Le censeur de Baudelaire d’Alexandre Najjar

Le censeur de BaudelaireFlaubert, Baudelaire, Sue, Zola et même Maupassant : autant de noms illustres qui ont eu des démêlés avec un certain Pinard, Ernest de son prénom, qui n’est pour la postérité que le censeur de Baudelaire. Et pourtant, il leur en a donné du fil à retordre… il a aussi fait le bonheur de bien des pamphlétaires et autres caricaturistes car ce « symbole même de l’obscurantisme, la tête de Turc des lettrés de son temps » fut quand même brièvement ministre sous le Second Empire.

Quand on choisit la magistrature, de surcroit le ministère public, s’appeler Ernest Pinard n’est pas un atout. Mais quand vos cibles font partie des plus grands écrivains du moment, puis de la postérité, il faut avoir le dos large. Il semblerait pourtant que rien n’arrête notre Pinard quand il s’agit de défendre les bonnes mœurs et la religion. Il fait donc office d’accusateur public dans le procès intenté contre Gustave Flaubert et Madame Bovary. Lascivité, lubricité, éloge de l’adultère : la morale de ce jeune trentenaire plein de fougue et de convictions est des plus stricte. Car enfin, tout ce réalisme vulgaire à la mode ne grandit ni les auteurs, ni les lecteurs…

Flaubert se sort pourtant de ce procès, grâce à son excellent avocat. A quelques mois de là, toujours en 1857, Baudelaire ne connaîtra pas le même sort : condamné. On sait l’homme perturbé pourtant, mais enfin, ces Fleurs du Mal sont « une de ces publications malsaines, profondément immorales ». C’est que le Second Empire entend éduquer la France et ne plaisante pas avec la morale. C’est pourquoi Pinard n’hésite pas à poursuivre les immoralistes, jusqu’outre-tombe dans le cas d’Eugène Sue.

Malgré ses nombreux détracteurs, ce « prototype du censeur enragé » devient ministre de l’Intérieur. Paradoxalement, il travaille à la mise en place de la loi pour la liberté de la presse voulue par Napoléon III mais poursuit de sa rage certains intellectuels, comme le polémiste  et journaliste Rochefort qu’il contraint à l’exil. Il faut dire que ledit Rochefort a le don du portrait dévastateur et de l’anecdote efficace :

M. Pinard assistait hier soir au théâtre Cluny à la représentation des Inutiles. Ceux qui se sont contentés de regarder M. Pinard connaissent maintenant la pièce aussi bien que lui.

Le censeur de Baudelaire met en lumière une personnalité aujourd’hui oubliée mais importante à l’époque. Alexandre Najjar explique en introduction qu’il a écrit ce livre pour qu’on n’oublie pas aujourd’hui encore l’importance de la censure qui sévit toujours et entrave la création (cf. par exemple la censure exercée par Apple sur l’édition numérique). Ce livre nous plonge également dans une époque politiquement complexe et idéologiquement rigoriste. On peut regretter de ne pas en apprendre plus sur la vie privée de Pinard : on suit le procureur, le conseiller d’Etat, le ministre, mais pas le fils, le père ni le mari. Dans un seul chapitre, on affleure ce qui pourrait être une autre phase de sa personnalité puisqu’il a été accusé d’avoir écrit des poèmes licencieux…

Ce qui passionne surtout ici, ce sont le bouillonnement intellectuel, la verve avec laquelle les uns et les autres se renvoient leurs arguments et l’importance que revêt alors pour le pays la publication d’un livre. Les arguments de chacun sont avancés dans une langue acerbe, précise, efficace, parfois drôle. Les bons mots sont cruels, peuvent crucifier un homme ou le perdre de réputation. Les cabales succèdent aux scandales, les coteries s’étripent, on emprisonne même. Bref, la littérature est alors vivante.

Le censeur de Baudelaire. Ernest Pinard (1822-1909)

Alexandre Najjar
La Table ronde (La Petite vermillon n°342), 2011
ISBN : 978-2-7103-6703-1 – 354 pages – 8.50 €

10 commentaires sur “Le censeur de Baudelaire d’Alexandre Najjar

    1. Tu me poses une colle : pas mention de l’Indre dans le livre d’Alexandre Najjar… il faudrait voir les délibérations municipales concernant la dénomination de la rue : peut-être avaient-ils une hargne particulière contre Flaubert ou Baudelaire 😉

  1. Keisha, il avait des supporters dans le coin ??? Je retiens ce titre pour l’époque, qui avait tout de même plus d’esprit que la nôtre qui ne sait manier que l’insulte.

    1. C’est exactement ça Aifelle : les uns et les autres s’envoient de vraies méchancetés, mais quel esprit ! Quel plaisir aujourd’hui encore de lire ces joutes par journaux ou lettres interposées ! Tellement littéraires qu’elles font aussi partie de l’histoire…

  2. Je note ce livre de suite.
    Quelle époque où l’on pouvait descendre un livre sans être poursuivie !! Où les échanges épistolaires étaient de la littérature et pas uniquement des insultes.

    1. Je trouve intéressant d’aborder l’histoire de notre littérature par un autre biais, à travers ceux qu’on a oubliés mais qui étaient à l’époque importants. On oublie souvent le poids de la censure.

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