisoire, elle ne vivra que jusqu’au dernier arbre, plus de temps que nécessaire pour que s’exacerbent les passions humaines.

Tim Gautreaux fait émerger quelques figures féminines de cette bande de mâles mal dégrossis : Ella, la femme de Randolph, Lilian, celle de Randolph qui finit par quitter Pittsburg pour le rejoindre dans les marais, et May, la gouvernante noire au teint si pâle que n’était son père, on la prendrait pour une Blanche. Et May veut un enfant d’un Blanc, pour plus tard quitter Nimbus, son passé, sa couleur. Cet enfant ce sera Walter, fils de Randolph. Ou peut-être de Byron…

C’est un livre qui s’adresse à tous ceux qui aiment les histoires sombres et fortes, de celles qui racontent l’histoire des Etats-Unis à travers quelques destins communs qu’un roman rend exceptionnel le temps de quelques pages. Tim Gautreaux dont c’est le premier roman traduit en français mais qui en a déjà plusieurs à son actif, donne vie à la Louisiane d’il y a un siècle, par les conflits et passions qu’il développe et par la présence très forte du territoire. L’eau bien sûr, qui est partout, mais aussi les animaux, les insectes, la chaleur. Et la modernité qui s’immisce au cœur de la forêt : le chemin de fer, le télégraphe, bientôt le téléphone… Un nouveau monde qui se construit autour de la violence, des luttes et des guerres qui habitent tous les hommes, même longtemps après.

Un livre moite et sanglant ; un auteur, Tim Gauteraux dont la force d’évocation ne pourra que plaire.

Le dernier arbre

Tim Gautreaux traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias
Seuil, 2013
ISBN : 978-2-02-108273-9 – 410 pages – 22 €

The Clearing, parution aux Etats-Unis : 2003

26 commentaires sur “Le dernier arbre de Tim Gautreaux

  1. Ecoute, à vue de nez comme ça, j’aurais tendance à dire que c’est encore le genre de romans américains qui ne me parlent pas (histoires sombres, de violence, de territoire), mais comme depuis peu, j’ai développé une lubie pour la Louisiane, ça pourrait changer la donne !

    1. Toi qui es plus intéressée que moi par la nature, tu devrais être intéressée par ce qui est dit sur la nature, les arbres, la relation de l’homme avec cet environnement difficile voire dangereux (on peut se faire manger par un crocodiles…).

      1. Ah nonon, ce n’est pas moi qui aime la nature (moi je la fuis), c’est Keisha (entre autres). Mais bon, Louisiane, Louisiane… des fois il suffit d’un élément pour vous intéresser à quelque chose – et peut-être vous passionner ?

  2. La Louisiane m’a toujours paru très contrastée dans ce qu’elle peut offrir. Pour cette lecture je dirai pourquoi pas mais pas n’importe quand. Je choisirai bien le moment c’est sur.

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