Retour à Little Wing de Nickolas Butler

Retour à Little WingIls sont une poignée d’amis qui tous ont grandi à Little Wing, état du Wisconsin. Ils sont allés à l’école ensemble, ils ont été adolescents en même temps, et au moment où Retour à Little Wing les saisit, ce sont des trentenaires que la vie n’a pas fini d’éprouver. Ils prennent la parole tour à tour pour une vision kaléidoscopique de l’Amérique profonde.

Lee est un de ceux qui sont partis et revenus, c’est aussi la star de Little Wing, la vedette (inspirée de Justin Vernon, le chanteur de Bon Iver). Il a longtemps galéré, sillonné l’Amérique avec de petits groupes avant de rencontrer le succès, le très grand succès. Lee est désormais un chanteur que le monde entier connait, un type parti de rien qui va épouser une star de cinéma, de celles qui s’affichent sur papier glacé. Il s’absente souvent et longtemps, mais il a Little Wing au cœur, et surtout ses potes de toujours, Ronny et Hank. Et Beth, la femme de Hank.

Ronny était un champion de rodéo avant que l’alcool soit à l’origine d’un grave accident qui lui a valu une part de son entendement. Il n’est plus lui-même Ronny, diminué sans être simple d’esprit. Ses amis veillent sur lui, il ne boit plus, Lee paye ses frais médicaux sans qu’il le sache. On le traite comme un grand enfant, ça lui pèse.

Hank est celui qui ne quittera jamais Little Wing : éleveur et agriculteur, il est irrémédiablement attaché à cette terre, même si les temps sont difficiles. Marié à Beth, trois enfants, il est stable, fort, travailleur, généreux, disponible, amoureux : le type incontournable sur lequel on peut compter.

Et voilà Kip qui revient à Little Wing pour se marier. Sa femme Felicia est de Chicago, mais on l’accueille parce qu’elle est la femme de Kip. Il est pourtant tout le contraire de Hank, c’est peut-être l’argent qui l’a changé. Il revient, rachète la fabrique qui périclite, il veut en mettre plein la vue aux autres, montrer comme il a réussi. Il n’invite pas Ronny à son enterrement de vie de garçon, ça met Lee en rogne.

Mariage de Kip, mariage de Lee : ils s’en vont trouver des femmes ailleurs mais ils sont encore accrochés à leur terre natale. Pour de bonnes ou mauvaises raisons ils reviennent, mais les choses ne se déroulent pas comme ils l’avaient prévu. Ils vont se retrouver perdus, largués. Les certitudes s’émoussent, et surtout le passé revient. Lee malheureux va lâcher à Hank le secret bien enfoui et leur belle amitié vole en éclats.

Il y a dans Retour à Little Wing tout ce que les amoureux du roman américain peuvent espérer, ceux qui dévorent ces pages sur l’Amérique profonde aux personnages tellement incarnés, immenses. Ils ont une extraordinaire densité d’humanité. Des types qui se prennent dans les bras, qui se disent qu’ils s’aiment, qui veillent les uns sur les autres. L’amitié qui lie tous ces personnages, on voudrait la vivre et on y croit même si c’est trop beau parce que Nickolas Butler nous les fait rencontrer.

Et de m’interroger sur ce qui fait la force de tels romans. Pourquoi s’émeut-on des amours et amitiés de péquenots américains. Car soyons clairs : si le roman se déroulait dans la Creuse ou la Meurthe et Moselle, tous ces personnages ne seraient rien d’autres que des péquenots, des bouseux. Mais là, sublimés par l’attention que leur porte l’auteur ils sont plus grands et plus vivants que n’importe qui. Ils sont aussi nourris de décennies de romans et de films qui dépeignent, peut-être plus grandioses que nature, les hommes et les femmes qui font l’Amérique.

Pour moi, c’est ça, l’Amérique : des pauvres gens qui jouent de la musique, partagent un repas et dansent, alors que leur vie entière a sombré dans le désespoir et dans une détresse telle qu’on ne penserait jamais qu’elle tolère la musique, la nourriture ou l’énergie de danser. On peut bien dire que je me trompe, que nous sommes un peuple puritain, évangélique et égoïste, mais je n’y crois pas. Je refuse d’y croire.

L’empathie dont Nickolas Butler fait preuve à l’égard de ses personnages fait de Retour à Little Wing un (premier) roman d’amitié, d’amour, de générosité et d’authenticité aux meilleurs sens des termes. Des valeurs qu’on croyait périmées ou traitées seulement pour dénoncer fondamentalistes et conservateurs de tout poil. Mais Nickolas Butler ne revendique ni ne dénonce, il nous donne à voir une humanité à laquelle on voudrait croire, et on y croit, le temps d’un livre.

Nickolas Butler sur Tête de lecture

 
Retour à Little Wing

Nickolas Butler traduit de l’anglais (américain) par Mireille Vignol
Autrement (Littératures), 2014
ISBN : 978-2-7467-3491-3 – 444 pages – 22 €

Shotgun Lovesongs, parution aux États-Unis : 2014

61 commentaires sur “Retour à Little Wing de Nickolas Butler

    1. Quand le roman commence, ce ne sont déjà plus des adolescents mais des trentenaires. Ils ont passé leur enfance et leur adolescence ensemble à Little Wing, mais les épisodes qu’ils se remémorent sont essentiellement ceux du premier âge adulte et leurs difficultés sont celles qu’ils rencontrent au quotidien.

      1. C’est ce que j’ai cru comprendre. C’est un des grands espoirs de nos équipes (petits coups de coeur même pour certains) côté rentrée littéraire mais je ne me suis pas précipitée, ça me semblait du déjà vu, et ce n’est pas une thématique qui me parle habituellement. Mais tant mieux si ça marche.^^.

  1. Je l’ai fini hier et je te rejoins, un vrai coup de coeur pour moi aussi !

  2. Ton billet contient absolument tous les mots magiques, Wisconsin, fin fond de l’Amérique, etc…) A cette heure, rien à l’horizon à ma bibli.
    (à part ça je viens de découvrir Modiano, je fais un effort rayon romans français, même si pas très récents)

    1. Il y a vraiment une foule de très bons romans américains qui sortent pour cette rentrée : je ne sais même plus dans quel sens publier mes billets (un tous les trois jours) tellement j’ai envie de parler de tous à la fois !

  3. je me dis qu’il va se trouver à la médiathèque , je suis d’accord avec la fin de ton billet , le fait que cela se passe aux USA donne de l’intérêt à ce genre de romans
    Luocine

  4. Bonne question effectivement, pourquoi s’émeut-on des péquenauds américains et pas de ceux de la Creuse? Parce que l’herbe est plus verte ailleurs? A moins tout bêtement, parce que les écrivains américains voient le monde autrement que nous Européens et qu’ils l’écrivent différemment… En tout cas la question reste entière !

    1. Je crois en effet que c’est une question, d’angle, d’envergure : quand les français écrivent un roman, ils se regardent, leur vision renvoie à quelques-uns ; quand les Américains écrivent sur les Américains, ils écrivent sur l’homme en général et de fait on peut tous se sentir concerné…

  5. Un roman qui devrait me plaire, ainsi que celui de Philipp Meyer dont tu parles dans un autre article. Je te remercie d’inclure le titre anglais parce qu’il m’arrive souvent de lire les romans en V.O. et les titres sont parfois très différents !

  6. C’est l’intérêt des blogs d’offrir une diversité de points de vue .Pour ce qui me concerne j’ai trouvé « Little Wing » très planplan,limite niais.Il faut dire que je venais de lire « Cataract City » qui offre une histoire d’amitié autrement plus convaincante que les chèques que fait Lee pour aider ses potes.

    1. Je n’ai pas lu Cataract City, pas encore, mais je ne doute pas de pouvoir aussi m’enthousiasmer pour ce roman. Pendant ma lecture de celui de Nickolas Butler, je me disais « non, c’est pas possible, ce type est trop ceci ou trop cela »… Il sont tous très archétypaux mais je crois que c’est l’écriture qui m’a émue malgré tout : ils sont vraiment l’air d’exister tous ces gens et ça fait du bien qu’ils s’en sortent… Mais je comprends très bien qu’ils puissent sembler ternes.

  7. Donc je disais (je me perds dans la complexité des commentaires :- ), il me fait envie celui-là, je ne sais pas pourquoi les grandes saga pequenaudes américaines nous parlent autant mais le fait est 🙂

  8. Je rattrape un peu tes avis de la rentrée. Je vais normalement recevoir ce titre via Priceminister et je l’ai choisi pour tout ce que tu soulignes. La littérature américaine m’attire de plus en plus et j’ai hâte de découvrir ce titre 🙂

    1. Je ne suis pas certaine que ce titre soit représentatif de la littérature américaine d’aujourd’hui. Prôner des valeurs comme l’amitié, l’amour, la famille, la terre, la communauté n’est pas très tendance en ce moment… C’est aussi ce qui fait le charme de ce roman.

      1. Oui j’avoue que quand on m’a dit qu’il y avait un côté « optimiste », j’ai été d’autant plus séduite (et curieuse) 🙂

  9. Je suis en train de découvrir ce bouquin : scotché au fauteuil par les premières pages … Quelle force d’écriture (et un premier roman) !
    Au passage, bravo pour ton couplet sur les péquenots : c’est très juste.

    1. Vraiment un grand roman, qui parvient à éviter tous les pièges des bons sentiments qu’il exprime. L’éditeur vient de sortir un recueil de nouvelles de l’auteur.

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