Voici l’histoire de Jacques Lebaudy, celui qui voulut devenir empereur du Sahara.
« Ces terres que nous allons explorer font désormais partie de l’Empire du Sahara. Moi, Jacques Lebaudy, j’en prends possession sous le nom de Jacques Ier. Désormais, quand vous vous adresserez à moi, vous devez dire Votre Majesté et employer le mot sire ».
Les marins auxquels il s’adresse en 1903 « trouvent Jacques un peu bizarre », et il y a de quoi. Ce riche excentrique aujourd’hui oublié a longtemps défrayé la chronique et pour le moins surpris ses contemporains. Né en 1868 dans une très richesse famille de l’industrie sucrière française, sa jeunesse désœuvrée s’écoule entre yachting, chevaux et théâtre. Il voyage jusqu’en Egypte et en Afrique du Sud, mais il en faut plus pour remplir les aspirations de cet hyperactif. Il envisage donc de fonder un empire dont il ferait lui-même les lois. Pas à l’aveuglette ou sur une île déserte, non. Il choisit le Maroc, le cap Juby en particulier car il a deux projets : une ligne ferroviaire transsaharienne et une usine d’extraction et d’exploitation de phosphate, nécessaire à l’industrie chimique. L’homme d’affaire ne perd pas le nord, même si son excentricité témoigne du contraire.
Dès lors ce cryptarque invente les signes nécessaires à sa souveraineté, il ment sans vergogne aux journalistes, distribue son argent pour concrétiser son fabuleux projet. C’est sans compter avec les intérêts de différentes nations européennes qui ont aussi des vues sur ce morceau d’Afrique, le sultan du Maroc auquel il appartient de fait et les réticences de plus en plus évidentes des marins embarqués dont cinq sont faits prisonniers. Fin du volet saharien. Mais Lebaudy rebondit. Le voilà partit pour New York avec compagne et enfant : il fait des affaires et s’enrichit encore, plus excentrique que jamais. Mais tout finira mal, le lecteur le sait puisque L’empereur du Sahara s’ouvre sur l’assassinat de Lebaudy par sa compagne : ainsi met-elle fin à des années de violence conjugale, et peut-être d’inceste.
Difficile dès lors de sauver ce farfelu, certainement prétentieux et imbu de lui-même, de ceux qui pensent que l’argent permet tout : moralement, il est cuit. Mais quel excellent personnage de roman ! L’excentricité, la démesure, l’égoïsme : ses nombreux défauts font de l’homme un personnage par l’entremise de Philippe Di Folco qui signe une biographie aussi romanesque que littéraire. Certes, la précision, l’appareil de notes et toute la documentation fournie autour de Lebaudy renvoient au genre de l’essai biographique, mais l’humour, la verve et la distance parfois grinçante permettent de lire L’empereur du Sahara comme un roman d’aventure.
Jacques Lebaudy n’a pas concrétisé certains de ses rêves malgré sa grande fortune. Philippe Di Folco a celle de rendre intelligible et passionnante la vie d’un insupportable homme d’affaires, de transformer son destin raté en oeuvre littéraire : belle alchimie.
L’empereur du Sahara
Philippe Di Folco
Galaade, 2014
ISBN : 978-2-35176-251-6
Mais oui, ça me disait, aussi : Lebaudy, le sucre!
Ça ne me disait rien du tout, j’ai découvert ce nom et cet homme : sa vie donne largement matière à romanesque.
Ca me fait drolement penser au Roi de Kahel de Tierno Monénembo: presque la meme époque, un héros issu de presque le meme milieu social, un peu excentrique lui aussi, et avec cette fascination pour l’Afrique (mais Afrique plus profonde). J’avais trouvé la lecture intéressante vu le contexte historique, mais je n’avais pas trop été emballée par le style.
Il faut croire que l’époque était riche en aventuriers mégalomanes !
Tu mettrais pas une belle photo de l’auteur prise tu-sais-où ?
Je ne préfère pas. Par contre, je l’ai mise sur Facebook (faut que tu ouvres un compte dis donc). Encore merci 😉
Mais je te suis maintenant sur FB incognito (compte médiathèque…) 😉
Bonjour
Un sacré personnage, qui aurait dû s’en tenir à ce qu’il savait faire : boursicoter. Un chtarbé, original mais modérément sympathique au final. Amitiés.
C’est vrai, mais aussi tarré soit-il, il est intéressant de se pencher sur son cas, de comprendre comment il a pu en arriver là, comment un type toujours plus ambitieux peut en arriver à se créer son propre royaume. C’est comme si ses rêves avaient envahi sa réalité, comme s’il n’y a vait plus de distance…
Il m’a l’air bougrement intéressant ce roman, drôle et instructif. Je note !
C’est un humour un peu particulier, mais moi j’aime…
Je ne connais pas ce personnage et je pense rester dans mon ignorance.
Il gagne pourtant à être décoouvert 😉
Cela me rappelle Le livre de Raspail sur Antoine de Tounens qui se proclama roi de Patagonie. Décidément comme tu le dis, l’époque était riche en mégalos.
Et il y avait peut-être encore un peu de place pour assouvir l’esprit d’aventure de tous ces hommes qui étaient quand même clairement des aventuriers.