Le narrateur de La mort lente de Luciana B. est écrivain, ainsi qu’un des autres protagonistes. Sachant comme Guillermo Martínez se plait à manipuler son lecteur, il faut commencer par se méfier. Ou se laisser aller au gré d’une intrigue immédiatement prenante et subtilement retors.
Il y a dix ans de ça, Luciana B. a été la secrétaire particulière de Kloster, un écrivain devenu depuis très médiatique. Elle était la secrétaire parfaite et lui, l’employeur idéal. Aussi, quand le narrateur se met en quête d’une assistante pour provisoirement palier l’inconvénient d’un bras cassé, son éditeur lui conseille-t-il Luciana. Pendant un mois, alors que Kloster est à l’étranger, une routine de travail se met en place. Jusqu’au jour où le narrateur embrasse Luciana, qui se ravise bien vite et disparait. Il est donc assez étonné de son coup de fil dix ans plus tard. Plus étonné encore de la voir, physiquement métamorphosée, anéantie.
Elle lui explique ce qu’il est advenu de ses rapports avec Kloster une fois celui-ci rentré de voyage. Il est devenu entreprenant et elle a dû fuir sa maison. Poussée par sa mère, elle a vu une avocate qui l’a incitée à écrire à Kloster, à lui faire un procès. Tout est allé ensuite de mal en pis : la toute jeune enfant de l’écrivain est morte, il a divorcé, puis les membres de la famille de Luciana sont tous morts les uns après les autres. Bien que ces morts soient accidentelles ou causées par des tiers identifiés, Luciana est certaine qu’elles sont dues à Kloster qui se venge d’elle.
Et le lecteur de prendre le parti de la pauvre jeune femme, vouant aux gémonies le maléfique écrivain qui calcule au millimètre les conséquences de ses actes. Certaines sont d’ailleurs tellement incroyables, que lecteur et narrateur en viendront à douter le moment venu, quand Kloster livrera sa version des faits.
Chaque fois que je songeais à Kloster, les arguments contre lui paraissaient tirés par les cheveux, incroyables, mais en même temps, et je le savais bien, les trames conçues par Kloster dans ses romans étaient elles aussi, à leur manière, tirées par les cheveux et incroyables jusqu’à la dernière page.
Par la voix de son narrateur écrivain, Guillermo Martínez ne se prive pas de prévenir son lecteur qu’ici tout est littérature et manipulation. Que les voix qui s’entrecroisent, témoignent et certifient ne sont que des créatures au service du Grand Manipulateur qu’est l’Ecrivain. Prompt à croire l’un, puis l’autre, le lecteur finit à la place du narrateur, s’interrogeant sur la crédibilité à accorder à l’un et l’autre.
Guillermo Martínez, qui semble privilégier dans ses romans l’affrontement d’homme à homme (voire même de cerveau à cerveau…) a le don de créer des suspens bien construits, de mettre son lecteur en lieu et place du personnage principal, de construire des intrigues tortueuses, qui ici confinent à la folie. C’est maîtrisé et bluffant, peut-être frustrant sur la fin.
Guillermo Martínez sur Tête de lecture
La mort lente de Luciana B.
Guillermo Martínez traduit de l’espagnol par Eduardo Jiménez
Robert Laffont (Pavillons poche), 2010
ISBN : 978-2-221-12427-7 – 256 pages – 7.90 €
La muerte lenta de Luciana B, parution originale : 2007
Connais pas, même s’il me semble avoir vu cette couverture quelque part;.. Tu es en mode « lecture hispanophone »?
Je ne m’en éloigne jamais longtemps…
Ouuh tout me tente dans cette présentation ! Ecrivains, manipulation, bluffant… ok, noté !
Moi aussi j’aime beaucoup ce genre de roman où celui qui est manipulé finalement, c’est le lecteur.
oh là là, je ne crois pas que j’ai envie de lire des romans sur la manipulation , la vie me permet d’en vivre assez comme ça
j’essaie justement de ne manipuler personne et c’est compliqué;Disons que ce roman tombe à un mauvais moment pour moi.
Luocine
J’aime bien être manipulée… mais seulement dans les livres, c’est vrai. Et ici, c’est un vrai plaisir qui peut faire oublier momentanément les désagréments de la vie.
J’adore être manipulée par l’écrivain. Je note.
Je ne sais pas si tu as déjà lu cet auteur, moi c’est déjà le troisième roman et je le trouve vraiment intéressant, ses intrigues sont bien ficelées.
être savamment manipulée par un écrivain c’est un délice, alors je note !
Je suis très crédule en tant que lectrice. Par exemple, dans les romans policiers, je ne trouve jamais le coupable (à moins qu’il soit vraiment très mauvais), je me laisse volontiers balader sans chercher. J’y prends beaucoup de plaisir. Et ces livres sont de ceux que j’aime relire pour voir comment l’auteur fait pour abuser le lecteur…
C’est un roman qui pourrait me plaire, je crois… Tes lectures sont assez pointues, alors je ne peux pas tout noter (heureusement, dirais-je) 😉
Pointues ? Non… peut-être un peu plus d’hispanophones qu’ailleurs et quelques marottes passagères (comme la Première Guerre mondiale), mais ça ne pique pas 😉
J’ajoute aussi celui-ci à ma LAL. De plus ça change un peu des auteurs que j’ai l’habitude de lire 🙂
Rien de tel qu’un bon roman argentin pour changer d’horizon !
J’aime quand un auteur arrive à me manipuler. Alors je note !
Tout dépend aussi de la perspicacité du lecteur, moi, je me laisse aller et me fais toujours avoir…