Alors que la grande boucherie bat son plein depuis trois ans, voilà qu’un mort, parmi tant d’autres, pose question. Le corps du lieutenant Landry a été examiné par le médecin-major et celui-ci est formel : la mort est due à un coup de baïonnette dans le dos. Et si l’état- major n’est pas à un cadavre de plus ou de moins, celui-ci fait tache dans le charnier car il se dit qu’il aurait été assassiné par un soldat. Impossible de laisser passer ça : on charge le capitaine Duparc de défendre le soldat Jonas, autrement surnommé Tranchecaille, lors du procès en cour martiale qui aura lieu sous peu, en ce printemps 1917.
Le motif du soldat tué dans le dos semble être un point de départ incontournable pour un roman policier ayant pour cadre les tranchées. Comment en effet reconnaître le meurtre dans un tel chaos ? Mais alors que Thierry Bourcy n’en faisait qu’un prétexte dans le premier volume des enquêtes de Célestin Louis, La Cote 512, Patrick Pécherot va beaucoup plus loin et surtout construit subtilement son Tranchecaille, qui perd le lecteur aussi bien que le capitaine Duparc et son greffier Bohman qui tiennent lieu d’enquêteurs.
Alors que Thierry Bourcy nous livrait une intrigue simpliste prétexte à un roman se déroulant durant la Grande Guerre, Tranchecaille propose une vraie réflexion sur la condition de soldat : qu’est-ce qui le fait tenir ? Alors que la mort est partout, que la vie d’un individu ne signifie plus rien, qu’est-ce qui permet au soldat d’exister ? Ce qui peut sembler insignifiant en regard des enjeux apparaît soudain essentiel. Le soldat Jonas a un pantalon trop grand, et entend bien le faire savoir à tous. S’engage une petite guerre d’usure qui le poussera à affronter verbalement le lieutenant Landry alors que tout le monde a encore en tête le soldat fusillé pour n’avoir pas voulu revêtir le pantalon d’un mort. Mais le bon sens l’emporte, Landry bat raisonnablement en retraite tandis que Jonas maugrée dans sa barbe de poilu. Ce sont ces menaces proférées sous le coup de la colère qui le mèneront en conseil de guerre.
Mais la clé de l’énigme pourrait se trouver à Paris, où Jonas et quelques autres ont passé leur permission deux mois plus tôt. En toute illégalité, certains devaient y retrouver leur marraine de guerre, celle qui par ses mots tendres les aidait à affronter les pires moments de la guerre.
Patrick Pécherot choisit la polyphonie, celle des voix des témoins qui tour à tour viennent témoigner que Tranchecaille est un brave gars qui n’a jamais fui ses responsabilités malgré un physique à se faire réformer ou un tir-au-flanc sournois, un acteur né capable de simuler l’idiotie pour échapper au pire. Le capitaine Duparc va d’une conviction à l’autre, à l’image du lecteur. Car le soldat n’est pas réductible à sa fonction, aucun ne se ressemble malgré l’uniforme qui voudrait les rendre semblables. C’est bien la complexité des individus que décrit Patrick Pécherot, jusque dans la singularité de leurs parlers.
Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
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Tranchecaille
Patrick Pecherot
Gallimard (Série noire), 2008
ISBN : 978-2-07-01347-6 – 294 pages – 17.75 €
Nous avons eu la même lecture : une belle réflexion sur la guerre et les tranchées…
Oui tout à fait. Je découvre cet auteur avec ce roman et c’est un plaisir.
Je suis nulle, j’ai raté le RDV et en plus je voulais le lire !
Dommage… j’ai pourtant lancé un petit rappel sur Facebook… et rien n’est perdu : j’espère que mon billet et celui de Kathel confirmeront ton envie.
Je ne connaissais pas du tout cet auteur…
Je le découvre avec ce roman.
Peut-être pas une lecture pour les fêtes mais je le note !
Ça n’est certes pas très gai, mais c’est un livre que je n’hésiterais pas à offrir à qui s’intéresse à la Grande Guerre.
Bon, tu me fais regretter de ne pas m’être intéressée à cet auteur dont je n’avais jamais entendu parler. Mais je ne te remercie pas d’alourdir ma LAL 😉
Me voilà ravie de le faire découvrir…
Je suis ravie que tu aies apprécié ce livre, il a été un réel coup de coeur pour moi et je le mets souvent sur les présentoirs à la bib ! Du coup j’ai lu plusieurs autres livres de cet auteur, notamment la trilogie « Les brouillards de la butte » qui est excellente aussi !
Merci de ce conseil. Je relirai cet auteur, c’est évident.
donc tu conseilles plus cet écrivain que Bourcy?
Je n’ai lu que le tome 1 de la série de Thierry Bourcy, je ne parle donc que pour celui-là qui en effet ne m’a pas beaucoup enthousiasmée…
Aurais-tu un roman (pas policier) qui se passe pendant la Première guerre, ou un essai vulgarisateur sur le même thème (qui raconte davantage le quotidien des hommes et pas seulement les stratégies des pays en jeu) à me conseiller ?
Le dernier vraiment bon livre sur le thème c’est Compagnie K, récent en français mais qui date déjà : très bon témoignage polyphonique, qui traduit très bien la diversité des hommes et leur quotidien. Après, je lis en ce moment beaucoup de carnets de guerre (dont je ne rends pas compte ici, ça peut lasser…). Je te conseille celui de Louis Barthas, simple soldat ou de Louis Maufrais pour un médecin. Cette page recense tous les livres relatifs à la Première Guerre mondiale chroniqués sur ce blog.
Merci ! J’avais en effet remarqué que tu t’intéressais beaucoup à cette période, c’est pour ça que je te demandais 😉 Alors je me note Compagnie K de la super maison Gallmeister 🙂
Les derniers rendez-vous de l’année ne me disaient rien et/ou sont trop compliqués à tenir. Et voikà que je découvre un auteur inconnu et un titre à noter, incontestablement !
Tu vas avoir l’embarras du choix pour tes lectures guerrières 😉
Un sujet grave qui semble très intéressant.
Sous l’attrait du roman policier, on peut beaucoup de choses…
J’avais bien aimé ce polar, qui m’avait plongé dans la guerre de 14.
j ai beaucoup lu sur cette période , mais surtout des travaux d’historien, en particulier le livre de Duroselle et surtout le livre de Becker , pourquoi pas des romans , mais la réalité dépasse largement la fiction , non?
Luocine
Je lis pas mal de carnets de guerre en ce moment, ou d’écrits de combattants et eux ne sont pas aussi vindicatifs qu’on pourrait le croire…
J’avoue qu’ayant déjà noté Compagnie K après ta lecture convaincante, je vais m’en tenir là sur le sujet.
( rien à voir : comment fait-on pour faire disparaître l’onglet qui apparaît à gauche – avec FB etc… -, sur mon écran il couvre un peu ton texte ? )
Rha zut, je croyais avoir trouvé la bonne solution avec cette colonne de partage (notamment parce que sur les téléphones portables, elle n’apparaît pas sur le côté et ne cache donc rien, mais en bas). Pour la cacher sur un fixe, il y a une petite flèche qui apparaît en dessous de la dernière case.
une belle découverte alors 🙂 chouette un bon livre sur 14/18 🙂
Oui, tout à fait, je le recommande.
Salut Sandrine, je considère ce roman comme un très grand roman, voire un chef d’oeuvre ! Un roman de fou ! Amitiés
Merci pour cet enthousiasme Pierre, il n’était pas évident de réussir un roman noir/policier dans les tranchées sans tomber dans les clichés.