Mains sur la nuque d’Ángel Parra

Mains sur la nuqueRafael a un mauvais pressentiment en se levant ce matin-là : ça ne va pas être une bonne journée. Et de fait, ce 11 septembre 1973 sera certainement une des pires journées de sa vie : Tina, sa compagne, décide de le quitter, et des chars défilent dans les rues de Santiago alors qu’il fait à peine jour. Et bientôt, des militaires pénètrent chez lui : « Mains sur la nuque, tas de merdes, sortez comme vous êtes ».

Rafael n’est pourtant pas un virulent activiste. Evolutionnaire plutôt que révolutionnaire, il profiterait bien de la vie en se fumant des joints, grâce à la revente de fleurs volées dans les parcs municipaux. « Un peu hippy à la mode chilienne, tendance Woodstock », il a tout du sympathique fainéant, ce que lui reproche Tina. Mais il n’a pas le temps de nuancer son engagement, il est emmené, frappé et bientôt enfermé avec des centaines d’autres dans les vestiaires du stade national comme « prisonnier de guerre ». Quelle guerre ?

Les militaires ne prennent pas le temps d’expliquer : ils interrogent, frappent et torturent sans rendre de comptes. Durant plusieurs mois, Rafael fait l’expérience du nouveau régime et de ses méthodes. Beaucoup n’en réchappent pas, les cadavres s’accumulent. Il ouvre les yeux :

On est vraiment des cons. La naïveté personnifiée. Victimes de je ne sais quels rêves de justice et d’égalité, on proclamait l’unité des ouvriers et des paysans en criant comme des mômes, on défilait en brandissant une badine […] : on était prêts à défendre le gouvernement populaire avec des badines et des casques en plastique.

Journalistes, professeurs, médecins : les intellectuels sont nombreux parmi les prisonniers. Mais quelle que soit leur origine sociale, tous pratiquent la solidarité qui permet à chacun de tenir.

Rafael, pour distraire un peu ses camarades, se met à raconter une histoire. C’est celle de Camillo, le fils de Tina qui lui est cher. Il donne d’abord voix à un bébé puis se prenant au jeu, il raconte par épisodes successifs une histoire de plus en plus débridée où dominent les extravagances sexuelles. Peu à peu, le personnage de Camillo prend vie, fascine son public, déclenche protestations ou éclats de rire. L’imagination permet à ses hommes de s’extraire de leurs douleurs le temps de quelques mots. On pense à Shéhérazade ou à La vie est belle de Roberto Benigni…

Ángel Parra est un chanteur chilien qui a été arrêté aux premiers jours de la dictature et enfermé dans ce fameux stade de Santiago. C’est donc au matériau autobiographique qu’il puise son inspiration pour Mains sur la nuque qui conjugue la description brute de scènes très dures et quelques parenthèses de pur délire dans la meilleure veine de l’exubérance latino-américaine. Rafael croise Ángel Parra dans le stade, ainsi que d’autres artistes incarcérés. Comme si Parra, romancier à l’humour très présent, faisait un clin d’œil apaisant au chanteur engagé. Peut-être qu’avec ce premier roman à plus de soixante ans, Ángel Parra a trouvé un mode d’expression contrasté qui lui permet de mettre en scène son passé avec plus de distance…

 

Mains sur la nuque

Ángel Parra traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg
Métailié, 2007
ISBN : 978-2-86424-605-3 – 138 pages – 16 €

Manos en la nuca, parution originale : 2005

 

6 commentaires sur “Mains sur la nuque d’Ángel Parra

    1. Celui-ci traite d’une période sur laquelle les écrivains ont déjà beaucoup écrit, mais je n’avais personnellement encore rien lu sur cet enfermement de plusieurs mois dans le stade de Santiago.

  1. De lui, j’ai lu son livre sur sa mère Violetta, figure emblématique chilienne que je ne connaissais pas du tout. J’ai toujours un peu de mal avec les romans d’Amérique du Sud (au sens large, pour tout ce qui est en dessous des États-Unis) car je manque cruellement de références culturelles. Mais cela avait été un livre très intéressant. Je vois ici qu’il continue à puiser dans sa vie matière à romans ce qui doit être prenant.

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