Un village à l’orée de la forêt il y a un siècle ou deux, voire dix. La vie s’écoule au gré du temps qui passe et du temps qu’il fait. La moisson est pour demain, tous les hommes sont prêts. Mais voilà qu’un événement pas plus épais qu’une corde, vient bouleverser la monotonie de cette vie. Un petit bout de corde, en bordure de forêt, qui intrigue tout le monde : qui l’a déposé là ? On tire dessus, on avance un peu pour en trouver l’extrémité, mais en vain. Il faut bientôt se résoudre à l’évidence : la corde est bien plus longue qu’on ne pense.
Et les hommes de décider de quitter le village pour trouver l’autre extrémité. Ils s’enfoncent donc dans la forêt profonde, inquiétante. Un seul reste avec les femmes et les enfants. Cette corde, c’est le bizarre, l’inconnu, bientôt le mystère puis le défi. Partis dans l’exaltation, ils sont portés par « une soif d’aventure, l’envie de sortir de la routine ». Un peu de bon temps loin du quotidien et de ses obligations, ils peuvent bien s’offrir ça.
Ils marchent. A la première journée succèdent la première nuit en forêt, puis une journée encore, et une autre. Deux villageois décident de faire demi-tour, mais tous les autres poursuivent. Au village, l’attente s’est transformée en inquiétude.
Et le lecteur de suivre ces piètres aventuriers qui décidèrent un beau matin d’embrasser un rêve plutôt que de se soumettre plus longtemps à la réalité. Plus ils avancent, moins il semble probable qu’ils atteignent leur but. Ils cherchent le bout d’une corde comme d’autres le pied d’un arc-en-ciel : promesse de richesses, de possibles. Mais s’ils s’enrichissent au cours de leur périple, ce n’est pas d’un quelconque argent mais bien de l’aventure elle-même qui les nourrit comme une obsession.
Obsession de continuer pour ne pas être partis pour rien. Fierté de poursuivre ce qu’on a entrepris, de ne pas renoncer devant les autres. Mais aussi profond désir de changer tout, de se laisser happer par le rêve, par un ailleurs possible, une autre vie peut-être. Chaque pas alimente un espoir muet, inconscient.
… est un texte un peu monotone, qui épouse la structure du conte en le faisant durer. Si le lecteur pouvait espérer un récit d’aventures plus ou moins enlevé et épique de cette petite troupe inexpérimentée, il n’en est rien. De nombreuses interrogations fondamentales naissent à la lecture de La corde qui sont autant d’invitations à réfléchir sur l’humaine condition. Combien de pas, combien de pages faut-il aux hommes pour renoncer à leurs rêves ? Trop ou trop peu. De combien de peines et de renoncement l’homme doit-il payer sa liberté ? Peut-il un jour s’affranchir de sa condition ? Comme dans les contes, est-il un jour récompensé de ses efforts et privations ?
La corde
Stefan aus dem Siepen traduit de l’allemand par Jean-Marie Argelès
Ecriture, 2014
ISBN : 978-2-35905-142-1 – 153 pages – 16.50 €
Das Seil, parution en Allemagne : 2012
Ce qui me dérange (encore) à la lecture de ce commentaire, c’est : la métaphore est une histoire d’hommes les femmes à la maison !
Je suis tentée quand même de lire ce livre, mais le dernier paragraphe » le texte un peu monotone » m’inquiète.
Eh oui, ce sont les hommes qui partent à l’aventure… et c’est un homme qui écrit… sinon, le texte aurait une toute autre portée. Et oui, j’ai trouvé que c’était un texte monotone, ce qui n’est pas ici forcément un défaut, c’est surtout pour souligner qu’il ne s’agit pas des aventures picaresques d’une joyeuse bande de villageois à laquelle il arriverait toutes sortes d’aventures…
Les contes, sans ancrage dans une époque bien précise, ce n’est pas trop ma tasse de thé… Dans ce genre j’avais abandonné « L’homme qui savait la langue des serpents » que d’autres avaient pourtant adoré.
Il n’y a souvent pas d’ancrage temporels dans les contes… Et L’homme qui savait la langue des serpents : ya bon 🙂
J’aurais pu être tentée mais ces temps-ci, la monotonie… je pense que je vais passer mon tour! Bon dimanche!
Je l’ai lu en partie bercée par le train, c’était très bien !
Que de questions qui restent en suspens, finalement.
On s’en pose beaucoup en lisant ce roman effectivement.
Ce livre me tente bien. De ce billet, je retiens les mots rêves et vie.
Et si la monotonie n’était en fait qu’un ralentissement nécessaire…
Et si l’absence d’ancrage n’était en fait que liberté…
Beaucoup de questions… Je vais lire le roman pour me faire ma propre opinion et revenir mieux en parler.
Merci Sandrine pour ce billet et merci tous pour vos commentaires.
Marion
Stefan aus dem Siepen ne semble pas être un auteur qui assène des réponses, mais bien plus un auteur qui invite à la réflexion, ça n’est pas si courant…
Effectivement ! 🙂 Je les traque. 😉
Je viens de terminer « Le temps où nous chantions » de Richard Powers. D’autres questions admirablement bien posées. Si tu as l’occasion, c’est un livre vraiment enrichissant.
Je crois que je pourrais trouve un peu la même chose chez Stefan aus dem Siepen.
Merci encore !
tiens tiens, Dominique a adoré toi un peu moins visiblement ; je vais regarder s’il est dans la médiathèque
Luocine
Je l’ai quand même bien apprécié, même si le rythme n’est pas le mien.
Tu sembles un peu mitigée et je pense être encore plus déçue que toi. Je comprends l’objectif de l’auteur, cette impression de monotonie, de flou, d’incertitude et j’avoue que l’impression est plutôt bien rendue… Trop même, je me suis ennuyée à cette lecture, au point de ne plus vraiment pousser la réflexion sur le message du roman. Dommage!
Je crois que sa brièveté joue en sa faveur, mais que oui, il aurait dû être plus explicite parce que ça tourne au démonstratif parfois. Mais c’est quand même une belle fable…