Il est de retour de Timur Vermes

Il est de retour

Sur un banc dans Berlin, Hitler se réveille. Il a fermé les yeux en 1945, sans souvenirs précis des derniers événements, et c’est en 2011 qu’il les rouvre. L’Allemagne va devoir faire avec : il est de retour.

Il est un peu perdu Adolf, il  ne reconnait pas bien les lieux et puis, ça manque de nazis dans les rues. Les gens qu’il croise le regardent bizarrement, puis sourient pour la plupart. C’est que l’Allemand blasé en a vu et entendu beaucoup sur son ancien dirigeant, celui que ses ancêtres ont choisi de leur plein gré en 1933. Pourtant cet Hitler-là sort du lot par le réalisme de sa prestation : c’est vraiment le Führer incarné ce type. Ça en devient même pathologique : il n’arrête jamais ! A personne il ne veut dire son vrai nom ni comment il fait pour être aussi crédible. Ou en fait si, il le dit, mais personne ne veut le croire : il est Hitler, il est de retour.

Le ton est donné dès le départ : l’humour. Timur  Vermes va faire rire avec Hitler, il va faire rire les Allemands. Il fallait donc que ce soit un Allemand. Qui d’autre en effet pouvait à ce point provoquer à la fois l’Histoire et la conscience nationale ? Timur Vermes se moque de la loi du silence et agite le spectre honni. Pour en faire quoi ? Certainement pas pour en finir une bonne fois pour toutes, ce qui aurait été vite fait mal fait avec un Hitler fantoche et ridicule. Certes, il y a un côté Candide qui découvre les travers de la société contemporaine, mais le jeune auteur fait plus fort que ça.

Car cet Hitler-là n’est pas détestable. Il fait même preuve d’une saine clairvoyance, notamment politique et médiatique. Il ne met pas longtemps à comprendre le fonctionnement des médias et d’Internet. Grâce à Youtube, les shows télévisés qu’on lui réclame sont vus par des milliers et des milliers de personnes en un rien de temps. Il mesure rapidement comment la télé annihile l’esprit critique et fabrique des troupeaux de moutons. Et face au monde des médias et des paillettes qui s’ouvre devant lui, il est le seul à garder la tête froide, droit dans ses bottes. On l’apprécierait presque…

Et c’est bien ça le danger : on en rit donc on ne se méfie pas. A force de rire et de faire spectacle de tout, notre conscience s’endort, bercée par des écrans. Persuadé que « ce n’est pas possible », on laisse se développer une pensée qui n’est que haine et manipulation. Mais au moment où même le lecteur pourrait se laisser prendre au jeu de ce narrateur si sincère, l’auteur place une scène qui rappelle que ce type-là et tous ceux qui lui ressemblent ne seront jamais inoffensifs : ce sont eux qui ont fait mourir des millions de victimes innocentes et qui sont prêts à recommencer si on leur en donne l’occasion.

Si Timur Vermes parvient à nous faire entrer, à la première personne, dans la conscience de l’homme le plus monstrueux du monde sans qu’on soit pris de convulsions ou assailli de dégoût, c’est parce qu’il choisit d’en faire un portrait froid, réaliste et dépassionné. Quoi qu’il nous en coûte de le reconnaître, cet Hitler est notre frère humain qui n’a pas faire fuir en hurlant des milliers puis des millions de ses semblables. C’est dans le cynisme que se mesure la distance critique que l’auteur manie en virtuose.

Un seul minime regret : qu’il ne soit pas précisé en début d’ouvrage que l’indispensable glossaire (qui contextualise toutes les allusions contemporaines et les références historiques) se trouve à la fin…

Une interview de Timur Vermes

Il est de retour (Er ist wieder da, 2012), Timur Vermes traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, Belfond, mai 2014, 405 pages, 19.33

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