LoveStar de Andri Snaer Magnason

Parce qu’il a étudié les ondes des oiseaux, le groupe fondé par LoveStar et qui porte son nom a enfin permis l’avènement d’une nouvelle race d’être humain : l’homme sans fil. Désormais plus besoin d’être branché, tout est dans votre cerveau, vos lunettes, à portée de vue et d’oreilles. Vous pouvez même oublier votre téléphone portable : elle est pas belle la vie ?

Magnifique bien sûr car à l’évidence, à partir d’une certaine dose de connexion, plus personne n’est capable de protester. Chacun vit dans son monde, fait pour lui, selon son goût, ses choix. Une fois classé dans un groupe-cible, il ne peut vous arriver que ce que vous avez envie qu’il vous arrive.

Vous achetez une nouvelle paire de chaussures : vous allez croiser quelqu’un dans la rue pour vous en féliciter. Votre enfant est turbulent, agressif, non conforme à vos attentes : pas de souci, vous allez pouvoir le rembobiner, recommencer à zéro. Vous multipliez les aventures sans lendemain : un peu de patience, inLove va bientôt vous calculer et trouver votre seul(e) et unique. Et même plus besoin de penser à acheter votre place au cimetière : LoveMort s’occupe de tout et vous irez exploser en orbite, en étoile filante

LoveStar s’occupe de votre bonheur. LoveStar s’occupe de tout.

Ce qui énerve ces grandes multinationales qui vont de succès en succès, ce sont les grains de sable. Qui resteraient bien entre eux pour former une plage, là où le ciel est plus bleu, l’herbe plus verte, mais pour inLove, l’amour que se portent Indriði (l’homme) et Sigríður (la femme) est insupportable. Il ne peut y avoir d’amour en dehors d’inLove. Voilà donc que Sigríður reçoit une lettre l’informant qu’elle a été calculée et que son seul et unique vit au Danemark et n’attend qu’elle. Le système va dès lors tout mettre en œuvre pour ruiner l’amour des deux jeunes gens : tentations, publicités, pièges puis intimidations et lente destruction sociale.

Pour son premier roman, l’Islandais Andri Snaer Magnason choisit l’ironie et la critique sociale. Cette dernière passe par un portrait affligeant de cette humanité connectée qui se croit si maline. Prête à avaler tout ce qui a l’air scientifique, fière d’avoir construit une bulle qui peu à peu l’étouffe. La sociabilité s’avère être une prison qui rend chacun plus seul car plus éloigné du monde et de la vie.

Un certain charme islandais distingue ce roman de toutes les dystopies qu’on a déjà lues. L’ironie est aussi un atout, ainsi que, contre toute attente, l’histoire d’amour passionnel entre Indriði et Sigríður qui finiront enfermés dans le ventre du Grand Méchant Loup. De stéréotypes, ils passent au statut de derniers humains libres. On suit LoveStar lui-même, le grand patron, après un début de roman un peu laborieux, plus soucieux de présenter la société que d’y intégrer les personnages qui arrivent sur le tard.

Finalement, ce qui est dommage, c’est que ce livre paru en 2002 (avant Facebook, Twitter, l’ADSL, la fibre optique et les téléphones portables pour tous…) en Islande ne nous arrive que maintenant… En 2002, Andri Snaer Magnason était clairement un visionnaire, au niveau des meilleurs auteurs de science-fiction prédictive. Aujourd’hui forcément un peu moins ce qui, sans nuire à la qualité du roman, joue en sa défaveur aux yeux du lecteur français peu soucieux de la date de parution originale.

LoveStar (LoveStar, 2002), Andri Snaer Magnason traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma, janvier 2015, 428 pages, 21,50€

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