Le roman noir a eu deux pères (oui, c’était un roman moderne, très en avance sur les mœurs de son temps…) : Raymond Chandler et Dashiell Hammett. Ce n’est donc pas par hasard qu’Omnibus sort simultanément deux recueils de nouvelles dans sa collection bibliomnibus : du premier, Un privé nommé Marlowe et du second le présent Flic maison qui reprend sept nouvelles tirées de Coups de feu dans la nuit, l’intégrale des nouvelles de Dashiell Hammett parue chez le même éditeur en 2011. Vous souhaitez vous initier ou retrouver le goût de ces auteurs : ces recueils sont faits pour vous.
C’est l’Amérique des années 20 qui s’immiscera chez vous à la lecture de Flic maison. Cette Amérique qu’on connait par les films, parfois d’ailleurs adaptés de textes de Hammett. Des Oldsmobile et des Hispano-Suiza, et surtout des détectives, des privés comme le fut Hammett lui-même (employé par l’agence Pinkerton de 1915 à 1922). Enfin, peut-être pas aussi repoussant qu’Alec Rush, « détective gras, grisonnant et usé« .
Si vous regardiez son nez d’un côté, vous pensiez qu’il était crochu. De l’autre, qu’il ne pouvait pas l’être. Il n’avait aucune forme. Mais qu’elle que fût votre opinion sur sa forme, vous ne pouviez pas vous tromper sur sa couleur. Les veines avaient éclaté de façon à dessiner, sur sa surface déjà fleurie, des étoiles d’un rouge brillant, des boucles, des ratures étonnantes qui semblaient avoir quelque signification cachée. Ses lèvres étaient épaisses, recouvertes d’une peau rude. […] Ses yeux bleu pâle, petits et profondément enfoncés, étaient à tel point injectés de sang qu’il semblait avoir un rhume perpétuel…
Pas affriolant l’enquêteur, carrément pas glamour, ni même aussi intelligent que Sherlock Holmes. Car oui, ces hard boiled premiers du genre sont fatigués. Ils ont beaucoup planqué, beaucoup bu et fumé, ont couru après des truands, évité les balles, se sont parfois fait jeter de la police. Pas de doute, ce sont de vraies gens, des types à qui on ne la fait pas, qui ne se laissent pas entuber mais qui sont pourtant prêts à faire quelques concessions pour préserver l’honneur d’une belle femme.
Plusieurs des nouvelles proposées ici appartiennent à la série Continental Op (« Flic maison », « Qui a tué Bob Teal », « Au fer à cheval d’or », « Piège à filles ») : le narrateur travail pour l’Agence Continentale basée à San Francisco et dirigée par le Vieux. Il planque, surveille, passe à l’occasion la frontière mexicaine. Règlements de compte entre associés, chantages, usurpations d’identité : il ne fraye pas avec le grand banditisme mais enquête auprès de gens ordinaires qui un jour franchissent la ligne le plus souvent pour de l’argent ou par vengeance. Ça se passe avant la Grande Dépression et c’est déjà assez sordide, souvent violent.
« L’éléphant vert », la nouvelle qui ouvre le recueil me plait bien : c’est l’histoire d’un type ordinaire, plutôt fauché qui tombe par hasard sur une valise remplie de billets. Cet argent providentiel va l’angoisser au point de lui pourrir la vie. Tout simplement parce qu’il n’est pas taillé pour la grande vie, qu’il manque d’envergure. Alors que d’autres personnages n’ont pas la carrure de leurs ambitions, Joe Shupe, « un artisan inexpérimenté dans l’univers du crime« , s’est trompé de rôle et n’en est que plus humain. C’est l’Amérique des perdants, déjà.
Pour finir, il me semble dommage que le nom du traducteur ne soit pas toujours cité. S’il est mentionné à la fin de chaque nouvelle « traduction révisée par J.F. Amsel » (sauf « Le Complice », nouvelle traduite par Marie-Christine Halpern), il serait bon de savoir qui est J.F. (ces deux initiales me semblent un peu cavalières) et qui est le traducteur originel. Informations qui figurent peut-être dans Coups de feu dans la nuit mais qui ne sont pas reprises ici.
Flic maison
Dashiell Hammett traduit de l’anglais par ??, (traductions ici révisées)
Omnibus (bibliomonibus), 2015
ISBN : 978-2-258-11721-1 – 204 pages – 10 €
Pour ces romans, en effet, on peut penser qu’une ancienne traduction a été reprise, et qu’on n’a pas effectué de coupes dans le texte original?
Oh oui je pense que c’est ce qu’il faut comprendre par « traductions révisées », mais plus de précisions n’aurait pas nui…
Et heureusement que depuis quelques années, un grand vent de révisions des traductions souffle enfin sur ces romans américains qu’on nous a mutilé dans les années 50 et au-delà…
Pour découvrir Hammett pour les plus jeunes, voici des nouvelles écrites par des auteurs de polar :
http://www.syros.fr/index.php?option=com_catalogue&page=ouvrage¶m_y=F_ean13&value_y=9782748516890&retour=0&espace=0&Itemid=2
J’ai pas mal travaillé sur le roman noir à la fac et ma prof m’a vraiment fait aimer Dashiell Hammet avec le faucon maltais, donc pourquoi pas, même si les nojvelles c’est pas trop mon truc!
Les nouvelles, c’est bien pour en picorer une de temps en temps, savourer le plaisir…
Depuis quelques temps je me dis qu’il faudrait que je relise Hammett ! Mais je suis plutôt tentée par ses romans..
Si tu as déjà lu les romans, tu peux trouver de bonnes surprises parmi ces nouvelles…
Qui n’a pas lu ces auteurs américains, Hammett et Chandler, dans sa jeunesse…. n’a pas de chance ! Ils sont les bases de tout le reste venu après eux et même si parfois des intrigues peuvent sembler absconses (chez Hammett), leurs bouquins restent des références absolues.
Je t’avoue que dans ce recueil, il y en a une dont l’intrigue est assez bizarre aussi (« Le velu »). Mais bon, ça fait partie du charme !