Le liseur du 6 h 27 de Jean-Paul Didierlaurent

Le liseur du 6 h 27Est-il pire destin pour un lecteur passionné que de travailler à la destruction des livres ? Guylain Vignolles le mal nommé actionne chaque jour la terrible Zerstor, dite la Chose, monstre chargé de dévorer, déchiqueter et réduire en bouillie des tonnes de livres destinés au pilon. A l’insu de tous pourtant, il parvient à récupérer quelques pages épargnées. Ces « peaux vives », le liseur du 6 h 27 les fait sécher entre deux buvards puis les lit le matin dans le RER à un public de voyageurs plus attentifs qu’il n’y parait. Pour eux, il est le lecteur qui le temps de quelques stations leur ouvre les pages d’un autre monde possible.

De littérature il n’est jamais question dans Le liseur de 6 h 27. C’est bien de livres et de lecture qu’il s’agit, de ce que les mots lus peuvent toucher en nous. Guylain est un passeur : il transmet des mots par la voix, des ébauches d’histoires dont ses auditeurs ne connaîtront jamais la suite. Et ces quelques mots suffisent pour capter l’attention, séduire, bref, émouvoir. Et l’émotion, c’est bien ce dont ont besoin les auditeurs de Guylain, ces zombies du métro. Deux charmantes vieilles dames viennent bientôt lui demander de venir lire ses « peaux vives » chez elles, c’est-à-dire dans une maison de retraite. Et voilà que tous ces octogénaires s’enthousiasment pour des textes violents ou coquins, de ceux qu’on leur refuse d’habitude. Car derrière chaque usager du RER, derrière chaque pensionnaire de maison de retraite, il y a quelqu’un prêt à vibrer.

De la lecture naît l’émotion nous dit Jean-Paul Didierlaurent. Alors pourquoi pas un héros qui tomberait amoureux d’une femme via ce qu’elle écrit, sans la connaître ?  Et pas n’importe quelle femme : une insignifiante dame pipi, de celles que dans la vraie vie, on ne regarde pas. Mais ses mots si simples et sincères, on les lit. Parce que point n’est besoin d’être un grand auteur pour que par les mots passent la sensibilité et l’être intime. Voilà pourquoi on ne sait pas de quels livres sont tirés les extraits que lit Guylain aux voyageurs : l’auteur n’est rien, seule l’œuvre importe, l’œuvre et son impact sur ceux qui la reçoivent.

Et parce que Le liseur du 6 h 27 ne manque pas de métaphores, il en est une autre bien belle dans le personnage de Giuseppe, ancien employé de la Stern comme Guylain, qui a eu les jambes broyées par la Zerstor. Hachées les jambes, mâchées et avalées avec les livres du jour avant d’être transformées en pâte à papier, réutilisable. Depuis lors, Guiseppe le cul-de-jatte n’a de cesse de récupérer tous les livres imprimés avec ce lot de pâte à papier qui contient ses jambes, une partie de lui. Un livre puis un autre : ce sont plus de sept cents ouvrages qui peu à peu (re)construisent l’impotent, page après page.

Le liseur du 6 h 27 est un de ces romans qui font du bien : des personnages ordinaires, dans des situations banales vivent tout à coup une aventure qui pourrait arriver à tout un chacun. Et l’aventure finit bien. C’est à peu près tout ce que je n’aime pas en littérature et pourtant, ce roman-là a quelque chose de plus. A travers des situations très réalistes, il ramène chaque lecteur à son propre rapport avec la lecture, à la place que tiennent les livres dans sa vie et surtout à la capacité qu’ils ont de changer notre regard sur autrui.

Oui, être lecteur, c’est être différent. Les mots nous donnent une empathie dont les non lecteurs ne sont pas pourvus, ils changent notre vision du monde et nous ouvrent aux autres. On aime y croire…

Le liseur du 6 h 27

Jean-Paul Didierlaurent
Au Diable Vauvert, 2014
ISBN : 978-2-84626-801-1 – 217 pages – 16 €

28 commentaires sur “Le liseur du 6 h 27 de Jean-Paul Didierlaurent

  1. J’aime le commentaire d’Aifelle. Point trop n’en faut, effectivement, et il leur faut le bon moment. Pour moi c’était il y a des semaines, quand on m’a proposé deux fois ce roman, jamais vu arriver, donc maintenant c’est bibli, et voilà. Mais je note ton avis plut^pt positif.

    1. Me voilà donc ravie. En fait, je n’ai pas lu grand-chose sur ce roman, pourtant annoncé comme un événement (ces livres qui sont un événement avant même d’être publiés, c’est assez incroyable…).

  2. Je ne sais pas pourquoi je suis étonnée de voir ce roman chez toi. De mon côté, il ne me tente pas. L’histoire ne me parle pas et on le voit trop en ce moment.

    1. La dernière fois qu’on m’a dit ça, c’était pour le roman d’Amanda Sthers… et je ne savais pas qui elle était (oui, je vis dans une grotte) : j’espère que Jean-Paul Didierlaurent n’est pas le mari de… Ceci dit, je ne suis pas mécontente de surprendre par mes lectures, ça marque l’éclectisme (je n’irai pas jusqu’à dire l’ouverture d’esprit car en matière de littérature, je ne me sens pas très ouverte…). Mais ce livre-là, le l’ai choisi (pas lu dans le cadre d’un festival ou d’une animation quelconque) sans avoir lu grand-chose autour (voir plus haut la remarque sur mon domicile troglodyte) et j’ai été agréablement surprise. Je ne peux donc que suggérer à tous de se laisser tenter…

  3. Maintenant j’ai une nouvelle pile, les « Pourquoi pas ? ».^^ Oui, les livres qui font du bien, il y en a un petit paquet. Tant mieux quelque part mais dans le flot de tentations, il faut faire des choix. Je le note mais sans urgence, j’ai teeeellement d’autres urgences.;-)

  4. Il est dans ma pal bien au chaud celui-là mais je l’y aurait peut être laissé – parfois je suis oublieuse :-), là tu me donne envie de l’en sortir 🙂

    1. Je n’étais pas sûre de moi avant lecture, mais au final, je suis ravie d’avoir tenté cette lecture, facile en apparence mais qui fait aussi réfléchir sur l’acte de lecture. Je te le conseille.

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