On connaît tous les grands noms du roman policier et du roman noir, on a au moins chacun les siens. Pour ma part, ces deux genres voisins se conjuguent à l’anglo-saxonne ou sur le mode hispanophone. J’ai bien essayé de me réconcilier avec quelques Français, sans grand succès. Puis j’ai croisé le nom de Michaël Mention. Evidemment, je l’ai d’abord pris pour un anglo-saxon, impression confirmée par le résumé de Sale temps pour le pays, lauréat du Grand prix du roman noir au festival de Beaune 2013. Mais non, Michaël Mention c’est du 100% français et du bon.
Entre 1975 et 1980, un homme surnommé l’Eventreur assassine treize femmes dans la région de Manchester, en majorité des prostituées. Il les frappe avec un marteau, leur lacère le corps. La police met en œuvre des moyens considérables, ceux de l’époque ; elle crée spécialement le Ripper Investigation Office qui réunit les équipes des villes concernées par les crimes : Leeds, Manchester, Hudderfield, Halifax… George Knox est sur l’affaire dès le début, catapulté de Wakefield à Leeds pour la conclure rapidement, comme il sait faire. Mais au fil des mois, les cadavres s’accumulent sans aucun indice : « 304 policiers à temps plein. 175 000 personnes interrogées. 125 500 déclarations. 10 000 véhicules contrôlés… » Le tueur semble même prendre plaisir à narguer la police, envoyant des lettres et même des enregistrements.
La police aurait pourtant bien besoin de résoudre ce cas sordide car le pays est en crise :
Rues fiévreuses, bidons enflammés, policiers en déroute. Scènes de chaos où les laissés-pour-compte se réapproprient leurs quartiers, transformant les inégalités sociales en égalité humaine.
Flics corrompus, montée du National Front et des conservateurs. Racisme et violence sont le lot quotidien des villes du pays, surtout celles du Nord où sévit un couvre-feu pour protéger les femmes. Et il en est une qui va profiter à plein de ce climat de récession : Margaret Thatcher qui devient Premier ministre en mars 1979 alors que l’Eventreur sévit encore.
Au cœur de cette tourmente sociale et policière, Michaël Mention s’attarde particulièrement sur George Knox, flic solitaire aux méthodes très personnelles, le genre borné et méthodique. Pas sympathique pour un rond, le regard dissimulé sous ses Ray Ban, il travaille d’arrache-pied sur l’Eventreur qui lui permet de penser à autre chose qu’au cancer de sa femme bien aimée. Le lecteur, pris dans la spirale insensée des meurtres, suit la dégringolade de Knox qui ressemble à celle du pays. Il s’obstine, s’entête mais on ne l’écoute pas. Crime après crime, Michaël Mention reconstitue chaque étape du chemin sanglant de celui qui s’appelle Peter Sutcliffe et a bel et bien existé. La police, les journalistes, la population : le pays est survolté et l’ébullition gagne le lecteur à chaque mort supplémentaire.
On imagine le travail de documentation qui a dû présider à la rédaction de ce roman-enquête : énorme. Mais pour un romancier, le plus gros du travail est de dissimuler ce travail préliminaire pour laisser place à la littérature. C’est ce que parvient à faire Michaël Mention qui restitue avec la même fluidité l’enquête et le climat social du pays. Deux bornes opposées balisent dans mon horizon de lectrice cette fiction : David Peace et Peter Robinson. Pas de doute que Michaël Mention se hissera à la hauteur du premier, et il parvient à éviter les écueils dans lesquels est tombé le second. La narration est ici hyper dynamique, efficace, la syntaxe sort même parfois des sentiers battus. Et parvenir à captiver le lecteur avec une enquête qui piétine, c’est quand même un beau tour de force.
Michaël Mention sur Tête de lecture
Sale temps pour le pays
Michaël Mention
Rivages (Noir), 2012
ISBN : 978-2-7436-2399-9 – 268 pages – 8.15 €
Salut, j’ai adoré et je vais bientôt lire la suite (Adieu demain). Michael Mention est un auteur multiforme dont les sujets sont bigrement actuels avec un style qui lui est propre. Un mec doué et adorable, en plus. BIZ
Il me faut avouer que je ne le connaissais pas du tout, je croyais même que c’était son premier roman…
Un bon polar, je suis preneuse ! C’est un genre que j’apprécie : dans le genre « roman passionnant sur une enquête qui piétine », il y a Vargas aussi, je suppose que tu connais … Et les polars de Lemaître sont pas mal du tout !
Des deux polars de Lemaitre que j’ai lus, j’ai préféré Alex, vraiment réussi. Et ceux de Vargas, je les trouve inégaux : je n’ai pas du tout aimé celui qui se passe au Québec mais par contre Pars vite et reviens tard m’a scotchée. Essaie donc ce Mention, tu ne seras pas déçue.
Ah mais j’adore Peter Robinson moi …
Eh oui, je sais bien, je crois même que tu es une de celles qui m’avaient incité à le lire. Mais j’avais vraiment trouvé simpliste le premier tome de la série des Banks…
J’ai déjà noté ce titre et comme j’aime bien les romans enquêtes, je note ! Décidément les meurtriers anglais fascinent !
Et si tu aimes aussi le rock et la pop british, tu seras servie : je n’ai pas parlé de la musique dans mon billet, mais elle est omniprésente, et de la très bonne (forcément, la pop anglaise, y’a pas mieux…).
J’ai déjà entendu parler de cette affaire. Comme toi, j’ai du mal avec le polar francophone mais je note quand même celui-ci puisqu’il t’a plu.
Merci de ta confiance. Je pense que ce livre te plaira. Je n’aime pas les auteurs français de thrillers qui écrivent à l’américaine (enfin comme les mauvais auteurs américains, comme pour des séries où tout va vite). Michaël Mention ne copie pas un style, mais sans renseignements, j’aurais vraiment pu croire qu’il était britannique.
Ah mais oui, mais le premier n’est vraiment pas le meilleur. Tu aurais du en lire un plus récent.
Un sacré tour de force, en effet !
… et qui a dû plaire puisqu’une suite vient de sortir.
c’est toujours dangereux pour ma LAL de passer par chez toi ! je note également …
Il ne pèsera pas longtemps car je ne vois pas comment on peut faire autrement que de le dévorer !
Ooohhh ! J’aime les romans policier et celui-ci m’a l’air vraiment très intéressant ! Je vais l’ajouter à ma wish-list 😉
Il faut même passer à l’achat ou à l’emprunt directement car quand on aime le roman policier bien sombre, on ne peut être déçu avec ce titre.