Griffintown de Marie Hélène Poitras

GriffintownQue vous connaissiez ou non la ville de Montréal, Griffintown vous la fera découvrir sous un jour tout à fait particulier : celui des cochers des calèches touristiques. Et si vous imaginez que c’est un monde artificiel, détrompez-vous. C’est comme dirait l’autre un univers impitoyable avec mafia et règlements de compte.

Alors que la ville sort de sa léthargie hivernale, le monde des cochers de Griffintown, reprend vie. Griffintown, quartier sud-ouest de Montréal, c’est le « Far Ouest », celui des hommes de chevaux. Qu’ils aient passé l’hiver à se terrer ou à faire des petits boulots, ils reviennent à la belle saison vers les vieilles calèches qui font les délices des touristes. Ils connaissent leur parcours, leur présentation historique et leurs chevaux.

Souvent renfermés, ces hommes au passé obscur forment une « petite civilisation cochère » avec « ses lois à l’ancienne ». Cette saison pourtant ne sera pas comme les autres, car la fin approche.

Un jour – et ce jour approche -, cette tradition et tout le legs de connaissance cochères qui l’accompagne disparaîtront. L’écurie, le métier, l’utilité des chevaux de trait et les points d’eau dans la ville pour les abreuver, les vieux harnais, l’art de l’attelage : tout cela finira au musée.

Et Paul, le patron, se fait assassiner. Billy le palefrenier enferme le corps dans un congélateur et décide de mener son enquête. Rien à voir avec Sherlock Holmes : il y a va au feeling, à l’intuition. Qui donc parmi les cochers pouvait en vouloir à ce point au patron ? Ce que Billy ignore c’est que Ceux de la ville ont des vues sur les terrains où vivent les chevaux et stationnent les calèches. Et le Projet Griffintown 2.0 ne compte aucune calèche, mais une « agglomération de chalets urbains de luxe ».

Malgré la présence de Marie, une jeune femme qui commence une formation de cochère au début du roman, Griffintown s’inscrit sous le signe de la nostalgie. Marie Hélène Poitras décrit avec précision et sensibilité ce rude monde des hommes de chevaux qui ne connaît que ses propres lois. Avec ses saloons  et ses cow-boys faciles de la gâchette, le roman surprend car on se demande sans cesse à quelle époque se situe l’action. Le quartier ressemble  à une enclave dans le temps et dans l’espace, où le western serait encore de mise. Ses héros fatigués font figures de légendes de l’Ouest : ils ont roulé leur bosse et viennent échouer là, parmi les chevaux aussi cabossés qu’eux, comme au « cabaret de la dernière chance ». Hommes et chevaux se ressemblent et se comprennent.

Bien que ne connaissant pas Montréal, ses calèches hippomobiles et ses vieux quartiers, j’ai beaucoup apprécié ce roman pour sa tonalité si triste et sa fine connaissance des chevaux. Le personnage de Marie introduit le lecteur dans ce monde si masculin et viril, le guide dans sa découverte. Celui du palefrenier Billy permet de pénétrer le passé de cette communauté qui s’est construite aussi sur la jalousie et le ressentiment. Mon seul regret est de ne pas en savoir plus sur les multiples personnages de ce trop court roman : tous ont beaucoup de potentiel et j’aurais aimé les connaître mieux. Car Marie Hélène Poitras évoque avec finesse lieux et personnages, elle leur donne vie, couleurs et bruit, odeurs même, rendant ainsi sensible un univers si improbable, un monde d’hommes et de légendes. Elle parvient donc à manier sans ridicule les stéréotypes du genre western, à tel point que certaines scènes nous semblent familières. Une réussite.

Griffintown

Marie Hélène Poitras
Phébus (Littérature française), 2014
ISBN : 978-2-7529-1011-0 – 171 pages – 15 €

Parution au Canada : 2012

14 commentaires sur “Griffintown de Marie Hélène Poitras

  1. J’avais entendu l’auteure présenter son livre l’année dernière à Etonnants voyageurs, j’avais été tentée par le sujet et l’ambiance western mais pas assez pour craquer et l’acheter. Je craignais un traitement un peu superficiel et trop autobiographique (l’auteure disant avoir été un peu Marie). Visiblement, j’ai eu tort !

    1. C’est moi aussi à Étonnants Voyageurs que j’ai découvert cette auteur. J’imagine que l’auteur a mis d’elle-même dans le personnage de Marie mais le récit n’est pas centré sur elle. Ce n’est pas un texte autobiographique mais bien un roman sur l’univers des cochers.

  2. J ai un faible pour les romans qui viennent de ce continent , beaucoup moins pour les polars, et là le sujet me semble très classique, la promotion immobilière qui chasse le spetites gens!
    mais je le note quand même à cause du lieu et de ce que tu en dis.

    Luocine

    1. Je me suis mal exprimée si tu penses que c’est un polar. L’intrigue sur le meurtre est vraiment secondaire : il n’y a pas d’enquête ni d’enquêteur. On est beaucoup plus axés sur la vie des cochers, leur passé. Et s’il y est question de spéculation immobilière, je pense que c’est parce que c’est ce qui s’est passé à Griffintown : le vieux quartier a été rasé.

    1. Pour moi ce fut vraiment une découverte. Je ne savais pas qu’on pouvait visiter Montréal en calèche et surtout pas que ces cochers avaient pu vivre ainsi, dans ces conditions si précaires.

  3. ici, les critiques sont unanimes à dire que l’auteure a su fort bien refléter les us et coutumes des cochers de ce quartier disparu.

    Dans ma pile depuis un bon bout; je vais finir par y arriver. Beau commentaire gentille dame.

    1. Merci pour cet avis. Je me demandais bien sûr ce que les Québécois en pensaient et ça ne m’étonne pas d’apprendre que l’auteur est bien renseignée.

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