Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx

Meurtres pour mémoireTout commence le 17 février 1961 à Paris. Quelques Français algériens se préparent à aller familialement et pacifiquement protester contre un couvre-feu. La France est alors submergée d’attentats, la violence et les morts s’accumulent aussi bien du côté de l’OAS que du FLN. Dès que les premiers manifestants se mettent en marche, les CRS entrent en action : Meurtres pour mémoire s’ouvre sur un massacre, se poursuit sur un autre.

Roger Thiraud, jeune professeur d’histoire bientôt papa est lui aussi tué ce 17 février : abattu de plusieurs balles par un homme déguisé en CRS. Vingt ans plus tard, son fils Bernard est à son tour assassiné. L’inspecteur Cadin de la police de Toulouse est chargé de l’enquête. Rien dans la vie du jeune homme ne conduit nulle part : il partait en vacances avec sa fiancée, se passionnait comme son père pour l’histoire. Cadin donc à en savoir plus sur la mort de son père. Or, il n’y a pas eu d’enquête, il était une victime de plus durant les manifestations. Mais Cadin est un têtu, il essaie de savoir si le père avait des relations secrètes avec l’OAS.

L’obstination d’un homme va permettre de remonter plus loin encore dans le passé, celui qui dérange, celui dont on ne parle pas. Car père et fils travaillaient sur un historique de Drancy, ville natale de Roger Thiraud. Plus particulièrement sur Drancy pendant la guerre. Et sur les dirigeants, sur ce que sont devenus ceux qui pendant l’Occupation tenaient les rênes du pouvoir via le nouveau pouvoir en place et firent preuve d’un zèle plus efficace encore que ce que l’on attendait d’eux.

Meurtres pour mémoire est aujourd’hui devenu un classique. Mais à l’époque de sa sortie, en 1983, il a été boycotté, tant pour ses positions sur la guerre d’Algérie que pour ce qu’il dévoile de l’attitude des hauts fonctionnaires pendant l’Occupation. Car à cette époque, Maurice Papon (car sous couvert de pseudonyme, c’est bien de lui qu’il s’agit), vivait des jours paisibles à Gretz-Armainvilliers, sa ville natale que j’habitais alors. Il a fallu l’acharnement de quelques-uns pour que la France ouvre les yeux sur son passé, pour qu’on parle.

Didier Daeninckx œuvre dans le roman noir, sous forme ici de roman policier avec crimes et enquête. Mais cette enquête prend une toute autre dimension puisque c’est de crime d’Etat dont il est question. Meurtres pour mémoire démontre ce que peut la littérature : par sa volonté de mettre au jour ce qui est enfoui, grâce à son talent d’écrivain sans compromis, Didier Daeninckx donne au grand public les moyens de savoir et de réfléchir. Si ce roman fait aujourd’hui figure de roman historique, il n’a rien perdu de sa force dénonciatrice. Trente ans ont passé mais les événements qui ont entouré la guerre d’Algérie ne sont guère plus mis au grand jour. Toujours, on préfère le silence et l’oubli, ces deux fossoyeurs d’un honteux passé. Mais qui enterre son passé n’affronte pas le présent les yeux ouverts.

Pour Didier Daeninckx, il n’est pas question d’Histoire, mais de mémoire.

Didier Daeninckx sur Tête de lecture

Meurtres pour mémoire

Didier Daeninckx
Gallimard (Série noire), 1998
ISBN : 9782070406494 – 224 pages – 6.20 €

17 commentaires sur “Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx

  1. Tu as classé ce titre en « indispensable », je te rejoins. J’y ai appris beaucoup sur Drancy, la collaboration … et cette fameuse manifestation du 17 février que l’auteur a contribué à remettre dans les mémoires. Mais pas que de la littérature utile, c’est un polar bien ficelé. J’avais beaucoup aimé aussi « Le facteur fatal » qui fonctionne un peu de la même manière.

    1. J’ai lu plusieurs livres de Daeninckx ces derniers temps (mais n’ai pas parlé de tous ici) et je suis de plus en plus convaincue grâce à lui, entre autres, que la fiction peut beaucoup : elle peut remettre en mémoire, oui, et peut agir sur la conscience citoyennne. Faire réfléchir serait le mot, si on le prend dans une acceptation positive, je suis d’accord avec toi : il y a aussi le polar, l’enquête, l’histoire qui créent un suspens comme on les aime. Je note donc Le facteur fatal que je n’ai pas lu, merci.

  2. Je suis une inconditionnelle de Daeninckx, aussi bien de ses polars « sérieux » que de ceux, plus déjantés, comme le Poulpe. J’ai son dernier, « Têtes de Maures », sur la Corse, sous le coude.

    Et il sera à Saint-Malo 🙂

  3. Monsieur Daenincks était il y a 15 jours chez ma libraire, c’etait la deuxieme fois que je le rencontrais, un monsieur vraiment agréable avec qui tout est sujet de conversation. Son dernier ouvrage « le tableau papou de port-vila » est splendide car travaillé avec un artiste belge. A découvrir ! Pour le reste, je continue de lui reprocher de me laisser trop souvent sur ma faim, mais c’est ce qui permet de le rendre abordable aux collègiens.

    1. Parfois ses livres sont trop courts, c’est vrai. Et je ne connais pas son dernier livre (si ce n’est pas La pub est déclarée) : je me fais donc une joie de le découvrir à Saint-Malo.

    1. Il fait toujours bon lire un Daeninckx de temps en temps, voire même relire. Je te conseille aussi la série « A voix nue » sur France Culture où on en apprend beaucoup sur lui, son engagement, son écriture.

    1. Daeninckx explique aujourd’hui qu’il y a eu de l’opposition au début à la sortie de ce livre et que maintenant, il est étudier comme un classique en classe. L’Histoire évolue parfois en bien, la littérature sert à la comprendre et à prendre la mesure de certains événements.

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