Little Big Man de Thomas Berger

Little Big ManA l’évocation de Little Big Man, on pense Dustin Hoffman. On le revoit jeune, un peu ahuri, vêtu de sa peau de bison. Et on se souvient qu’on a bien ri devant le chef d’œuvre d’Arthur Penn. Par contre le roman de Thomas Berger à l’origine du film est moins célèbre. Les éditions Télémaque le rééditent dans une épatante collection « Frontières » qui publie les grands romans à l’origine des westerns qui ont marqué le cinéma américain.

Et il faut bien dire que ce western-là est atypique. C’est que ce Jack Crabb n’a pas, mais pas du tout l’envergure d’un John Wayne, ni même d’un gagnant. Capturé par les Indiens à l’âge de dix ans alors qu’avec sa famille il part à la conquête de l’Ouest, Jack aurait pu faire le récit d’une vie avec les Indiens, de la lente adaptation d’un petit Blanc au mode de vie cheyenne. Sauf que non, ça n’est pas ça non plus, vu que Jack n’a pas été capturé, qu’il a suivi sa sœur Caroline, quelque peu avide de se faire monter par un Indien. Sauf que la tribu de Vieille Cabane n’a pas repéré la femme en elle, et repart complètement bourrée du massacre de la famille Crabb, avec les deux gosses en boulets…

Ce qui donne le ton complètement décalé de ce récit c’est l’inconstance de Jack. Ecrit en 1964 par un Blanc, à la veille du renouveau de la littérature amérindienne, il y a dans Little Big Man une bonne dose de politiquement incorrect qui réjouit le lecteur. Jack ne choisit pas le camp des Indiens, il va même sans cesse en changer car ce qui lui importe avant tout c’est de sauver sa peau. C’est sans scrupule aucun et après avoir été adopté par le grand chef cheyenne, qu’il participe au massacre des bisons aux côtés des Américains.

Nous cherchions tout simplement à gagner notre vie, et tout ce qui nous intéressait, c’était le cours des peaux. Des fois, à lire les récits de cette entreprise, écrits par des hommes qu’étaient point sur place, on se fait l’idée que la grande armée des chasseurs s’est mise en marche pour exterminer jusqu’au dernier bison sur le continent, histoire de nettoyer la montagne pour y élever du bétail, ou d’anéantir les Indiens en leur supprimant leur fournisseur de nourriture sauvage. Ces choses se sont passées, naturellement, mais pas par exprès, c’était pas dans nos idées. Nous étions qu’une bande de types armés de fusils Sharps, et si jamais vous étiez arrivé au sommet d’une éminence et que vous aviez vu un véritable océan de bisons recouvrant peut-être trente ou quarante kilomètres de vallée, jamais vous auriez pu croire que le jour se lèverait où quelques milliers d’entre nous provoqueraient la disparition totale de ces millions et ces millions de bêtes.

A cent onze ans, Jack Crabb n’a pas de regrets. Il a été indien, marié et père plusieurs fois, chercheur d’or raté, il s’est ruiné dans le commerce, a appris à tirer avec Wild Bill Hicock, l’a même plumé au poker, a sorti du ruisseau une improbable nièce, a accompagné Custer jusqu’à ses derniers moments à Little Bighorn.

Little Big Man n’est pas un roman bien pensant sur l’âme indienne pure et noble, ou sur les méchants Blancs qui ont tout massacré. Tout est ici dans la nuance, dans la vision décalée que propose Thomas Berger qui n’a rien à voir avec une confession bon teint. Il montre les Indiens avec des yeux de Blancs, avec des a priori et de fausses interprétations qui fonctionnent comme des ressorts comiques. Au-delà de l’humour, on lit les failles du peuple cheyenne, ses erreurs et l’impudence des Blancs sans scrupules. Et on rit, malgré le génocide, malgré nous.

Little Big Man

Thomas Berger traduit de l’anglais (américain) par Marie-France Watkins
Télémaque (Frontières), 2014
ISBN : 978-2-7533-0219- 8 – 597 pages – 18 €

Little Big Man, parution aux Etats-Unis : 1964

21 commentaires sur “Little Big Man de Thomas Berger

  1. et un de plus, un ! à lire ! j’adore ce film, Crabb y est bien montré tel qu’il semble être dans le livre : tout, sauf un héros

  2. Je ne connaissais pas non plus cette collection qui va bien m’intéresser. On dirait d’ailleurs qu’il y a un renouveau du western en ce moment.

    1. Je crois que c’est le cas pour beaucoup de westerns : on les a vus sur grand ou petit écran, mais les romans qui en sont à l’origine, on ne les connait pas de notre côté de l’Atlantique.

  3. On passe souvent à côté de cette info, celle que les films sont souvent tirés de livres. Ça me gâche parfois la découverte des livres. Maintenant je fais attention à ce que je regarde pour être sûre de ne pas passer à côté d’un bon bouquin.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s