Les corbeaux de la Mi-automne de Thanh-Van Tran-Nhut

Les corbeaux de la Mi-automneS’il est des destinations littéraires exotiques, le Vietnam du XVIIe siècle en est certainement une. C’est à un bond dans l’espace et dans le temps que nous convie Thanh-Van Tran-Nhut pour une série commencée avec sa soeur en 1999. Aux côtés du jeune mandarin Tân, le lecteur découvre un pays, qui s’appelait alors le Daï Viêt, son histoire et ses mœurs.

Tout commence par le meurtre d’un enfant lors d’une fête et le saccage des latrines de deux temples. Le mandarin Tân, magistrat impérial, est chargé d’enquêter sur l’une et l’autre affaire puisque son rôle est de faire régner l’ordre et la justice dans sa région.

Tout se complique quand l’intrigue prend une envergure nationale. Le conseiller Thi, qui agace tant le mandarin Tân, n’est pas juste venu recruter quelques jeunes filles pour un prochain spectacle impérial, comme il l’affirme d’abord. Le libidineux conseiller traque en fait un trésor presque millénaire, un trésor chinois qu’il charge le magistrat de retrouver, au nom de l’Empereur. Le précieux trésor sera restitué aux Chinois, qui apporteront leur soutien à l’Empereur dans sa lutte contre son ennemi Nguyen. Mais pour les Viets, c’est une trahison, une façon de s’inféoder encore à l’ancien envahisseur. Tân est pris entre son devoir de magistrat impérial qui lui commande d’obéir et son honneur de Viêt qui se révulse contre la domination chinoise.

Il enquête, découvre une carte puis une autre, qu’il peine à interpréter. C’est la charmante mademoiselle Lys qui détient l’un d’entre elle : pourquoi ? Et quel est donc ce demi-frère qui lui revient de nulle part ? Faut-il le croire quand il affirme que leur père commun a jadis découvert par hasard le fameux trésor qu’il a ensuite caché ? Et maintenant qu’il est mort, comment faire pour le trouver ?

Les personnages sont sans doute un des atouts de cette série. Certains sont récurrents, mais il n’est pas nécessaire d’avoir lu tous les tomes pour les suivre. Le mandarin Tân en est bien sûr le grand héros : fonctionnaire intègre, perspicace, il est astucieux, voire retors quand son ministère est en butte au doute. Doit-il favoriser les Chinois, ennemis ancestraux, quand l’Empereur le lui ordonne ? Nombreux sont les autres personnages à ne pas faire de la figuration mais à participer pleinement à l’intrigue. Mentions spéciales au docteur Porc (qui mange beaucoup de choses qui font frémir) et à madame Garance, la séductrice qui ne se laisse pas faire. J’aime aussi beaucoup les maîtres des temples taoïstes et bouddhistes qui, n’en doutez pas, se livrent à une concurrence acharnée pour faire venir à eux le plus possible de croyants et faire ainsi du profit.

Le vrai tour de force de cette série, et de ce roman en particulier, c’est de permettre au lecteur de découvrir un pays, une période historique dont à la base il ne sait rien. Subtilement, Thanh-Van Tran-Nhut mêle à l’enquête du mandarin les informations nécessaires pour la compréhension d’un contexte terriblement tendu, le nord et le sud du Daï-Viêt étant quasi en guerre. Et à aucun moment on ne s’ennuie, bien au contraire. L’humour est un des ressorts de cette série qui n’hésite pas à caricaturer certains personnages et à s’offrir des scènes quasi grand-guignolesques.

Les corbeaux de la Mi-automne n’est cependant pas drôle d’un bout à l’autre. Si d’un côté le mandarin Tân enquête sur le saccage des toilettes, il cherche également le meurtrier du petit Oisillon, retrouvé assassiné au lendemain de la fête de la Mi-automne, la fête des enfants. Ainsi, Thanh-Van Tran-Nhut joue-t-elle sur plusieurs registres avec le même talent. On touche même parfois au fantastique avec par exemple cette madame Garance qui envoute ses interlocuteurs au point de les manipuler à sa guise (même l’incorruptible mandarin Tân !) et le sbire Khoa, employé du tribunal, qui voit les odeurs.

Un roman dans lequel on rit, on se moque, on s’inquiète, on découvre, on a faim (le pavé de sang caillé, ça vous tente ?) : voilà une lecture réjouissante et roborative dont on sort moins ignorant et sans doute plus gai.

 
Les corbeaux de la Mi-automne

Thanh-Van Tran-Nhut
Picquier (Picquier poche), 2014
ISBN : 978-2-8097-1015-1 – 429 pages – 9,50 €

8 commentaires sur “Les corbeaux de la Mi-automne de Thanh-Van Tran-Nhut

  1. J’ai eu de bonnes surprises, moi qui n’aime pas les polars, de ce gebre de romans pour decouvrir une époque ou un pays, j’ai le souvenir d’un enquêteur chinois . Je note donc ce roman , il sera sûrement dans ma médiathèque.

  2. Où je découvre que l’auteur est une femme, et que la cuisine vietnamienne a des côtés que je n’explorerai pas… Je me contenterai de ce que je connais, les crêpes par exemple (si, il y a une version à la vietnamienne)

    1. Dans la cuisine asiatique, il y souvent des choses que je ne sais pas nommer… je n’y regarde ps de trop près… sauf bien sûr si je me retrouve avec un poussin dans mon assiette !

    1. Oh oui, je t’y engage, je suis certaine que tu passeras un bon moment : c’est à la fois drôle et intéressant, et surtout très dépaysant.

  3. J’avais lu un de ces romans quand je suis allée au Vietnam et j’en garde un très bon souvenir ! Quant aux oeufs (qu’on appelle fécondés au Cambodge), en plus, ça sent affreusement mauvais parfois et pour avoir pris le bus à coté d’amateurs, je peux te dire qu’il y a aussi un bruit caractéristique des petits os qui craquent ! C’est affreux et pourtant, je suis tolérante sur la nourriture 😀 :p

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