On entre dans Orphelins de Dieu comme en terre étrangère : qui parle, quand, d’où ? Autant de repères qui ne se dévoilent que peu à peu, au gré du monologue et des souvenirs d’Ange Colomba, dit L’Infernu.
Le patronyme nous propulse d’emblée en Corse, le contexte, d’abord très flou, au XIXeme siècle. La jeune Vénérande vient trouver le vieil Ange, non, le vieux diable, pour qu’il soit le bras de sa vengeance : quatre hommes se sont attaqués à son jeune frère dans les montagnes, l’ont défiguré, lui ont coupé la langue. Elle veut qu’ils soient punis, elle a de l’argent, tout l’argent qu’elle a elle le lui donne. Le vieux prend ça comme une dernière mission, la toute dernière avant de finir sa vie chez les moines ; il pisse du sang, il n’en a plus pour longtemps.
Une jeune fille qui engage un vieil homme pour se venger et le suit dans sa mission, voilà qui rappelle True Grit, le roman de Charles Portis adapté à l’écran par Henry Hathaway puis par les frères Coen. Oui, il y a du western dans Orphelins de Dieu.
Ange raconte l’épopée de sa bande, des tueurs et des pillards qui défiaient la loi, vivaient cachés et s’en allaient mourir jeunes pour pas grand-chose. La vie humaine n’avait aucune valeur, le viol était monnaie courante, le vol la seule façon de survivre.
Une horde. Une meute de chiens enragés, et le sang et la haine sont les seuls ingrédients de notre combat. Les seules choses qui nous maintiennent encore en vie. Et nous sommes les maîtres du pays.
C’est bien pourquoi Vénérande fait appel à L’Infernu : elle sait qu’il n’aurait pas pitié, qu’il ne fléchira pas. Et le lecteur de constater que quand ces pillards meurent d’une balle entre les deux yeux ou d’agonie dans les marais, ils l’ont bien mérité.
Mais Marc Biancarelli brosse un portrait bien plus subtil de ces hors-la-loi dont il nous montre la rage en action. Ce n’est qu’à la toute fin du roman qu’il dévoile qui était vraiment Ange Colomba, quels ont été son enfance et ses rêves. Qui étaient ces hommes ? Pourquoi tant de violence ?
Joseph Antomarchi et Théodore Poli, principaux meneurs de la bande, ont d’abord constitué « l’armée du peuple » contre la conscription dont il est de loin en loin question dans le roman. Ils se sont battus pour une cause noble et populaire, faisant leur la violence.
Alors ce sentiment, cet ignoble sentiment de supériorité, et d’invulnérabilité, c’est nous qui nous sommes mis à l’éprouver. Et comme notre ennemi n’en était plus un, que nous le sentions à genoux et prêt à lâcher prise, nous sommes allés chercher d’autres ennemis, et d’autres guerres, et nous avons inventé des dangers là où ils n’étaient plus. Sublimés, transcendés par la puissance, nous avons exercé la puissance. Et nous nous sommes retournés contre ce peuple que nous avions imaginé libérer, et qui était le nôtre. Nous étions sans pardon.
Le roman monte en puissance et en tension vers une fin superbe qui signe l’échec de nobles idéaux. C’est pour chanter ces hommes oubliés que Marc Biancarelli écrit. Il souligne au final que bien des bandits ou des révoltés sont devenus illustres grâce à leur légende écrite par quelques conteurs ou poètes. Grâce aussi aux vastes espaces qu’ils foulèrent de leurs pas en des temps plus héroïques. Entre épopée et lyrisme, Marc Biancarelli écrit aujourd’hui la légende de rebelles de même envergure, des Corses oubliés des hommes et de l’Histoire.
Orphelins de Dieu
Marc Biancarelli
Actes Sud, 2014
ISBN : 978-2-330-03593-8 – 235 pages – 20 €
Je suis sans doute passée à côté de cette histoire, très bien écrite, mais qui m’a moyennement passionnée.
J’ai eu un peu de mal au début, je me suis sentie assez perdue, mais j’ai vraiment trouvé que le texte gagnait en puissance jusqu’à un très beau final.
Très bon roman en effet, mais mon enthousiasme reste tout de même moindre par rapport au tien. Je ferais tout de même un petit article parce que je reconnais carrément le potentiel de ce roman !
Moi qui ne suis d’habitude pas versée dans le lyrisme, j’ai trouvé superbes les pages où Ange dit enfin qui il est vraiment, enfin qui il était au départ, ce à quoi il croyait en contraste avec ce qu’il est devenu.
Bon, c’est pas les Bisounours… mais si l’écriture est belle..
Je te recommande son premier, tu sais, bon, quand tu auras plus de temps.
Puisque tu m’as dit que le premier était très beau aussi, je pense bien me pencher dessus un jour. Et celui-ci sera entre tes mains d’ici trois semaines 😉
Le sac à dos est prêt.
ça a l’air assez dense. Je le note pour plus tard.
Humainement oui.
Je n’ai pas trop aimé ce roman. Trop violent pour moi. Mais je reconnais que l’écriture est forte et très évocatrice.
C’est vrai que certaines scènes sont assez violentes, mais supportables à mes yeux. Cependant bien sûr, nous n’avons pas tous le même seuil de tolérance à ce genre de descriptions…
Je ne connais pas cet auteur mais vous êtes nombreux à souligner la qualité de sa plume. Noté donc !
Je le découvre avec ce texte et l’écriture est en effet très belle.
Un roman pro-Corse ?
Je l’ai craint avant lecture, mais non pas du tout heureusement.
Je partage votre enthousiasme, une écriture ample, mêlant Dante et les codes du western, mais au final, il en ressort une belle énergie.
Il y a aussi dans la construction une certaine forme de suspens. Au début, on ne sait vraiment rien de cet homme et de ses camarades. On les devine pillards et soudards pour ne les découvrir vraiment qu’à la fin : c’est une construction très habile, tout en dévoilements, qui m’a aussi séduite.
Des appréciations différentes, alors pourquoi ne pas le lire !
ça donne en effet envie de se faire sa propre idée…
Sans doute le premier roman de la rentrée que j’ai repéré, l’ambiance western m’interpelle. Je ne lis que de bonnes choses sur ce titre.
Malheureusement, je trouve qu’on n’en parle pas assez…