Un hiver de glace de Daniel Woodrell transporte immédiatement le lecteur dans une Amérique profonde et quasi intemporelle. Quelques allusions et deux doigts de modernisme (tout à fait relatif) permettent à peine au lecteur de dater cette intrigue inscrite au cœur d’une vallée dans les monts Ozarks. Les habitants s’y reproduisent entre eux depuis toujours, sans presque jamais en sortir. Jadis terre promise dévoilée par un rigoureux homme de foi, la Rathlin Valley est devenue le berceau et le cercueil de pauvres Blancs qui survivent à peine.
L’adjoint Baskin vient prévenir Ree Dolly : son père Jessup doit se présenter d’ci une semaine au tribunal. S’il ne le fait pas, sa maison et ses terres seront confisquées à ce qui reste de sa famille car il les a hypothéquées pour payer sa caution. Sa famille, c’est-à-dire sa femme devenue folle et anesthésiée par les médicaments, ses deux jeunes fils et sa fille Ree, l’homme de la famille. Celle-ci décide de partir le chercher. Elle chausse ses rangers, enfile le manteau de Mémé et s’en va à pied dans l’hiver à la recherche de P’pa.
Elle va passer par des endroits et rencontrer des gens plus ou moins recommandables, dont les « amis » de Jessup, ceux avec qui il fabrique de la cocaïne. Car fabriquer de la coke est l’activité principale dans cette vallée, la seconde étant d’en consommer, pour tenir. Mais personne n’est là pour l’aider, au contraire, on cherche à la dissuader, mais Ree est têtue, elle ne veut pas perdre la maison. Elle va donc écoper, en homme, du fruit de son obstination. C’est qu’elle n’est pas une tendre jeune fille cette Ree. Elle sait tirer, écorcher les écureuils, se défendre, toutes choses apprises avec P’pa, au cas où.
Elle avait envie de pleurer, mais s’y refusait. On pouvait la frapper à coups de manche de râteau sans qu’elle pousse un seul gémissement, et elle en avait administré la preuve à deux reprises avant que Mémé n’aperçoive au crépuscule un ange qui, depuis la cime des arbres, la désignait de l’index sans sourire, et qu’elle renonce à la bouteille. Ree ne pleurait jamais quand on pouvait la voir et le lui reprocher ensuite.
L’Amérique profonde donc, avec ses solidarités (les voisines, même celles qui ont des raisons d’en vouloir à la famille, apportent à manger aux enfants restés seuls), sa pauvreté dont personne ne se plaint, ses caravanes où l’on vit à plusieurs générations, et surtout son code d’honneur et ses lois qu’il n’est pas permis de transgresser, même s’il est tout autre que les lois effectivement en cours dans l’état.
Les hommes qui lui venaient à l’esprit étaient pour la plupart oisifs entre les nuits où ils devenaient féroces, les peines de prison qu’ils purgeaient, les moments où ils distillaient de l’alcool de contrebande et se réunissaient autour de l’alambic, les oreilles déchiquetées, les doigts sectionnés, les bras arrachés par une balle, sans jamais grommeler la moindre excuse.
La plongée est immédiate et brutale dans une Amérique où il ne fait pas bon vivre, attardée, violente et inhospitalière. Ree est une jeune fille forte, généreuse, qui entend bien ne pas se faire enfermer dans une caravane avec tout un tas de marmots sur les bras. Pour ça, elle se doit d’être un homme.
Le style de Daniel Woodrell est sobre et décrit très bien les rigueurs de la nature. Il s’attache à décrire les bruits, la neige, le vent et y parvient si bien qu’on frissonne et qu’on a bientôt froid au cœur d’Un hiver de glace.
Un hiver de glace a été adapté en bande dessinée par Romain Renard sous le même titre et au cinéma par Debra Granik et sous le titre Winter’s Bone (2010).
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Un hiver de glace
Daniel Woodrell traduit de l’anglais (américain) par Frank Reichert
Rivages (Thriller), 2007
ISBN : 978-2-7436-1613-7 – 181 pages – 17 €
Winter’s Bone, parution aux Etats-Unis : 2006
pourquoi pas ?
Aucune raison pour ne pas essayer, en effet…
Je ne me souviens absolument pas de la sortie d’un film .. comme Clara, pourquoi pas, si je le trouve à la bibliothèque.
Moi non plus, le film ne me dit rien du tout.
Bonjour, Je ne pensais pas le noter, mais ton billet est fort tentant. J’aimerais bien découvrir le personnage de cette jeune fille.
Et elle mérite qu’on s’intéresse à elle, elle est vraiment atypique.
Ces ambiances de coins paumés (américains) c’est en général mon truc…
C’est exactement ce que je me suis dit en lisant 😉
C’est un polar que j’ai aimé, lu rapidement dans un train et rendu je n’ai pas fait de billet mais je suis tout à fait d’accord avec ton commentaire
Le genre d’atmosphère très prenante et pourtant, pour rien au monde on irait vivre dans un bled pareil…
comme Keisha, c’est mon truc 🙂
C’est drôle parce que si ça se passait dans le fin fond de la… Picardie (au hasard…), ça ne ferait pas pareil et pourtant, trou pour trou…
Comme tu disais sur F… , il y a des trous partout, même dans le nord de ton département. Mais gare, les trous de « bouseux » peuvent révéler des surprises! ^_^
… plus ou moins bonnes, on est d’accord 😉
Polar ou roman ? En tout cas j’attendrai un peu plus de chaleur pour le lire !
Pas polar non, roman noir selon moi.
Ok, merci !
ça me fait penser aux romans de Ron Rash… je note pour un emprunt ou pourquoi pas un achat en VO…
Il y a plein de trous du cul du monde aux Etats-Unis, et contrairement aux français, ils font de bons cadres de romans noirs…
Je dois dire que le portrait que tu dresses de cette jeune femme forte me tente beaucoup.
Donc vas-y, n’hésite pas, si tu aimes ce genre de personnages tu ne seras pas déçue.
Amérique profonde, je ne dis pas non non plus… parmi mes nombreux centres d’intérêt. J’avais adoré Le Diable, tout le temps, par exemple.
Celui-ci est quand même moins noir.
ca fait un bail que je me dis que je dois lire ce bouquin et je ne l’ai toujours pas fait !!! Je ne sais pas si tu aimes les BD mais il existe une version BD très reussie. Au FIRN de Frontignan j’avais eu la chance de rencontrer le dessinateur qui intervenait sur une table ronde où l’on comparait sa vision de l’oeuvre avec celle du réalisateur du film ( je suis désolé je ne me rappelle plus le nom ni de l’un ni de l’autre), mais ca avait été très interessant comme discussion. Bon cette année faut que je le lise, croix de bois, croix de fer……. 😉
Une grande place est accordée aux paysages dans le roman, j’imagine tout à fait qu’ils ont pu inspirer un dessinateur. Je vais chercher à me procurer cette bande dessinée.
J’aime beaucoup cet auteur. D’ailleurs je dois bientôt attaquer son tout nouveau roman (« Un feu d’origine inconnu »).
Je lirai ton billet avec attention.
Oooh je me souviens bien de la sortie du film qui annonçait déjà la future montée en puissance de Jennifer Lawrence, devenue depuis la fameuse Katniss des Hunger Games. Mais à l’époque, le film ne me tentait pas plus que ça, sans trop savoir de quoi il retournait, et le roman, au vu de l’intrigue, pourquoi pas, mais pas dans l’urgence.
je ne connais pas cette actrice, mais j’imagine qu’il en faut quand même une sacrée bonne pour incarner cette jeune fille.
Bonjour Sandrine, j’ai vu le film qui est très bien http://dasola.canalblog.com/archives/2011/03/13/20607302.html En revanche, je ne suis pas forcément pressée de lire le roman mais pourquoi pas? Bonne journée.
Je le regarderai à l’occasion.