Six fourmis blanches de Sandrine Collette

Six fourmis blanchesEn seulement deux romans, Sandrine Collette a su créer l’impatience. Vers quelle inhospitalière nature va-t-elle nous entrainer cette fois ? Fiez-vous à la couverture (assez laide au demeurant), c’est bien de montagne qu’il s’agit, de haute montagne enneigée et de randonnée.

Deux fils narratifs pour une histoire qui s’installe lentement et monte en tension autant qu’en altitude. D’une part le récit de Lou, chanceuse (?) jeune femme qui à l’instar de cinq autres personnes, dont son petit ami Elias, a gagné un séjour randonnée en Albanie : dépaysement total, paysages magnifiques, loin du tourisme de masse. Escalader, passer la nuit en refuge, redescendre, le tout sous la conduite d’un guide expérimenté, voilà qui n’est pas facile mais qui promet des moments forts de découvertes et de dépassement de soi qui se transformeront en beaux souvenirs. Sauf que le mauvais temps s’en mêle…

Le lecteur suit d’autre part le récit de Mathias, sacrificateur de son état. C’est-à-dire qu’il jette des chèvres du haut de la montagne pour contenter les esprits et ainsi rassurer la population un brin superstitieuse. Mariages, baptêmes et autres occasions de la vie : on a beau être au XXIe siècle, les croyances ancestrales ont la vie dure. C’est peut-être aussi pour ça que la mafia locale demeure si bien implantée : traditions, traditions, le vieux Carche règne en maître grâce à ses hommes de main et à la crainte qu’il inspire. Alors quand le vieux demande à Mathias de faire de son petit-fils son apprenti, pas moyen de refuser : il prend l’adolescent avec lui et découvre bientôt qu’il aime tuer les chèvres. Il ne tarde pas à voir en lui un dangereux psychopathe.

Les deux récits ont beau s’énoncer au présent, ils ne sont pas concomitants : celui de Lou se déroule sur quelques jours tandis que celui de Mathias court sur plusieurs semaines. Les deux vont bien sûr se croiser très habilement. Pour ma part, je n’ai rien vu venir, comme d’habitude.

Sans trop en dévoiler, on peut dire que Sandrine Collette nous entraine sans difficulté sur les pas de ses six fourmis blanches prisonnières de la neige. Elle décrit la fureur des éléments avec un réalisme qui donne froid. On gèle, on a peur, on tremble. Et on s’interroge aussi : existe-t-il aujourd’hui en Albanie des vallées où exercent encore des sacrificateurs ? Ça semble terriblement archaïque, en tout cas extrêmement cruel. Ce qui n’enlève cependant rien à la stature de Mathias, sorcier solitaire et lucide qui ne recule devant rien pour sauver sa peau.

« Vont-ils s’en sortir » reste la question au centre du roman à mi-chemin entre le suspens et le roman noir. Sandrine Collette s’applique à faire subir le pire à ses personnages, laissant le lecteur aussi incapable de les aider que d’arrêter sa lecture. Comme dans le roman précédent, une révélation intervient, ici au trois quarts du roman. Elle est habile et ne fait que renforcer l’impression qu’il va être difficile de se sortir de cette montagne.

Encore une fois donc, la nature se fait hostile chez Sandrine Collette, en Albanie ou ailleurs. Le thème des randonneurs pris dans une tempête est assez classique mais il permet d’étudier en profondeur les personnages en situation extrême. Et de s’interroger page après page : combien restera-t-il de fourmis blanches à la fin ?

Sandrine Collette sur Tête de lecture

Six fourmis blanches

Sandrine Collette
Denoël (Sueurs froides), 2015
ISBN : 978-2-07-12436-9 – 275 pages – 19.90 €

37 commentaires sur “Six fourmis blanches de Sandrine Collette

  1. dans les films de violence ordinaire l »Albanais de base » est d’une violence inimaginable , il prostitue les naïves américaines, il tue par plaisir ….. il sert souvent de repoussoir à l abonne conscience des gentils américains ou européens, se pourrait-il qu’il y ait une base de vérité?

    1. Je dois confesser mon inculture quant aux Albanais, « de base » ou pas, et je crains que mes goûts cinématographiques ne me poussent pas vers les films où les bons Américains luttent contre les Méchants, quels qu’ils soient. Je note quand même que les Albanais ont donc remplacé les Soviétiques dans l’imagerie populaire 🙂

    1. Après lecture des trois, Des noeuds d’acier reste mon favori parce que c’est quand même bien tordu, voire malsain et que ça me plait les trucs glauques comme ça quand c’est bien raconté, avec une ambiance et sans en faire des tonnes côté violence ou images gore.

    1. L’ambiance prend son temps pour s’installer, à l’évidence, Sandrine Collette aime décrire les paysages, les gens. Et petit à petit, ça monte et sans t’en rendre compte, te voilà scotchée à ton livre ! 🙂

    1. Ah mais il faut, il faut ! Je ne suis pas spécialiste du roman noir français, mais vraiment cette auteur me plait car elle sait vraiment installer des ambiances prenantes et aussi parce que ce n’est pas physiquement violent ou gore (je compartimente mes lectures !).

    1. Moi aussi j’ai aimé, et du coup, je me précipite sur chacun de ses romans car j’apprécie vraiment son écriture et l’ambiance originale qu’elle crée à chaque fois.

    1. Il te faut la découvrir : vraiment passionnante et différente. Si ces textes sont vraiment très noirs, ils ne surfent pas sur la vague violente que de nombreux auteurs français empruntent ces dernières années et qui moi ne me plait pas…

  2. Même si ce n’est ni violent ni gore (je fais confiance à ton avis) , le trop tendu ou malsain comme ambiance me fait mal…
    (je t’ai envoyé le Biancarelli, pas vu d’amateurs…)

    1. C’est du roman noir, pas de doute. L’ambiance sacrificateur de chèvres et gamin psychopathe a vite fait de mettre mal à l’aise, c’est vrai…

    1. Je n’ai pas encore vu de lecteurs qui après avoir lu un de ses livres décidait de ne plus jamais y retourner… elle fait des adeptes vraiment fidèles.

  3. Un vent de cendres vient juste de paraître en poche, je commencerais donc ma découverte de l’auteur avec celui là…. Mais j’avoue que celui là, de par son sujet, me tente encore bien plus… Le montagne, la neige, le huis clos avec ses six petites fourmis… Bref il a tout pour me plaire, et hop encore un dans vos billets tentateurs (même si, comme je te le disais tout à l’heure, mon rythme de lecture est loin de suivre toutes mes (trop) nombreuses tentations ;0)

    1. Celui que j’ai préféré, c’est son tout premier, avec un type qui devient l’esclave de deux vieux cinglés : chaude ambiance, inoubliable, je m’en souviens encore alors que j’ai pas mal tendance à oublier les intrigues. Celle-ci est particulièrement originale et malsaine !

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