Avec Veuve noire, Michel Quint fait revivre l’immédiat après-guerre. C’est à travers la pétillante Léonie Rivière qu’il donne à voir cette société durant les quelques mois qui suivent l’armistice de novembre 1918, choisissant un angle parisien et artistique.
Léonie est une charmante jeune femme dont le mari est parti au front. Elle a dû se débrouiller sans lui et si elle n’est pas totalement dans le besoin (son appartement lui appartient), elle n’a ni chaud ni grand-chose à manger. Elle court les cafés, les théâtres, les expositions car Léonie, de son nom de plume Lys de Pessac, se veut journaliste. Sans nouvelles de son Antoine depuis des mois, elle se sent veuve et surtout seule. Aussi, quand le bel Edouard, ancien combattant (il aurait sauvé la vie d’Apollinaire) entreprend de la séduire, elle n’hésite pas longtemps à céder à ses avances. D’autant plus que lui aussi s’intéresse au monde de l’art, il cherche à spéculer, effectuant de fausses commandes auprès d’artistes parisiens afin de conserver leurs œuvres. Et pourquoi pas dans l’appartement de Léonie ?
Sauf qu’Edouard disparaît et que Léonie n’a plus que Rameau, le jeune photographe, pour l’aider à le retrouver. Elle parvient à se faire engager au Petit Parisien, et tandis qu’ils pigent sur la situation politique et cherchent le fameux Edouard, ils enquêtent sur certaines agences matrimoniales, « les marieuses reines de l’escroquerie au désespoir, les exploiteuses de solitude malheureuse ».
Veuve noire est un roman fourmillant, tant par son héroïne que par le milieu décrit et la situation du pays. Léonie est typiquement la femme qui a dû se débrouiller pendant la guerre et qui n’a pas l’intention de rejoindre sa place initiale à la fin des hostilités. Outre le fait qu’elle doive se prendre en main, cette veuve noire est aussi bien décidée à bousculer les convenances qui n’ont plus raison d’être dans le monde nouveau qui s’ouvre à elle : elle raccourcit robes et cheveux et n’a pas longtemps honte de son statut d’amante. Mais pas question qu’on lui manque de respect, elle sait aussi aligner les baffes.
Le Paris de l’après-guerre, c’est aussi une immense vivacité artistique et culturelle dont Michel Quint rend compte dans son style vif et fourmillant et que Léonie chronique dans ses articles. Elle fréquente le milieu bohème des artistes qui ont faim mais aussi des envies de faire table rase du vieux monde qui a conduit à la catastrophe. Dans Veuve noire on croise Radiguet, Breton, Picasso, Modigliani et bien d’autres. La vivacité créatrice des artistes témoigne de leur besoin de s’affirmer vivants et différents. Alors que les mêmes vieux politiciens accumulent les erreurs qui conduiront à une seconde catastrophe mondiale, l’art s’affranchit de ce monde ancien.
Si j’ai omis de parler de l’intrigue qui soutient le livre et trouve son origine en 1917 au Chemin des Dames, c’est qu’elle m’a paru anecdotique par rapport au contexte (voire embrouillée). L’effervescence sociale et politique est le vrai sujet de Veuve noire, qui compte plusieurs intrigues secondaires : la relation entre Léonie et Rameau sur le plan sentimental (qui se termine comme on s’y attendait) mais aussi l’enquête sur les agences matrimoniales qui multiplie le cas de Léonie à l’échelle d’un pays. De très nombreuses femmes seules cherchent un mari et quelques hommes peu scrupuleux sont prêts à profiter de leur solitude (et de leur argent) de même que certains organismes intermédiaires.
Toute proportion gardée, Veuve noire s’intéresse à la même période que Au revoir là-haut. Les personnages de Michel Quint ne sont pas aussi consistants que ceux de Pierre Lemaitre et l’intrigue n’a pas la même ampleur. Cependant, on lit ici un portrait des plus vivants de la vie artistique parisienne et on prend un grand plaisir à croiser quantité d’artistes et d’écrivains au fil des pages. Le style de Michel Quint traduit parfaitement l’immense vitalité de cette société française d’après-guerre.
Michel Quint sur ce blog et la thématique Première Guerre mondiale
Veuve noire
Michel Quint
L’Archipel, 2013
ISBN : 978-2-8098-1255-8 – 230 pages – 17.95 €
Je note ! Cette période, comme toi, m’intéresse beaucoup.
On va mutuellement s’échanger les conseils 😉
Ce serait l’occasion de relire cet auteur !
C’est aussi ce que je me suis dit : je n’avais rien lu depuis Effroyables jardins et là, le style est tout à fait différent.
Je note ! J’aime beaucoup Michel Quint, sa plume fourmillante et son ton qui ne s’en laisse pas compter, ce roman a l’air passionnant malgré tes petits bémols.
Mes bémols tiennent plus au fait que je m’intéressais plus au contexte.
J’ai bien aimé ce roman, plus pour l’ambiance en effet que pour l’intrigue elle-même !
C’est déjà une très bonne raison 😉
Je prends. Et hop, dans la liste d’achats. merci
J’espère qu’il te plaira !
j’aime beaucoup l’écriture de Quint et je ne connais pas ce livre… un retard à rattraper d’urgence, donc!
Pas trop en retard cependant car il est sorti récemment.
A ne pas comparé avec le récent Prix Goncourt.
On y pense forcément puisque la période est la même.
Ah je n’aurai pas pensé me diriger vers ce roman, mais après ta chronique…pourquoi pas !!
Si je te donne envie alors me voilà ravie !
on croise aussi Landru, d’accord avec toi sur le degré n+1 d’Au revoir Là-haut quel choc !