Mestre João Faras, vingt-cinq ans, médecin et chirurgien du roi du Portugal fait partie de la deuxième expédition de Pedro Álvares Cabral en 1500. C’est-à-dire de ceux qui découvrirent « l’île de Vera Cruz », à savoir le Brésil. Il se trouve sur une nef séparée du reste de l’armada et qui va errer pendant des mois sur des mers hostiles, jusqu’à l’entrée de la mer Rouge. La première partie de L’égaré de Lisbonne raconte le douloureux périple maritime de João Faras.
Onze nefs et caravelles voguent sur des mers connues du seul Vasco de Gama. Mais à bord du Bate-Cabelo l’ambiance n’est pas à l’euphorie : les hommes ne savent pas où ils se trouvent, ils errent sans voir la terre, subissent des tempêtes de plusieurs jours, tombent malades. Et João Faras ne peut rien contre les dents qui se déchaussent, la fièvre, lui-même d’ailleurs sujet à un mal de mer tenace est au plus mal, perd trois dents. Quand ils longent des terres, elles semblent hostiles ou désolées. Ils se méfient, mais pas assez tant la faim et la fatigue les accablent… Ce périple transforme les hommes au mieux en ombre, au pire en bête…
Quel peuple de dégénérés la route des Indes pourrait-elle engendrer ?
On est dès lors bien loin du Portugal triomphant, des héros conquérants rentrant au pays couverts d’or et de gloire. Dans une seconde partie, c’est un João Faras doublement proscrit qui retrouve sa femme et ses deux filles : juif nouvellement converti, chassé d’Espagne, il fait partie d’une communauté sur laquelle la haine se déverse régulièrement ; revenu bredouille et diminué de son voyage, il est mis à l’écart ainsi que les autres survivants du Bate-Cabelo. Il n’arrive pourtant pas à l’oublier, est hanté par cette funeste expérience. C’est quand un mystérieux Italien lui confie la mission de voler une copie du Padrão Real qu’il reprend vie : il organise le vol de cette carte du monde tenue secrète et enrichie à chaque retour des navigateurs portugais.
Je déroulai le contenu du paquet et l’étalai sur la table : trois parchemins séparés. Sur le premier étaient représentés l’Europe, l’Afrique, l’Arabie. Sur le deuxième, l’Asie, les Indes ; je le plaçai à droite. Enfin, sur le dernier, les Antilles découvertes par Cristóvão Colombo pour le compte de l’Espagne, déjà dix ans auparavant, et qu’on disait se trouver dans les parages des Indes. Avec, en dessous et plus à l’est, la terre de Vera Cruz. Je disposai ce parchemin à gauche du premier. L’ensemble faisait bien dix empans sur cinq. Nous avions le monde connu sous nos yeux.
L’exaltation de João Faras ne dure pas : l’alcool, les pogroms, mais surtout le souvenir omniprésent de son terrible voyage le rongent. Viendront les tremblements de terre et la lèpre… et l’égaré de Lisbonne qu’est ce médecin meurtri voit tout s’écrouler autour de lui. Est-ce là le prix de l’aventure ? La grandeur du Portugal doit-elle s’écrire dans le sang de ses hommes ? Alors que le pays vient de se voir attribuer par le pape ce qui sera plus tard le Brésil et ses richesses, c’est le portrait d’un pays divisé et meurtri que nous offre Bruno d’Halluin dans un roman où les héros ne sont pas héroïques mais fatigués alors qu’ils sont à l’aube de grandes découvertes. Certains mauvais choix politiques fragilisent déjà le pays, de même que le sort réservé aux juifs et aux esclaves noirs qui ne seront jamais ni les uns ni les autres les atouts qu’ils auraient pu être.
J’ai aimé la tonalité quasi crépusculaire de ce roman d’aventure qui contraste tant avec ce qu’on imagine de l’époque. Le personnage de João Faras, traumatisé par ce qui fut la fierté et le fer de lance de la conquête y résonne très justement : il perd ses repères alors que le monde qu’il connaît s’écroule.
Le site de Bruno d’Halluin, écrivain navigateur
L’égaré de Lisbonne
Bruno d’Halluin
Gaïa, 2014
ISBN : 978-2-84720-372-1 – 250 pages – 18 €
J’aime bien les livres historiques, mais il ne m’attire pas trop celui-là.
Si tu aimes les romans historiques, je suis d’autant plus déçue de ne pas avoir su te convaincre. J’ai été séduite par le ton original de ce roman, crépusculaire alors que l’aventure du Nouveau Monde est en marche…
Et bien, je ne suis pas fan de romans historiques et ton billet me convainc ! 😉
Voilà qui me fait plaisir 🙂
ça me tente bien, j’apprendrai des choses je crois !
C’est ce qui me plait à travers les romans historiques : apprendre par le biais de fictions, en pénétrant, autant que faire se peut, dans l’esprit de gens morts depuis si longtemps.
Je suis en train de le lire et effectivement je me régale , je trouve que la sortie de ce livre a été bien discrète . Il vaut mieux que ça à mon avis.