Polars et romans noirs ne riment plus avec ville. Plus même avec Europe ou Etats-Unis. Depuis quelques années, ces genres frères, cousins plus ou moins proches du roman policier et du thriller décentralisent. Ian Manook nous a emportés en Mongolie, Olivier Truc en Laponie, Karyl Férey en Afrique puis en Argentine. Avec son deuxième roman, c’est en Guyane française et au Suriname que nous emmène Boris Dokmak, dans la jungle profonde où l’on enterre si bien les secrets. Les secrets d’Etat.
Tout commence pour le lecteur en 1967 à Paris, aux côtés du lieutenant Saint-Mars dit S.M., dit la Marquise. On ne saura pas grand-chose de lui, ancien para dépendant à la morphine, issu de l’aristocratie mais à l’évidence en rupture de ban. Demeuré cependant beaucoup trop pointilleux moralement pour un flic. Aussi au lieu de se taire, fait-il éclater un scandale. Bilan : relégation au service des archives, dont il ne sort qu’en acceptant une mutation. Après l’Indochine et l’Algérie, la Guyane pour Sain-Mars : il y a de la logique coloniale là-dedans, mais guère de bons présages.
Il doit enquêter sur deux scientifiques, le Français Loizeau et l’Américain McHenry, qui se seraient entretués jusqu’à victoire de l’un d’eux. Rejoindre ledit Loiseau et enquêter s’avèrent extrêmement compliqué dans le contexte. Trouver de quoi monter une expédition (hommes, vivres et matériel), remonter le fleuve, se diriger dans la jungle : malgré son passé de militaire, Saint-Mars a du mal, beaucoup de mal. Surtout qu’on ne lui facilite pas les choses sur place, on peut même dire qu’on lui met des bâtons dans les roues.
Il regarde les gens dans la rue : des chapeaux et des fringues fripés et des yeux fuyants. Cette ville a l’air grosse de vices et de coups tordus, elle pue la trouille, une trouille qu’il pourrait presque toucher. Il gonfle ses poumons, et il la respire, elle lui colle au palais, lui bouffe le nez et les poumons, déchire l’œsophage et vient former une boule dans l’estomac. Elle s’ajoute à ses douleurs.
Les Amazoniques est un roman moite et violent. Un roman d’hommes du genre survival. On pense bien sûr à Apocalypse Now, à la quête du capitaine Willard qui lui aussi remonte un fleuve et affronte le pire de la jungle à la recherche d’un homme enfoui dans la forêt primordiale. On imagine rapidement, presque trop, que l’enquête de Saint-Mars va bien au-delà d’une dispute entre scientifiques. Qu’il y a manipulations d’êtres humains au nom de considérations inhumaines. La mission première de Saint-Mars, le rapatriement de l’ethnographe assassin, laisse place à la découverte d’un monde brut et brutal, qui dépasse l’ancien para.
Le rythme est assez déconcertant : on part sur les chapeaux de roue à Paris, on s’envole vers Cayenne et la découverte de la ville et de ses habitants est prenante. Puis on se traine avec Saint-Mars essayant de monter son expédition (et on assiste à une incompréhensible scène de sexe, posée là comme une mouche sur un gâteau), on remonte très lentement le fleuve avant de repartir, haletant et suant, dans la traque elle-même. La découverte du fleuve, de la forêt amazonienne, des Arumbayas Arumgaranis se fait à hauteur d’homme. Avec S.M., on bute sur les obstacles, on se fait dévorer par les moustiques et par d’autres carnivores beaucoup, beaucoup plus pervers et violents. On a peur en fait, parce que tout ça va forcément mal tourner, un prologue nous en a avertis.
En plus d’être dépaysant, ce roman exerce une fascination troublante et morbide sur son lecteur. L’inquiétude et la peur sont omniprésentes car on ne sait pas où on est et que tout est hostile. Moiteur et décadence sont les mots d’ordre de cette Guyane-là, fébrile et inhospitalière. Et si le décor est inusuel, les hommes ne le sont pas moins. Mais les Arumgaranis, pour sauvages qu’ils soient, ne sont pas les plus inquiétants. Cette partie-là du monde recèle une humanité hors normes, hors lois, libre en ses excès. Et ça, c’est effrayant.
Ce qui pourtant terrifie le plus, ce sont ces quelques mots écrits sur la couverture : « Inspiré d’une histoire vraie ».
Les Amazoniques
Boris Dokmak
Ring (Ring Noir), 2015
ISBN : 979-10-91447-29-4 – 428 pages – 19,95 €
J’ai aimé ce roman, son rythme, la langue, enfin tout. J’ai passé de longs et forts bons moments avec Saint-Mars. Une très belle réussite
J’ai offert ce livre, entre autres, à mon cher et tendre pour son anniv’. J’ai attendu un peu, pour faire genre « mais non chéri, c’est pour te faire plaisir que je t’ai offert ce roman bien sûr », puis je me suis immergée avec grand plaisir dans cette ambiance-là, pas très glamour et pas très fille mais : waouh, quelle originalité !
Oulala celui -là il me le faut! Il a l’air top!
Je préfère répéter ici, pour être bien claire, que certaines scènes sont vraiment très dures, violentes… Voilà, prévenue 😉
Je ne connaissais pas du tout mais je suis sûre que cela pourrait me plaire !
Avec cette lecture, je découvre à la fois cet auteur et cet éditeur et à coup sûr je reviendrai vers l’un et l’autre tant c’est un roman atypique.
Vraiment tentant, celui-ci, je n’y arriverai jamais…
Il faut se réjouir d’avoir tant d’envies Simone, pense à tous ceux qui n’ont envie de rien, les pauvres !!
Eh oui,tuas raison ! comment font les blasés ???
Je ne connais pas mais ça a l’air intéressant…
J’ai eu envie de le lire car je me suis récemment découvert une voisine guyanaise. Je ne suis pas certaine qu’elle retrouve sa Guyane dans ce roman, mais je vais le lui faire lire si possible, ainsi qu’à son mari : je suis certaine que leur point de vue sur ce roman sera très intéressant.
Ayant encore Férey, Truc et Manook dans ma PAL, je ne garantis pas m’y mettre dans les prochains mois mais je le note quand même dans un coin. Il y a juste le côté hard qui me fait hésiter.
Il ne fait pas de doute que tu as des envies de polars ethnologiques à concrétiser !
Je l’avais noté chez Yv pour mon challenge perso Hexapolargone même si on est loin de l’hexagone en question. Mon petit cœur supportera-t-il cette violence ?
Le Papou
Je ne connais pas assez ton coeur pour ça 😉 Mais vraiment, c’est violent. Dans les films, on peut fermer les yeux, se guider aux bruits en attendant que ça passe, mais là, difficile de lire les yeux fermés…