La ciociara c’est Cesira, trente-cinq ans, une paysanne italienne qui après un mariage arrangé avec un vieil homme qu’elle n’aime pas, s’est installée à Rome. Elle fait le ménage, un enfant, et tient l’épicerie avec son mari, puis seule après la mort de ce dernier. C’est une débrouillarde qui a le sens du commerce et ne s’intéresse qu’à sa fille Rosetta qu’elle adule. Honnête et travailleuse, son horizon ne dépasse pas le coin de la rue, elle se moque des fascistes et du reste tant qu’elle est à l’abri. Mais en 1943, le destin de l’Italie change : c’en est fini de Mussolini, des fascistes et des Allemands, c’est la guerre et il faut quitter la capitale.
Au prix de son déshonneur, elle confie appartement et boutique à un voisin et part rejoindre ses parents dans un village plus au sud. Mais le train ne va pas aussi loin que prévu et les laisse en rase campagne.
J’avais cet argent caché dans ma sacoche, sous ma jupe ; c’était une jolie somme et nous étions deux femmes seules, sans personne pour nous défendre… Le pays n’avait plus ni loi ni carabiniers ; c’était chose aisée de terroriser deux pauvres femmes comme nous et de s’emparer de ce qu’elles possédaient.
Cesira, toujours suivie de son obéissante fille, traverse des villages abandonnés puis trouve refuge dans une famille à l’évidence malhonnête et sans scrupules. Toutes deux s’enfuient jusqu’à un village de montagne, Sant-Eufemia entre Anzio et Cassino. C’est là que vivent à l’année de misérables paysans mais aussi de nombreux réfugiés chassés de leur village par la guerre. Tous attendent l’arrivée des Anglais. Cesira et sa fille vont rester là à attendre pendant neuf mois, partageant la misère de tous, ainsi que le froid et l’ennui. Michel, le fils instruit d’un des réfugiés est le seul à les tirer de leur torpeur. Quand les Anglais arrivent enfin, c’est pour bombarder la région, tuant et détruisant encore sur les lieux de la bataille du Monte Cassino. Cesira ne souhaite plus qu’une chose : rentrer à Rome dans le sillage des Alliés.
Tout va mal finir pour Cesira et Rosetta qui seront au final rattrapées par la guerre, malgré tout. Car la guerre au quotidien, ce ne sont pas deux armées qui s’affrontent, mais bien l’occasion pour tout un chacun de faire ce qu’il ne ferait jamais en temps normal. Plus de loi, plus d’autorité : c’est l’homme tel qu’il est, c’est la loi du plus fort. Les hommes bons ne survivent pas, tout comme les espoirs et les rêves. Cesira est habitée par une sorte d’égoïsme personnel qui fait d’elle une femme pratique et résistante. Elle n’est pourtant pas étrangère à la misère d’autrui quand vient le moment de partager ce qu’elle a. Armée de son bon sens de paysanne et de ses économies de commerçante, elle survit tant bien que mal, sans nuire à personne.
La guerre se charge de détruire la forteresse que la ciociara a érigée autour du couple qu’elle forme avec sa fille : le monde frappe violemment à la porte, il s’impose par la douleur.
Alberto Moravia a su donner à cette femme simple une voix authentique. Sa naïveté ne vient pas de son ignorance, mais bien de l’espoir que la guerre l’épargnera. La guerre la poursuit au contraire, comme une nécessité, comme un animal traquant sa proie, jouant avec elle en lui laissant croire qu’il l’épargnera.
Il n’y a plus de place pour l’innocence et l’espoir dans l’Italie née de la guerre. Chacun en ressort changé, les uns plus riches de leurs larcins, les autres meurtris dans leurs convictions et dans leurs corps.
Avec La Ciociara, Alberto Moravia illustre les tristes événements survenus dans la région d’Italie appelée la Ciociarie entre avril et juin 1944 : les soldats français de l’armée d’Afrique (Marocains, Algériens, Tunisiens) dirigés par le général Juin s’y sont livrés à de nombreux crimes : plus de deux mille femmes âgées de onze à quatre-vingt-six ans ont été violées. On peut lire sur le sujet l’article de Wikipedia.
La Ciociara
Albert Moravia traduit de l’italien par Claude Poncet
J’ai Lu, 1984
ISBN : 2-277-21656-9 – 349 pages – épuisé dans cette édition
La Ciociara, parution en Italie : 1957
Il y a un film je crois (avec Sophia Loren?)
Je viens de lire ton post facebook , j’arrive après la bataille, sur Chrome, pas de pub!
Oui, il y a en effet eu une adaptation ciné (que je n’i pas vue). Et oui, j’ai vaincu la pub intrusive, sans savoir hélas comment elle a pu s’immiscer…
une bonne idée de lecture car j’ai peu voire pas lu Moravia
Ça faisait moi aussi très longtemps…
J’aime bien quand la littérature nous raconte une page d’Histoire oubliée.
C’est une période vraiment mal connue. D’ailleurs, je crois que l’histoire de l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale n’est pas vraiment connue en France.
je voudrais fuir les horreurs de la guerre , j’ai lu Moravia autrefois mais pas ce roman que je devine sans espoir. Je ne le mets à mon programme car je manque de courage.
Beaucoup de mes lectures ont trait à l’une ou l’autre guerre mondiale en ce moment. Tu ne trouveras donc certainement pas ici d’idées de lectures. J’espère cependant ne pas lasser 😉
Un roman qui me tente depuis très longtemps mais que je n’ai toujours pas lu! le résumé me rappelle un peu La place du diamant de Merce Rodoreda: une femme catalane, en partie pendant la guerre civile. Un beau texte sur une femme « du peuple » avec là aussi une voix très authentique.
Ce qui est étonnant ici c’est que Moravia n’a rien à voir avec cette femme et pourtant, ça fonctionne très bien, il a trouvé la voix juste.
Ce bouquin a fait l’objet d’un film superbe
Je ne l’ai pas vu mais à l’occasion, pourquoi pas. Je crois que Sofia Loren a eu un prix d’interprétation pour ce rôle.
Le film de De Sica est intéressant mais je trouve que Sophia Loren ne convient pas pour ce rôle.
N’ayant pas lu le livre, je ne saurais te dire. C’était la femme de De Sica !
Je n’ai pas encore vu ce film, mais en lisant la distribution, j’étais assez étonnée que le rôle soit tenu par Sofia Loren : elle me parait un peu trop « sophistiquée » pour le rôle, mais bon, c’est tout de même une grande actrice. Je verrai à l’occasion. Merci pour cet avis.
Je crois n’avoir jamais lu Moravia, ce roman me tente plus que Le mépris ou L’amour conjugal…
Ce titre me semble idéal pour commencer. Le style n’est pas ancien, les personnages sont réalistes et les enjeux toujours modernes malgré le temps et le contexte. Pas de doute que c’est un bon livre puisqu’il résonne encore aujourd’hui.
Voilà bien longtemps que je n’ai rien lu de Moravia, un auteur que j’aime beaucoup. Je ne connaissais pas ce titre de lui, tu me donnes envie de retourner voir du côté de la péninsule 😉
Perso, j’ai lu Agostino il y a longtemps. Moravia est un auteur dont on n’entend pas souvent parler, c’est dommage.
J’avais adoré les Nouvelles romaines de Moravia, et ses Autres nouvelles romaines. Mais j’ai suivi le lien que tu donnes et je n’ajouterai pas La ciociara à ma liste.
Je te comprends car c’est un sujet très dur. Il n’en est question qu’à la fin, mais je ne peux décemment pas conseiller de ne pas lire les dernières pages…